Émeutes de mai 1967 en Guadeloupe — Wikipédia

Émeutes de mai 1967 en Guadeloupe
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Fresque murale de Philippe Laurent en hommage aux victimes de mai 1967, à Pointe-à-Pitre.
Informations
Date 26-28 mai 1967
Localisation Guadeloupe
Caractéristiques
Organisateurs émeutes spontanées[1]
Revendications luttes sociales et contre le racisme
Types de manifestations émeutes
Bilan humain
Morts

7 (bilans officiels immédiats)
87 (selon le Secrétaire d’État aux DOM-TOM en 1985)

Entre 80 et 200 (bilan des historiens)

Les émeutes de mai 1967 en Guadeloupe sont des affrontements qui se produisent entre gendarmes et manifestants dans l'île lors de grèves consécutives à une agression raciste. Les trois journées de répression les plus importantes à Pointe-à-Pitre le 26, 27 et 28 mai, entraînent la mort d'entre 7 et 87 personnes (bilans officiels)[2],[3] et entre 80 et 200 morts selon les historiens[4].

Contexte[modifier | modifier le code]

La Guadeloupe est une île concentrant nombre d'inégalités socio-économiques entre békés et noirs[5],[6] accentuées par les politiques de transformations sociales relancées par l'État, et mises en exergue dans la période devançant mai 67 par les catastrophes causées par l'ouragan Inès (en)[7]. La Guadeloupe voit également dans les années 60 et la vague de décolonisation du Tiers-monde, une augmentation de l'influence des mouvements et réseaux indépendantistes (AGEG, Gong) qui s'intensifie à la suite de l'indépendance de la Jamaïque (en 1962) et du Guyana (en 1966) dans la région. Cependant aucun groupe n'incarne en 1967 d'unité nationale apte à négocier une hypothétique décolonisation. De plus le gouvernement gaulliste n'est pas prêt à négocier quoi que ce soit de par la position géographique de l'île (proche de Cuba et au cœur de la zone d'influence directe des États Unis[8]) mais aussi par le fait que la Guadeloupe lui est précieuse, elle est en effet un département français depuis 1946. C'est ainsi que ces groupes rentrent dans le collimateur des « états-majors politiques, administratifs, policiers et militaires[9] » et particulièrement dans celui de Pierre Bolotte, préfet de Guadeloupe[réf. souhaitée].

Les événements[modifier | modifier le code]

Le , Vladimir Snarsky, propriétaire blanc d’un grand magasin de chaussures à Basse-Terre, lâche son berger allemand pour chasser Raphaël Balzinc, vieux cordonnier noir et handicapé qui installait son étal en face du commerce[10],[11]. Le propriétaire blanc, par ailleurs responsable local du parti gaulliste UNR, demande ironiquement à son chien « Dis bonjour au nègre ! ». Cet incident raciste est à l'origine d'émeutes et de grèves à Basse-Terre et Pointe-à-Pitre les jours suivants, si bien que le préfet de l'île, Pierre Bolotte, fait déployer deux escadrons de gendarmerie[12].

Le , les ouvriers du bâtiment de Guadeloupe se mettent en grève pour obtenir une augmentation de salaire de 2,5% et la parité en matière de droits sociaux[13].

Le vers midi, une foule est rassemblée devant la Chambre de commerce de Pointe-à-Pitre et attend pendant que se déroulent des négociations entre organisations syndicales et représentants du patronat. Vers 12h45, ils apprennent d'un représentant syndical que les négociations sont rompues et un bruit court : le représentant du patronat, Georges Brizzard[14], aurait dit : « Quand les nègres auront faim, ils reprendront le travail ! ». Des manifestants scandent «Djibouti, Djibouti » pour rappeler les violences qui avaient eu lieu dans cet autre territoire français d’outre-mer, où l’armée française avait tiré à vue sur des manifestants indépendantistes[2].

Les affrontements commencent à coup de grenades lacrymogènes des gendarmes contre des manifestants qui jettent des conques de Lambi, des pierres ou des bouteilles en verre. Déjà dans la matinée du 26 mai, des gendarmes mobiles auraient tiré lors de manifestations violentes de grévistes, faisant plusieurs blessés[15]. Lorsqu'un gendarme essoufflé enlève son casque afin de s'essuyer le front et reçoit un coup violent sur la tête, les gendarmes ouvrent le feu provoquant notamment la mort de Jacques Nestor, militant du Groupe d'organisation nationale de la Guadeloupe (GONG). Selon les autorités, « les gendarmes mobiles (non, les CRS), après que quelques coups de feu aient été tirés sur eux, devaient riposter pour se dégager[15] ». Un certain nombre d'autres Guadeloupéens seront tués durant les 3 jours d'émeutes et/ou de répression qui s'ensuivent.

