47 rōnin — Wikipédia

Tombes des 47 rōnin au temple Sengaku-ji.

L'affaire des 47 rōnin, aussi connue sous le nom de 47 samouraïs, ou la « vendetta d'Akō », ou en japonais Akō rōshi (赤穂浪士?) ou encore genroku akō jiken (元禄赤穂事件?), est un épisode de l'histoire japonaise classique. Elle est décrite dans les manuels japonais comme une « légende nationale[1] ». Les 47 rōnin sont aussi appelés les 47 gishi ou Akō gishi.

En 1701, dans la région d'Akō (préfecture de Hyōgo), un groupe de samouraïs est laissé sans chef (rōnin) après la condamnation au suicide rituel (seppuku) de son daimyo Asano Naganori par le shogun Tokugawa Tsunayoshi. Naganori est accusé d'avoir blessé Kira Yoshinaka (1641-1703), maître des cérémonies de la maison du shogun, qui l'avait insulté. Les 47 rōnin décident de le venger en tuant Kira. Après avoir planifié l'attaque pendant près de deux ans, ils passent à l'action le (selon le calendrier japonais, ou le selon le calendrier grégorien). Condamnés pour meurtre, les 47 eurent le droit de garder leur honneur par le suicide rituel et s'exécutèrent le . Ils connaissaient à l'avance les conséquences de leur acte et c'est pour cela que leur action était considérée comme honorable.

Quelque peu enjolivée, cette histoire a trouvé sa place dans la culture populaire comme un exemple des valeurs de loyauté, de sacrifice, de dévouement et d'honneur dont tout Japonais était censé s'inspirer dans sa vie quotidienne. Cette popularité a connu un regain avec la rapide modernisation de l'ère Meiji, qui bousculait les traditions, et au cours de laquelle beaucoup de gens cherchaient à retrouver une part de leurs racines perdues.

Le cimetière de Sengaku-ji existe toujours. On y voit le puits, le bassin où a été lavée la tête de Kira, ainsi que le tombeau d'Asano et les 48 stèles dressées sous les arbres. Trois siècles après, de nombreux Japonais viennent encore brûler des baguettes d'encens sur ces tombes pour honorer la mémoire des rōnin. Le thème est resté populaire : dans la seule décennie 1997-2007, la télévision japonaise a consacré dix réalisations à cette épopée.

Histoire[modifier | modifier le code]

Les sources étant parfois divergentes, la version donnée ici compile prudemment de nombreuses sources, et notamment le récit de témoins oculaires sur différents épisodes de cette « saga ».

Prologue[modifier | modifier le code]

Représentation de l'attaque de Naganori Asano sur Yoshinaka Kira au château d'Edo.

En 1701, deux daimyos (seigneurs) sont appelés à la cour du shogun à Edo (l'actuelle Tokyo). Il s'agit de Kamei Korechika et Asano Naganori, le jeune daimyo du fief d'Akō dans la province de Harima (à l'ouest du Honshū). Ils sont chargés d'organiser la cérémonie d'accueil pour le cortège de l'empereur Higashiyama, attendu à la cour du shogun à l'occasion du sankin kōtai, la réunion périodique des daimyos.

Pour s'instruire sur l'étiquette très rigide de la cour, ils se présentent au maître des cérémonies, Kira Kōzuke no Suke[2] Yoshinaka, haut fonctionnaire du shogunat de Tokugawa Tsunayoshi. Or, ce dernier se montre mal disposé à leur égard, probablement à cause de la modicité des présents reçus en contrepartie de la formation donnée alors que, selon l'usage, il attendait beaucoup plus. Selon certains témoins, Kira était un personnage assez cassant, d'autres le décrivent comme corrompu. Puisque Asano, très croyant et se conformant à l'enseignement de Confucius, refuse d'entrer dans ce jeu de corruption, le maître de cour Kira devient plus arrogant et injurieux à l'égard des deux daimyos et néglige la formation qu'il est censé leur donner[3].

Tandis qu'Asano supporte stoïquement les humiliations, son compagnon Kamei en est de plus en plus irrité et décide de tuer Kira, pour laver cet affront. Les conseillers avisés de Kamei, inquiets de la tournure prise par les événements, soudoient en cachette Kira, évitant un meurtre qui aurait été un désastre aussi bien pour leur prince que pour la cour. De fait, Kira se montre maintenant tout miel envers Kamei, atténuant le courroux de ce dernier[4].

