Alija Izetbegović — Wikipédia

Alija Izetbegović
Алија Изетбеговић
Illustration.
Alija Izetbegović en 1997.
Fonctions
Président du collège présidentiel
de Bosnie-Herzégovine

(8 mois)
Président du Conseil Svetozar Mihajlović
Spasoje Tuševljak
Prédécesseur Ante Jelavić
Successeur Živko Radišić

(2 ans et 8 jours)
Président du Conseil Hasan Muratović
Boro Bosić
Prédécesseur Lui-même (président de la République)
Successeur Živko Radišić
Président de la République
de Bosnie-Herzégovine

(5 ans, 9 mois et 15 jours)
Président du Conseil Marko Ceranić
Jure Pelivan
Mile Akmadžić
Haris Silajdžić
Hasan Muratović
Prédécesseur Création du poste
Successeur Lui-même (président du collège présidentiel)
Biographie
Date de naissance
Lieu de naissance Bosanski Šamac (Royaume des Serbes, Croates et Slovènes, aujourd'hui Bosnie-Herzégovine)
Date de décès (à 78 ans)
Lieu de décès Sarajevo (Bosnie-Herzégovine)
Nationalité bosnienne
Parti politique Parti d'action démocratique (SDA, Stranka demokratske akcije)
Conjoint Halida Repovac
Enfants Sabina Izetbegović
Lejla Izetbegović
Bakir Izetbegović
Diplômé de Université de Sarajevo
Profession Avocat, philosophe
Religion Islam

Signature de Alija IzetbegovićАлија Изетбеговић

Alija Izetbegović Alija Izetbegović
Chefs d'État bosniens

Alija Izetbegović, né le à Bosanski Šamac (Royaume des Serbes, Croates et Slovènes, actuelle Bosnie-Herzégovine) et mort le à Sarajevo (Bosnie-Herzégovine), est un philosophe et homme d'État bosnien.

Biographie[modifier | modifier le code]

Famille et jeunesse[modifier | modifier le code]

Sa famille distinguée, mais appauvrie descendait de la famille de l'ancien aristocrate bosniaque Izet-bey Jahić de Belgrade qui avait fui en Bosnie en 1868, après le retrait des dernières troupes ottomanes de la Serbie. Alors qu'il était soldat à Üsküdar, le grand-père d'Alija Izetbegović avait épousé une femme turque nommée Sıdıka Hanım. Le couple a finalement déménagé à Bosanski Samac et a eu cinq enfants. Le grand-père de Izetbegović est devenu plus tard le maire de la ville, et aurait sauvé quarante Serbes de l'exécution qui étaient aux mains des autorités austro-hongroises après l'assassinat de François-Ferdinand d'Autriche par Gavrilo Princip en .

Le père d'Izetbegović, un comptable, avait combattu pour l'armée austro-hongroise sur le front italien pendant la Première Guerre mondiale et avait subi des blessures graves qui l'ont laissé dans un état semi-paralysé pendant au moins une décennie. Il déclare faillite en 1927. L'année suivante, la famille déménage à Sarajevo, où Izetbegović reçoit une éducation laïque.

En 1943, il fait ses études supérieures à Sarajevo et devient membre de l'organisation des « Jeunes Musulmans » (Mladi muslimani), qui apportent de l'aide aux réfugiés tout en collaborant avec le régime fasciste croate des Oustachis et l'occupant nazi[1],[2]. Les « jeunes musulmans » sont déchirés entre la division Handschar de la Waffen-SS en majorité musulmane et les partisans yougoslaves communistes. Izetbegović est détenu par les Tchetniks royalistes serbes à la mi-1944, mais il est libéré par gratitude pour le rôle de son grand-père dans la libération des quarante otages serbes en 1914.

Il est arrêté avec d'autres jeunes militants musulmans par les communistes yougoslaves après la guerre et condamné à trois ans de prison en 1946, non pas du fait de sa collaboration avec les Allemands, mais parce qu'il était opposé au régime de Josip Broz Tito. Il avait tenté de former un parti successeur de l'Organisation musulmane yougoslave, le principal parti bosniaque de l'entre-deux-guerres. Lui et ses compagnons sont incarcérés pour « extrémisme islamique » par le régime communiste yougoslave[3].

Avant l'incarcération, il avait obtenu un diplôme de droit à l'Université de Sarajevo.

Déclaration islamique[modifier | modifier le code]

Il publie en 1970 la Déclaration islamique (Islamska deklaracija) dans laquelle il exprime ses vues concernant la relation entre l'État, la religion et la société et qui fut interprété par les autorités yougoslaves comme un appel à l'instauration de la Charia en Bosnie[4]. Cette publication lui vaudra quelques mois de prison en 1972 et a été source de controverses. Les Serbes nationalistes interprètent les passages comme celui ci-dessous comme l'intention de créer une république islamiste en Bosnie[5] :

«  Il n’y a pas de paix, ni de coexistence entre la religion islamique et les institutions sociales non islamiques […]. Le mouvement islamique doit et peut prendre le pouvoir dès qu’il est moralement et numériquement fort, à tel point qu’il puisse non seulement détruire le pouvoir non islamique, mais qu’il soit en mesure d’être le nouveau pouvoir islamique […] »