Les autorités françaises ont cru initialement que l'insurrection avait été fomentée par le GONG mais il est apparu après enquête que les émeutes étaient spontanées[11].

L'historien Benjamin Stora estime que le massacre a été « ordonné sciemment sur le terrain et approuvé par le gouvernement sous la présidence du général de Gaulle »[16].

Un bilan imprécis[modifier | modifier le code]

Morts parmi les manifestants[modifier | modifier le code]

Le nombre de victimes est disputé. Le bilan officiel des autorités à l'époque du massacre est de 7 ou 8 morts. En 1985, le secrétaire d’État aux DOM-TOM Georges Lemoine parle d'un bilan de 87 victimes, recoupés de plusieurs sources administratives, dont les Renseignements généraux (RG)[17].

Les estimations des historiens varient quant à elles à entre 80 et 200 morts, une tâche rendue ardue par la destruction d'une partie importante des archives disponibles sur le massacre[4].

Le classement « secret défense » jusqu'en 2017, des documents de l'époque, la peur des représailles ressenties par les familles[18] et la destruction d'archives municipales et hospitalières[19] compliquent la tâche des historiens pour évaluer le nombre de morts.

Noms cités jusqu'en 2009[modifier | modifier le code]

Jusqu'à cette date, sept noms de victimes sont généralement cités :

  • Jacques Nestor ;
  • Zadig Gougougnam ;
  • Pincemaille ;
  • Camille Taret ;
  • Gildas Landré[20] ;
  • Tidace ;
  • Fengarol[15].

Victimes identifiées en 2009[modifier | modifier le code]

Dans un article du Monde du [21], ces noms sont précisés et complétés :

  • Pour Pointe-à-Pitre :
    • Jacques Nestor (nom déjà connu)
    • Ary Pincemaille (nom précisé)
    • Olivier Tidas (au lieu de Tidace)
    • Georges Zadigue-Gougougnan (nom précisé)
    • Emmanuel Angèle Craverie (nouveau nom)
  • pour la commune voisine des Abymes :
    • Jules Kancel (nouveau nom)
    • Aimé Landres (au lieu de Gildas Landrée)
    • Camille Taret (nom déjà connu)

Le nom de Fengarol ne figure plus dans cette liste.

Bilans d'au moins 87 morts[modifier | modifier le code]

Certaines sources évoquent un bilan admis en 1985 par le secrétaire d'état chargé des DOM-TOM, Georges Lemoine, de 87 morts[18],[15]. La députée Christiane Taubira évoque « 100 morts »[22].

Dans l'émission de France Inter Rendez-vous avec X du 7 mars 2009, Patrick Pesnot et son invité estiment que le bilan de 87 morts est probable et émettent l'hypothèse d'une responsabilité de Jacques Foccart, « Monsieur Antilles »[23].

L'historien Jean-Pierre Sainton[24] auteur de Mé 67, Mémoire d’un événement[15],[25] et interviewé dans l'émission de France 2 Complément d'enquête du [26], fait un bilan de « plusieurs dizaines de morts », par recoupements des témoignages. Il montre en outre un télégramme, envoyé par la préfecture au moment des évènements, admettant la possibilité de victimes non déclarées en sus de 7 victimes certaines. Cette même émission révèle que l'enregistrement des déclarations de Georges Lemoine sur RFO Guadeloupe a disparu, mais que ce dernier confirme toujours un bilan de 87 morts. Pourtant l'article du Monde suscité lui fait dire « Le nombre, je ne pense pas l'avoir inventé. On a dû me faire des notes. Mais je n'ai pas le souvenir des documents sur lesquels ils s'appuyaient. »

En 2016, le gouvernement de Manuel Valls met en place une commission indépendante présidée par l'historien Benjamin Stora, afin de tenter d'éclaircir certains points des évènements. L'historien Jean-Pierre Sainton rapporte que « les historiens de la commission ont eu accès aux archives. Dans leur rapport, ils indiquent qu'aucune archive n'a été constituée ». Le rapport indique en effet que les archives ont « dès le départ été constituées en omettant de rapporter ce qui s'était effectivement passé ». Certaines archives restent classifiées et peuvent le rester encore pendant cinquante ans[27].

Bilan du côté des forces de l'ordre[modifier | modifier le code]

Plus de 30 gendarmes et membres des Compagnies républicaines de sécurité (CRS) auraient été blessés par les manifestants[20].