Kira reporte désormais sa hargne sur Asano. Il ne manque aucune occasion de le bafouer, le traitant de cul-terreux. Asano sort de ses gonds, bondit sur Kira une dague au poing, le blesse d'abord au visage, manque son second coup, avant que la garde ne les sépare[5].

Matsu no Ōrōka, le couloir des pins, au château d'Edo, où Asano agressa Kira.

La blessure de Kira est bénigne, mais oser attaquer un haut fonctionnaire du shogunat à Edo, de plus dans l'enceinte du palais du shogun, est un acte gravissime[6] — le simple fait d'y tirer son arme y est passible de la peine de mort. Selon d'autres sources, le crime d'Asano aurait été d'avoir endommagé dans l'action une célèbre porte coulissante dorée. C'est pourquoi Asano se voit contraint à exécuter sur le champ un seppuku (suicide rituel)[7].

Dans une version encore différente, Kamei aurait demandé à disposer (il manque des mots) prétextant étudier, mais Kira aurait refusé cette faveur à Asano, incapable selon lui d'appliquer les rites d'usage (alors que ses mouvements étaient semblables à ceux de Kamei) et demandé à son secrétaire de lui donner des cours. Asano au bord de la fureur dégaine son sabre et donne la possibilité à Kira de se défendre, mais ce dernier préfère fuir. Asano le rattrape, le blesse, endommageant la porte dorée. Le secrétaire de Kira vole au secours de son maître en marchant sur la robe traînante d'Asano, et le fait trébucher. Asano lui tranche la tête et s'enfuit rejoindre son escorte.

Après le suicide d'Asano, tous ses biens sont confisqués, le fief d'Akō revient au shogun et les samouraïs d'Asano se retrouvent rōnin, guerriers sans seigneur.

Quand l'information parvient au principal conseiller à la cour d'Asano, Ōishi Kuranosuke Yoshio, celui-ci met la famille d'Asano en sécurité et remet les clefs du château aux envoyés du gouvernement.

Plan de vengeance des rōnin[modifier | modifier le code]

Deux des 47 rōnin : Horibe Yahei et son fils adoptif, Horibe Yasubei. Yasubei porte un ōtsuchi.

Parmi les quelque 300 personnes de la suite d'Asano, se trouvaient 47 guerriers (50 à l'origine, selon certaines sources) ne pouvant admettre la mort de leur seigneur sans vengeance, notamment leur chef, Ōishi Kuranosuke, bien que la vendetta soit proscrite dans un tel cas. C'est en pleine connaissance de la lourde sanction qu'ils encourent qu'ils s'unissent dans un serment secret : ils vengeront la mort de leur maître en assassinant Kira[8].

Mais ils savent que Kira est bien gardé, sa maison fortifiée et qu'une attaque immédiate serait vouée à l'échec. Pour l'emporter, il faut d'abord surmonter ce dispositif.

Pour rassurer Kira et les autres fonctionnaires du shogunat, ils se dispersent et se font passer pour des commerçants ou des moines. Ōishi lui-même s'établit à Kyoto, fréquentant assidûment tavernes et bordels, pour dissiper toute suspicion de vengeance. Le maître des cérémonies Kira reste cependant méfiant et fait espionner Ōishi ainsi que d'autres hommes d'Asano.

Au cours d'une de ses tournées très arrosées, Ōishi ivre s'effondre dans la rue, et s'endort sous les quolibets des passants.

Un homme de Satsuma, qui passe par là, ne peut admettre un comportement aussi scandaleux d'un samouraï, incapable de surcroît de venger son maître. Il insulte et frappe Ōishi au visage et lui crache dessus. Or c'était une grande offense ne serait-ce que d'effleurer le visage d'un samouraï, sans parler de le passer à tabac.

Peu de temps après, Ōishi se rend auprès de son épouse, qui lui était fidèle depuis 20 ans, et divorce d'elle afin qu'il ne lui soit fait aucun tort si les partisans de Kira voulaient se venger. Il la renvoie chez ses parents avec leurs deux plus jeunes enfants. Il laisse cependant à l'aîné le choix entre rester pour se battre ou partir. Chikara choisit de rester avec son père.

Ōishi mène alors une vie de débauche, à l'opposé des valeurs du samouraï. Pilier des tavernes, habitué des maisons de geishas (en particulier Ichiriki Ochaya), il multiplie les obscénités en public. Ses hommes lui payent même une concubine, dans le but de le calmer, mais ils cherchaient surtout à endormir la vigilance des espions de Kira…

Car tous ces faits sont rapportés à Kira, assoupissant sa méfiance : il paraît désormais clair que la bande d'Asano n'est qu'un ramassis de samouraïs de pacotille, qui n'ont même pas le courage de venger leur maître. Puisqu'ils paraissent inoffensifs, un an et demi s'étant écoulé, il relâche la surveillance.

Les anciens vassaux d'Asano se rassemblent à Edo et obtiennent, sous leur couverture d'artisans ou de commerçants, leurs entrées dans la maison Kira. Ils se familiarisent avec les lieux et les usages du personnel. L'un d'eux, Kinemon Kanehide Okano, épouse même la fille de l'architecte pour se procurer les plans du système de défense. D'autres se procurent des armes et les introduisent dans Edo, dans la plus stricte illégalité, en intelligence avec Ōishi.

Assaut[modifier | modifier le code]

En , Ōishi Kuranosuke est enfin persuadé que la situation est favorable et que la garde de Kira est suffisamment relâchée[9]. Subrepticement, il quitte Kyoto pour se rendre à Edo où sa petite troupe s'est rassemblée dans un lieu secret et a renouvelé le serment de la conjuration.

L'assaut contre la maison de Kira Yoshinaka est lancé à l'aube du [10], sous la neige. Selon le plan minutieusement mis au point, les assaillants se divisent en deux groupes, armés d'épées et de grands arcs. Le premier, sous la conduite d'Ōishi attaquera la porte principale, le second, commandé par son fils, Chikara, prendra la maison à revers. Un coup de gong donnera le signal pour l'assaut et un coup de sifflet annoncera la mort de Kira[11]. On lui coupera la tête pour la porter en offrande sur la tombe du seigneur Asano. Ensuite, ils se rendront et attendront la sanction inéluctable : la mort. Tout cela est décidé au cours d'un dernier repas commun, où Ōishi et ses hommes font serment de ne faire aucun tort aux femmes, enfants et autres personnes sans défense[12]. Le code du bushido n'impose pas de respecter les civils, mais ne l'interdit pas non plus.

L'attaque, Chūshingura, acte 11, scène 2 (estampe de Hokusai).

Ōishi ordonne à quatre hommes d'escalader la clôture pour surprendre les portiers et les neutralise. Ensuite, il fait informer le voisinage qu'il ne s'agit pas de cambrioleurs, mais de guerriers voulant venger la mort de leur seigneur, et qu'il n'arrivera rien à personne, hormis Kira. Les voisins, détestant aussi Kira, se tiennent tranquilles[13].

Ōishi place alors des archers en couverture, certains sur le toit, pour s'assurer que ceux qui dorment encore ne puissent s'échapper et chercher de l'aide.

L'assaut débute par un coup de gong à l'avant de la maison. Dix hommes de Kira y sont affectés, mais l'escouade d'Ōishi Chikara les prend à revers.

Kira, terrifié, s'enfuit avec son épouse et ses servantes, dans un réduit au fond de la véranda, tandis que ses hommes, qui dormaient dans des baraquements à l'extérieur, tentent envain d'entrer dans la maison pour le délivrer. Ils envoient des messagers chercher des secours, mais les archers les abattent[14].

Au terme d'un combat furieux, le dernier homme de Kira est enfin maîtrisé. Seize de ses hommes sont tués, vingt-deux blessés, dont le petit-fils de Kira, mais pas trace de ce dernier. On ne trouve dans la maison que des enfants et des femmes en pleurs. Mais Ōishi s'aperçoit que le lit de Kira est encore chaud : il ne peut être loin[15].

Mort de Kira[modifier | modifier le code]

On finit par le découvrir derrière une tapisserie couvrant un passage vers une cour intérieure, avec plusieurs de ses hommes, qui sont tués.

Les rōnin se rassemblent et, à la lueur d'une lanterne, Ōishi identifie Kira : la cicatrice qu'il garde à la tête depuis le coup porté par Asano lève tout doute sur son identité.

Ōishi, par déférence pour le rang de Kira, s'agenouille devant lui, lui expliquant qui ils sont, et leur exigence de tirer vengeance pour la mort de leur prince : on lui offre de mourir honorablement en samouraï en exécutant un seppuku. Ōishi propose même son assistance et présente à Kira la dague même qui avait servi à Asano pour se donner la mort[16]. Kira demeure muet, tremblant de peur. Ōishi fait s'agenouiller Kira et il le décapite avec la dague[réf. nécessaire]. Emportant la tête de Kira, les rōnin quittent les lieux[17]. En chemin, Ōishi envoie l'ashigaru Terasaka Kichiemon porter la nouvelle à Akō afin que le monde sache que la vengeance est enfin accomplie.