Les récits évoquent également la présence des « képis rouges » qui sont en fait les Gendarmes mobiles[28].

Personnalités politiques aux responsabilités[modifier | modifier le code]

Postérité[modifier | modifier le code]

Après plusieurs manifestations mémorielles, une fresque financée uniquement par les Guadeloupéens et réalisée par Philippe Laurent assisté de Sanmyel (maquette) et de Patrice Saint Léon (volume) est érigée le sur un mur contigu au collège Nestor de Kermadec, rue Dubouchage à Pointe-à-Pitre[29].

Des commémorations ont lieu en 2017, des initiatives étant lancées pour demander l'ouverture des archives et aux témoins de l'époque de faire état de leurs souvenirs[27].

En mai 2023, La Série noire publie le nouveau roman de Thomas Cantaloube intitulé Mai 67 et dont l'intrigue traite des émeutes et de leurs conséquences.

Hommage musical[modifier | modifier le code]

  • Biloute, chanson Mé swasannsèt, album Rékòlt, 2010

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Jacques Le Cornec, Un royaume antillais : d'histoires et de rêves et de peuples mêlés, L'Harmattan, 2005
  • Raymond Gama et Jean Pierre Sainton, Mé 67, Société guadeloupéenne d'édition et de diffusion, 1985
  • Jean Plumasseau, Au nom de la patrie, Éditions Nestor, 2012
  • Raymond Gama, Mé 67 : mémoire d'un événement, Port-Louis, Éd. Lespwisavann, , 312 p. (ISBN 978-2-9527540-4-0 et 2-9527540-4-7, OCLC 779736808, lire en ligne)[25]

Documentaires et articles[modifier | modifier le code]

Documentaires télévisés[modifier | modifier le code]

  • « Mai 1967 en Guadeloupe, enquête sur un massacre oublié » le 15 janvier 2014 dans 50 ans de faits divers sur 13e rue et sur Planète+ Justice.
  • « Mai 1967, La répression policière en Guadeloupe » émission de Fabrice Desplan, France Ô.
  • « Mai 67 - Ne Tirez pas sur les enfants de la république » de Mike Horn, 2017, France Ô.
  • « Le débat : Mai 67, l'héritage d'une révolte". Magazine historique présenté par Fabrice d'Almeida dans Histoire d'Outre-Mer, France Ô (diffusé le 31/01/2018)

Documentaires audio[modifier | modifier le code]

  • Rendez vous avec X, par Patrick Pesnot sur France Inter, émission du samedi 7 mars 2009: « Mai 1967 : émeutes et massacre à Pointe-à-Pitre[30].
  • Affaires sensibles, de Fabrice Drouelle sur France Inter, émission du jeudi 28 avril 2016: « Lorsque les nègres auront faim, ils reprendront le travail » Guadeloupe, Mai 67, la répression sanglante[31],[32].

Documentaires Internet[modifier | modifier le code]

Presse[modifier | modifier le code]

  • « Il y a 50 ans, les manifestations guadeloupéennes s’étaient terminées en massacre », sur Slate[34].
  • « Des massacres oubliés de mai 1967 en Guadeloupe aux prémices de l’ordre sécuritaire moderne dans les quartiers », sur Bastamag[1].

Romans[modifier | modifier le code]

Références[modifier | modifier le code]

  1. a et b Mathieu Rigouste, « Des massacres oubliés de mai 1967 en Guadeloupe aux prémices de l'ordre sécuritaire moderne dans les quartiers », sur Basta ! (consulté le )
  2. a et b « Mai 1967 à Pointe-à-Pitre : « Un massacre d’Etat » », L'Humanité,‎ (lire en ligne, consulté le )
  3. « Guadeloupe, mai 1967 : un massacre aux zones encore troubles », sur Outre-mer la 1ère (consulté le )
  4. a et b Gladys M. Francis, « Dialogisme, exotisme et chaos en milieu antillais: André Breton et Gerty Dambury », Cambridge Scholars Publishing,‎ (lire en ligne, consulté le ) :

    « La France dépêche des gendarmes mobiles sur l'île peu après l'ordonnance du préfet Pierre Bolotte qui autorise des CRS, tous blancs, à tirer sur les manifestants qui incluent des lycéens de Baimbridge protestant contre les tueries de badauds de la veille. Ces émeutes causent la mort de 80 à 200 ouvriers et passants guadeloupéens, contre 30 gendarmes blessés. Des syndicalistes et passants sont arrêtés, maltraités en prison et acquittés sous de faux chefs d'accusation. Au dossier de ces émeutes promptement scellé sous statut "secret défense" (jusqu'en 2017) se joint la destruction d'archives municipales et hospitalières qui accentuent le flou du compte des victimes. »