Bien que cette version faisant de Kichiemon le messager soit la plus communément admise, on a prétendu qu'il se serait enfui avant ou après la bataille, ou qu'il aurait reçu l'ordre de partir avant le rassemblement des rōnin[18].

Suites[modifier | modifier le code]

Le retour des rōnin, acte 11, scène 5, Chūshingura.

Le jour même, les rōnin apportent la tête de Kira sur le tombeau de leur maître, au temple Sengaku-ji, ce qui fait sensation dans les rues[8]. Le récit des événements a vite fait le tour de la ville, et on rapporte que c'est un chœur de louanges qui accompagnait le cortège, certains les invitant même à l'auberge pour leur offrir à boire[19].

Au temple, les 46 rōnin restants lavent et purifient la tête de Kira et la placent à côté de la dague fatale sur la tombe d'Asano. Après s'être recueillis, ils font don au chef de monastère de tout leur argent, en lui recommandant de leur faire des funérailles dignes et de veiller à ce qu'on dise des prières en leur mémoire.

L'heure de la reddition a sonné. On les divise en quatre groupes, sous la garde de daimyos différents[20].

Arrivent alors au temple deux amis de Kira, qui viennent chercher sa tête pour l'enterrer. De nos jours, le temple possède encore le reçu signé à cette occasion par le chef de monastère et les deux amis[21].

Les autorités du shogunat se trouvent embarrassées. D'un côté, les samouraïs s'étaient bien conformés aux usages guerriers du bushido, qui leur imposait de venger la mort de leur maître, d'un autre côté, ils avaient violé l'interdiction des vendettas édictée par le shogun à Edo. Ils sont donc condamnés à mort, mais le shogun leur accorde la mort honorable par seppuku, plutôt qu'une exécution comme de vulgaires criminels[22]. Tous se plient au rite pour finir en guerriers[7].

C'est le Genroku 15, le 19e jour du 12e mois (元禄十五年十二月十九日?, dimanche )[10] que les 46 rōnin s'appliquent la sentence (elle concerne 46 sur les 47 qui avaient participé à l'action, ce qui induit encore en erreur : on parle parfois à tort des « 46 rōnin »).

Conformément à leurs dernières volontés, les condamnés sont enterrés au temple Sengaku-ji, sur une seule rangée face à la tombe de leur seigneur. Quant au 47e rōnin, revenu plus tard de sa mission à Akō, il sera gracié par le shogun, n'étant pas un bushi. Il vivra jusqu'à 78 ans et sera finalement enterré aux côtés de ses camarades[7],[22].

Les tenues et les armes que portaient les rōnin se trouvent encore aujourd'hui au temple, ainsi que le tambour (ōtsuchi) et le sifflet. La majeure partie de l'armement était de leur propre fabrication, car ils voulaient éviter d'éveiller la curiosité en achetant ces articles militaires à un forgeron.

Les tombes des rōnin devinrent aussitôt un lieu public où les gens s'assemblaient pour prier[7], dont cet homme de Satsuma qui avait bafoué Ōishi, alors que celui-ci gisait ivre mort dans le caniveau. Il s'en repent, demande pardon d'avoir cru que Ōishi n'était pas un vrai samouraï, puis, inconsolable, se suicide. On lui accorde finalement d'être enterré à côté des 47 rōnin[22].

Réhabilitation[modifier | modifier le code]

Même si l'on considère ces événements comme des actes purement dictés par le sens de l'honneur et la loyauté, ils ont eu des effets très concrets sur la restauration du clan Asano. La mort du seigneur avait privé d'emploi des centaines de samouraïs, et il leur était en général impossible de trouver une autre place, étant issus d'une maison déshonorée. Beaucoup avaient alors dû se reconvertir en ouvriers agricoles ou journaliers. L'affaire des 47 rōnin ayant réhabilité le nom, beaucoup des samouraïs au chômage retrouvèrent en peu de temps un emploi très honorable. Asano Daigaku Nagahiro, frère cadet de Takuminokami et son héritier, fut rétabli par le shogunat Tokugawa dans ses titres, même s'il ne retrouvait qu'un dixième de l'ancien domaine.

Controverses[modifier | modifier le code]

Bushido ou vengeance ?[modifier | modifier le code]

Certains pensent que les 47 rōnin ont bien appliqué le code du bushido lors de cet événement, mais d'autres, comme Yamamoto Tsunetomo, auteur de l'Hagakure, pensent qu'en laissant passer plusieurs mois avant de venger leur maître, les 47 rōnin ont pris le risque de laisser ce crime impuni dans le seul but d'être certains de tuer Kira. Car ce dernier s'était préparé à l'attaque. Les détracteurs de cette légende pensent donc qu'il s'agit d'une bonne histoire de vengeance, mais pas d'une histoire de bushido.

Ōishi Kuranosuke, le chef des rōnin, souhaitait absolument la mort de Kira, alors que selon le code du bushido, la mort de l'agresseur compte peu [réf. nécessaire]. Il faut avant tout montrer son courage et sa détermination par une réaction forte et immédiate, sans accorder d'importance à la victoire ou la défaite. En laissant passer du temps, Ōishi a pris le risque de déshonorer le nom de son clan (si, par exemple, Kira était mort accidentellement entre-temps), la pire chose qu'un samouraï puisse faire.

Distinguer l'histoire et la légende[modifier | modifier le code]

Le thème ayant été abondamment exploité et édifié en mythe (voir ci-dessous), comment faire la part de la réalité historique et celle de la fiction ?

Les daimyos Kamei et Asano ont bien existé et on a la trace des événements, Genroku 14, le 14e jour du 3e mois (元禄十四年三月十四日?, jeudi )[10]. Le célèbre « incident d'Akō » est réel[7].

La source Mitford, longtemps admise comme fiable, est aujourd'hui contestée, mais offre une bonne base de départ pour toute recherche sur l'affaire. Par clause de style ou par ambition ethnographique, Mitford se justifie :

« Blotti au cœur d'un vénérable bosquet, à Takanawa, un faubourg de Yedo, se cache Sengakuji, dit aussi le Temple de la Colline du Printemps, renommé dans le pays entier pour son cimetière, car c'est là que s'élèvent les tombes des Quarante-sept Rōnin, illustres dans l'histoire japonaise, héros d'un drame japonais, dont je vais ici transcrire la geste. »

— Mitford, A. B[23].

Mitford précisait qu'il s'appuyait sur des traductions de documents de Sengaku-ji qu'il avait étudiés personnellement. Il les avançait comme « preuves » authentifiant la trame de son récit[24]. Ces documents étaient :

  1. … le reçu donné par les vassaux du fils de Kōtsuke no Suke pour la tête de son père, reçu établi lorsque le prieur du monastère avait restitué cette tête à la famille du défunt[21] ;
  2. … un document justifiant la démarche des 47 rōnin, dont une copie a été retrouvée sur chacun des guerriers daté du 12e mois de la 15e année de Genroku[25] ;
  3. … un papier que les 47 rōnin ont déposé sur la tombe de leur seigneur, à côté de la tête de Kira Kōtsuke no Suke[26].

Références culturelles[modifier | modifier le code]

Le drame des 47 rōnin devient l'un des thèmes favoris de l'art japonais, et connaîtra plus tard un certain succès artistique même en Occident.

Aussitôt après les faits, les milieux cultivés au Japon ont des sentiments assez mitigés sur le bien-fondé de la vengeance. La plupart admettent que, parce qu'ils ont exécuté les dernières volontés de leur seigneur, les 47 ont fait ce qu'ils devaient faire, mais sans trancher sur la légitimité de mener cette vengeance à son terme. Avec le temps, néanmoins, l'histoire devient un symbole non de bushido (comme indiqué précédemment), mais de loyauté envers son maître, et plus tard de loyauté envers l'empereur. Ainsi, l'adéquation de l'aventure avec les valeurs morales de la société japonaise transforme très vite l'équipée en épopée, puis en légende.

Théâtre et littérature[modifier | modifier le code]

C'est aussitôt après les faits une floraison de pièces de théâtre (kabuki et bunraku). Deux semaines seulement après la mort des rōnin sort déjà une pièce : Soga, l'attaque nocturne à l'aube, mais elle est immédiatement interdite par les autorités. Cela n'empêche pas la parution d'innombrables autres pièces, d'abord à Osaka et Kyoto, c'est-à-dire un peu à l'écart du pouvoir central. Certaines de ces œuvres sont exportées jusqu'à Manille et popularisent l'épopée dans tout l'Extrême-Orient.

La plus célèbre mise en scène est certainement le spectacle de marionnettes bunraku, Kanadehon Chūshingura (le plus souvent abrégé en Chūshingura qui est resté le terme consacré pour désigner les versions romancées de l'histoire, ou encore le Trésor des fidèles gardiens), composé en 1748 par Takeda Izumo et deux collaborateurs[8]. Par la suite, il en sortira une pièce du théâtre kabuki, qui est jouée jusqu'à nos jours dans tout le Japon.