  5. Rauzduel, Rosan, « Ethnie, Classes et Contradictions Culturelles en Guadeloupe », Socio-anthropologie, Publications de la Sorbonne, no 4,‎ (ISSN 1276-8707, DOI 10.4000/socio-anthropologie.132, lire en ligne, consulté le ).
  6. https://www.cairn.info/revue-le-mouvement-social-2010-1-page-79.htm
  7. « « Guadeloupe, mai 67 », autopsie d’un « massacre » d’Etat », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  8. https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2013-4-page-65.htm&wt.src=pdf)
  9. Elsa Dorlin, Guadeloupe, mai 67 - Massacrer et laisser mourir, Libertalia, (ISBN 978-2377292691), Page 65
  10. « 1967-1974 : les cadences troubles des Antilles françaises », sur Radio France, (consulté le )
  11. a et b Michelle Zancarini-Fournel, Les luttes et les rêves : Une histoire populaire de la France de 1685 à nos jours, Paris, Éditions La Découverte, , 995 p. (ISBN 978-2-35522-088-3), chap. 17 (« Le moment 68 »), p. 785
  12. Félix-Hilaire Fortuné, La France et l'Outre-Mer antillais, L'Harmattan, , p. 303
  13. « Les émeutes de mai 1967: 7 ou 87 morts ? »(Archive.orgWikiwixArchive.isGoogleQue faire ?), sur Voges matin
  14. « En Guadeloupe, la tragédie de "Mé 67" refoulée », Le Monde,‎ (lire en ligne, consulté le )
  15. a b c d et e Gama 2011.
  16. « Quand, pour la dernière fois, les forces de l'ordre ont-elles tiré sur une foule en France ? », sur www.liberation.fr,
  17. François-Xavier Gomez, « « Mé 67 », la mémoire d'un massacre en Guadeloupe », Libération, 7 mai 2015.
  18. a et b « http://www.bakchich.info/La-Guadeloupe-n-a-pas-oublie-les.html »(Archive.orgWikiwixArchive.isGoogleQue faire ?), sur bakchich.info
  19. « Mai 1967 en Guadeloupe : des commémorations pour briser l'omerta », sur domactu.com
  20. a et b « [UGTG.org] Les massacres des 26 & 27 mai 1967 à Pointe à Pitre », sur ugtg.org (consulté le )
  21. « Quarante ans de silence et toujours pas de bilan authentifié », Le Monde,‎ (lire en ligne, consulté le )
  22. « https://www.dailymotion.com/video/x8fqmk_parlons-net-recoit-christiane-taubi_news »(Archive.orgWikiwixArchive.isGoogleQue faire ?), sur dailymotion.com
  23. « Mai 1967 : émeutes et massacre à Pointe-à-Pitre », sur radiofrance.fr, (version du sur Internet Archive)
  24. « Jean-Pierre SAINTON », sur uag-histoire.com (version du sur Internet Archive)
  25. a et b Jean-Pierre Sainton et Raymond Gama, Mé 67; mémoire d'un événement, Soged, (lire en ligne)
  26. « http://info.france2.fr/complement-denquete/emissions/51821396-fr.php »(Archive.orgWikiwixArchive.isGoogleQue faire ?), sur info.france2.fr
  27. a et b « Mai 1967 en Guadeloupe : des commémorations pour briser l'omerta », sur tahiti-infos.com,
  28. Un royaume antillais page 201
  29. « Hommage aux victimes de mai 1967 - Pointe-à-Pitre », sur fr.guadeloupe-tourisme.com (consulté le )
  30. « Mai 1967 : émeutes et massacre à Pointe-à-Pitre du 07 mars 2009 - France Inter », sur www.franceinter.fr (consulté le )
  31. « « Lorsque les nègres auront faim, ils reprendront le travail » Guadeloupe, Mai 67, la répression sanglante du 28 avril 2016 - France Inter », sur www.franceinter.fr (consulté le )
  32. Jean-Pierre Anselme, « Guadeloupe, mai 1967, la répression sanglante », sur Club de Mediapart (consulté le )
  33. Diable Positif, « Le massacre de mai 1967 »
  34. Emeline Amétis, « Il y a 50 ans, les manifestations guadeloupéennes s’étaient terminées en massacre », sur Slate.fr, (consulté le )

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]