Dans toutes les œuvres d'époque, les noms des rōnin ont été maquillés et les faits situés dans une époque bien antérieure, sous le règne du shogun Ashikaga Takauji, au XIVe siècle, afin de contourner la censure du shogunat car, pendant la période Genroku, il était interdit de représenter l'actualité ou des faits réels. Nombre de ces alias sont parfaitement connus du public japonais : Enya Hangan Takasada est le pseudonyme d'Asano, derrière Kō no Moronao se cache Kira et Ōboshi Yuranosuke Yoshio est le nom de scène d'Ōishi. Il en va plus ou moins de même pour les noms des autres rōnin. Les auteurs ont aussi pris quelques libertés avec les faits : Moronao tente de séduire la femme de Enya, un rōnin meurt avant l'assaut, déchiré par un dilemme entre famille et loyauté chevaleresque (c'est encore une raison à la confusion sur les « 46 rōnin »).

Quoi qu'il en soit, trois quarts de siècle après les faits, la censure du shogun s'étant relâchée, le nipponologiste Isaac Titsingh considérait l'histoire des 47 rōnin comme l'un des événements les plus marquants de l'époque Genroku[7]. C'est lui qui publie la première relation de l'incident d'Akō en Occident[réf. nécessaire], en 1822 dans un ouvrage posthume, Illustrations of Japan.

La version la plus diffusée en Occident paraît en 1871 sous la plume de Algernon Bertram Mitford, Tales of Old Japan.

Jorge Luis Borges reprend l'histoire dans sa première collection de nouvelles, Une histoire universelle de l'infamie, sous le titre « Le maître de cérémonies impoli, Kotsuke no Suke ».

L'épisode “Samurai Goodfellas”, dans History Bites, mêle à l'histoire des éléments issus du Parrain (The Godfather).

Le roman historique de Lucia St. Clair Robson, The Tokaido Road, est une autre adaptation des 47 rōnin, et on trouve également des références à la légende dans le roman de Martin Cruz Smith, December 6.

Les acteurs Dylan et Cole Sprouse ont créé une collection de livres d'aventures intitulée 47 R.O.N.I.N. (publiée par Simon & Schuster Inc.). Il s'agit de deux jumeaux de 15 ans, Tom et Mitch, qui apprennent que leur père et leur majordome sont membres d'une organisation de lutte contre les gangs qui remonte au Japon féodal, R.O.N.I.N. Leur père étant en danger, ils rejoignent l'organisation.

Le roman The Fifth Profession, de David Morrell fait un leitmotiv des références à la légende des 47 rōnin pour montrer la fidélité au-delà de la mort.

Un passionné du Japon, le chorégraphe français Maurice Béjart, a composé le ballet Kabuki sur le même thème en 1986. En 20 ans, Kabuki a été représenté à plus de 140 reprises et dans 14 pays.

Cinéma et télévision[modifier | modifier le code]

Au XXe siècle, le cinéma s'empare de la légende. Le premier film, avec Matsunosuke Onoe, a été réalisé entre 1910 et 1917 (la date est incertaine). Dès 1928, Shōzō Makino en est à sa seconde version des 47 rōnin (Jitsuroku chūshingura). Le mythe s'exporte lorsque Kenji Mizoguchi réalise, en 1941-1942, La Vengeance des 47 rōnin (Genroku chūshingura). C'est au départ une commande de l'armée qui voyait dans cette histoire un outil de propagande pour galvaniser le sens de la fidélité et du devoir dans le peuple. Mizoguchi a le « mauvais esprit » d'aller chercher l'argument dans le Mayama chūshingura, version intellectuellement ambitieuse, et son film sera un échec commercial, étant sorti une semaine avant Pearl Harbor.

Les militaires et le grand public boudent la première partie, jugée trop ardue, mais le studio et Mizoguchi la considèrent comme suffisamment importante pour engager le tournage du second volet. Célèbre chez les cinéphiles qui ont eu la chance de le voir au Japon, Les 47 Rōnin n'ont été présentés aux Américains que dans les années 1970[27]. Ensuite, le thème ne cessera d'inspirer les cinéastes japonais, à raison d'un ou deux films par an : entre autres Tatsuo Ōsone, Kunio Watanabe en 1954 et Hiroshi Inagaki (Chūshingura). C'est par la version de 1962, Chūshingura: Hana no maki yuki no maki, dans l'adaptation de Seika Mayama, que le grand public occidental découvre le mythe. Toshirō Mifune y interprète le lancier mythique Genba Tawaraboshi. Mifune revisite la légende à plusieurs reprises dans sa carrière : on le retrouve en 1971 dans le rôle d'Ōishi dans une série télévisée, et à nouveau en 1978 comme maître Tsuchiya dans l'épopée Ako-Jo danzetsu.

On peut encore citer la version de Kon Ichikawa en 1994, Les 47 Rōnin (Shijūshichinin no shikaku)[28],[29] et un film de Hirokazu Kore-eda en 2006, Hana yori mo naho, où l'histoire des 47 rōnin apparaît en filigrane, l'un des rōnin étant voisin des protagonistes.

Le cinéma occidental reprend le thème, mais « adapté » aux valeurs américaines. John Frankenheimer tourne en 1998 un film intitulé Rōnin, en fait une histoire de mercenaires qui seraient guidés par une morale proche de celle des samouraïs (le parallèle avait déjà été osé lorsque John Sturges tourna les Sept Mercenaires en s'inspirant des Sept Samouraïs d'Akira Kurosawa).

47 Ronin, un film américain, écrit et réalisé par Carl Rinsch, avec comme acteur principal Keanu Reeves, est sorti en [30].

La télévision n'est pas en reste : de nombreuses chaînes japonaises ont exploité le thème sous forme de dramatiques, de séries saisonnières, voire annuelles (telles la série en 52 épisodes Daichushingura diffusée en 1971, avec Toshirō Mifune dans le rôle d'Ōishi), ou plus récemment un taiga drama[31], Genroku Ryōran.

Certains de ces films ou programmes TV sont relativement fidèles aux faits, d'autres les romancent en épiçant le récit de faits purement fictifs, en particulier les gaidens, petits épisodes imaginaires greffés de nos jours sur la trame historique.

Même Matt Groening, dans sa série populaire, Les Simpson, réserve un épisode aux rōnin, Trente minutes sur Tokyo, où Homer et Bart, prisonniers au Japon, se voient contraints d'interpréter une pièce de kabuki tirée de la légende.

Le jeu de Nickelodeon fait tourner un épisode de Légendes du Temple Caché autour d'un Éventail de guerre des quarante-sept rōnin.

Arts graphiques[modifier | modifier le code]

Les 47 rōnin sont l'un des thèmes favoris de l'estampe ou ukiyo-e ; les graveurs les plus fameux l'ont illustré. Un livre consacré aux thèmes ayant inspiré les graveurs ne consacre pas moins de sept chapitres aux différentes représentations des 47 rōnin.

Parmi ces artistes, citons Utamaro, Toyokuni, Hokusai, Kunisada et Hiroshige. Kuniyoshi a réalisé au moins 11 séries distinctes et plus de 20 triptyques sur ce sujet.

En Occident, c'est la bande dessinée qui exploite le thème : la BD anglo-saxonne Beckett Comics met en scène en 2005 une parodie de Robin des bois (Rōnin des bois !) au Japon[32].

Dans le manga One Piece écrit par Eichiro Oda, l'arc de Wano est partiellement inspiré par l'histoire des 47 Ronin. Les neuf fourreaux rouges sont en effet des samouraïs revenant venger leur maître injustement assassiné.

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Kanadehon, Columbia University
  2. De la province de Kōzuke, no Kokushi, qui indique un rang de personnage officiel (suke).
  3. Mitford, Tales of Old Japan, 1871, p. 7.
  4. Mitford, p. 8–10.
  5. Mitford, p. 10–11.
  6. Mitford, p. 11–12.
  7. a b c d e et f Isaac Titsingh in T. Screech (trad.),Secret Memoirs of the Shoguns: Isaac Titsingh and Japan, 2006, p. 91.
  8. a b et c Hiroyuki Ninomiya (préf. Pierre-François Souyri), Le Japon pré-moderne : 1573 - 1867, Paris, CNRS Éditions, coll. « Réseau Asie », (1re éd. 1990), 231 p. (ISBN 978-2-271-09427-8, présentation en ligne), chap. 5 (« La culture et la société »), p. 130-131.
  9. Mitford, p. 16.
  10. a b et c Tsuchihashi conversion
  11. Mitford, p. 16–17.
  12. Mitford, p. 17–18.
  13. Mitford, p. 18–19.
  14. Mitford, p. 19–20.
  15. Mitford, p. 22.
  16. Mitford, p. 23–24.
  17. Mitford, p. 24–25.
  18. Henry D. II Smith, « The Trouble with Terasaka: The Forty-Seventh Ronin and the Chūshingura Imagination », Japan Review,‎ , p. 16:3–65 (lire en ligne [PDF])
  19. Mitford, p. 25–26.
  20. Mitford, p. 26–27.
  21. a et b Mitford, p. 30.
  22. a b et c Mitford, p. 28.
  23. Tales of Old Japan, 1871, p. 5–6.
  24. Mitford, p. 28–34.
  25. Mitford, p. 31.
  26. Mitford, p. 32.
  27. archives du Chicago Reader
  28. Jean Tulard, Guide des Films, coll « Bouquins », éd. Robert Laffont, 1991.
  29. Dictionnaire du cinéma, Jean-Loup Passek (dir.), coll. « In Extenso », éd. Larousse, 2003
  30. (en) Meredith Woerner, « Why 47 Ronin Could Be "Kurosawa on Meth" », sur io9.com, (consulté le ).
  31. le taiga drama est une dramatique historique longue (elle est diffusée sur une année) de la chaîne japonaise NHK
  32. Ronin Hood des 47 samouraï (pt)

Annexes[modifier | modifier le code]

Sur les autres projets Wikimedia :

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Sources primaires[modifier | modifier le code]

  • Isaac Titsingh,
    • Mémoires et Anecdotes sur la Dynastie régnante des Djogouns, Souverains du Japon, Nepveu, Paris, 1820.
    • (en) Timon Screech (éditeur scientifique), Secret Memoirs of the Shoguns: Isaac Titsingh and Japan, 1779–1822, London, 2006.
  • (en) Algernon Bertram Freeman-Mitford, Lord Redesdale Mitford, Tales of Old Japan, Londres, University of Michigan, (lire en ligne) ; réimpression éd. Charles E. Tuttle, 1982

Articles[modifier | modifier le code]

  • (en) Bitō Masahide, Henry D. Smith II (trad.), The Akō Incident, 1701-1703 in Monumenta Nipponica, 58-2, 2003, pp. 149-169. (publication originale : chapitre Akō gishi in Genroku jidai, vol. 19 de Nihon no rekishi, Shōgakukan, 1975, p. 297-323).

Divers[modifier | modifier le code]

  • Les Fidèles Ronins, roman historique japonais par Tamenaga Shounsoui, traduit sur la version anglaise de MM. Shiouichiro Saito et Edward Greey par B.-H. Gausseron, professeur de l'Université, illustré par Kei-Sai Yei-Sen, de Yédo. Paris, A. Quantin, imprimeur-éditeur, 1882.
  • Le Mythe des quarante-sept rônin, présentation et traduction par René Sieffert, Publications orientalistes de France, 1981 (ISBN 2-7169-0153-8)
  • Les 47 Rōnin de George Soulié de Morant (Budo Éditions, Noisy-sur-École, 2006), contient une introduction d'Olivier Gaurin et un reportage photographique sur le temple de Sengaku-ji de Tokyo où sont enterrés les 47 rōnin.
  • (en) John Allyn, The Forty-Seven Ronin Story, Charles E. Tuttle, New York, 1981.
  • (en) Hiroaki Sato, Legends of the Samurai, Overlook Press, 1995, contient de documents originaux, notamment le témoignage fascinant d'un spectateur qui a assisté à l'arrestation, au jugement et à la mort d'Asano.
  • (en) William Theodore De Bary, Donald Keene, Ryusaku Tsunoda, Sources of Japanese Tradition, Columbia University, 1960, 2d Ed., Chapter 31.
  • (en) Frederick V. Dickens, Chūshingura, or The Loyal League, Londres, 1876 ; réimpression à Glasgow, 1930.
  • (en) Donald Keene, Chūshingura: A Puppet Play, Columbia University, 1971.
  • (en) Basil Steward, Subjects Portrayed in Japanese Colour-Prints, New York, 1922, rééd. Dover, 1979 ; contient 7 chapitres concernant l'histoire de la représentation des rōnin à travers l'estampe.
  • (en) B. W. Robinson, Kuniyoshi: The Warrior Prints, Cornell University, 1982 ; liste toutes les estampes de Kuniyoshi consacrées aux rōnin.
  • (en) David R. Weinberg, Alfred H. Marks, Kuniyoshi: The Faithful Samurai, Hotei, Leiden, 2000 ; grandes illustrations avec toutes les séries les plus célèbres que Kuniyoshi a consacrées aux rōnin, chacune étant accompagnée de la traduction de la notice biographique de chaque rōnin.

Œuvres dérivées[modifier | modifier le code]

  • Jorge Luis Borges, « Kotsuke no Suke, maître des cérémonies impoli », dans un recueil de nouvelles, Une histoire universelle de l'infamie.

Liens externes[modifier | modifier le code]