Alija Izetbegović a toujours rejeté ces allégations. L'universitaire britannique Noel Malcolm (en), dans son ouvrage Bosnia: A Short History[6], qualifie de « propagande » l'utilisation de la Déclaration islamique par les nationalistes serbes, faisant valoir que cette Déclaration était « un traité général sur la politique et l'Islam, adressé à l'ensemble du monde musulman (mais pas aux musulmans de Bosnie) ; il ne concerne pas la Bosnie, et en fait, il ne la mentionne même pas », et de préciser : « Il n'y a qu'un seul passage dans l'ensemble du traité qui s'applique directement au statut politique des musulmans de Bosnie :

« Les communautés musulmanes incluses dans des communautés non musulmanes, aussi longtemps qu'il existe une garantie de liberté religieuse, de vie et de développement normaux, sont loyales et ont l'obligation d'exécuter toutes leurs obligations à l'égard de ces communautés, à l'exception de celles qui portent atteinte à l'islam et aux musulmans. »

« On ne peut dire d'aucun de ces arguments-là qu'il serait fondamentaliste »[7] conclut l'auteur, qui précise aussi que Alija Izetbegović développe ses opinions sur les rapports de l'Islam avec l'occident dans son ouvrage L'Islam entre l'Est et l'Ouest[8].

Les conceptions d'Izetbegović à ce sujet ont été exposées de manière bien plus complète dans un ouvrage plus long et plus important paru au début des années 1980 : L'Islam entre l'est et l'ouest [ed. François-Xavier de Guibert], où il tente de présenter l'islam comme une sorte de synthèse intellectuelle incluant les valeurs de l'Europe occidentale. L'ouvrage contenait des pages éloquentes à la gloire de la Renaissance (y compris les portraits) et de la littérature européenne ; il décrivait la Chrétienté comme « quasiment l'association d'une religion suprême avec une éthique suprême » ; il contenait aussi un chapitre particulier à la gloire de la philosophie et de la culture anglo-saxonnes et de la tradition démocrate-sociale[9].

Les Musulmans de Bosnie étaient alors l'une des populations musulmanes les plus laïcisées du monde.[réf. nécessaire]

Emprisonnement[modifier | modifier le code]

En 1983, Alija Izetbegović, aux côtés d'autres Bosniaques, est jugé lors d'un procès politique sur les bases de « nationalisme musulman » et « propagande ennemie » à la suite de la parution de son ouvrage L'Islam entre l'Est et l'Ouest en 1982. Il est condamné à purger quatorze années de pénitencier à Zenica. Izetbegović est ensuite amnistié et libéré en 1988 lors du courant de libéralisation qui précéda la chute du régime communiste en Yougoslavie.

Il fonde en 1989 le SDA (Stranka Demokratske Akcije ou Parti d'action démocratique), parti national des Musulmans de Bosnie --lesquels s'appellent eux-mêmes désormais "Bosniaques", ayant repris à leur compte les arguments de Muhamed Filipović qui, dans les années 1980, avait fait valoir le caractère archaïque de la référence religieuse par rapport à l'identification nationale de ces habitants de la Bosnie. Lors des premières élections libres tenues en Bosnie-Herzégovine, son parti obtient 33 % des suffrages, faisant de son parti le plus puissant de Bosnie.

Chef de l'État[modifier | modifier le code]

En , à l'issue des premières élections libres en Bosnie-Herzégovine, le S.D.A. forme une alliance avec les partis nationalistes Croate (H.D.Z.) et serbe (S.D.S.) de Bosnie, et leur gouvernement de coalition remplace les titistes qui avaient réprimé le nationalisme au nom de la multi-ethnicité[10]. En , Izetbegović est élu président de la République de Bosnie-Herzégovine.

À l'été 1991, alors que la Croatie est attaquée par l'armée "yougoslave" dont la direction politique de Serbie a usurpé le commandement[11], Izetbegović refuse de prendre parti par peur de voir le conflit s'étendre à la Bosnie-Herzégovine et dissuade les Bosniaques de répondre à la mobilisation[12].

L'ancienne fédération yougoslave étant dissoute, la Bosnie-Herzégovine se retrouve de facto indépendante et la direction politique serbe multiplie les promesses et les menaces pour la pousser à rejoindre une nouvelle "République fédérale de Yougoslavie" unissant le Monténégro à la Serbie. Le président croate Franjo Tuđman, qui espère partager la Bosnie-Herzégovine avec Slobodan Milošević, finit par comprendre que l'indépendance sert ses visées et soutient celle-ci. Elle est votée par referendum et proclamée à la fin du mois de , reconnue par les États-Unis d'Amérique et par les membres de l'Union européenne (puis par l'Union européenne après 1995) en avril de la même année.

Izetbegović prônait officiellement une Bosnie multi-ethnique[13]. À la différence des militaires croates (Martin Špegelj, Antun Tus), qui avaient envisagé la guerre et s'y étaient préparés—y compris dans le dos de Tuđman, c'est à peine si une milice bosniaque existait : Izetbegović avait même approuvé le désarmement de la Défense Territoriale (TO) des non-Serbes, pour éviter toute provocation. Il croyait que la Armée populaire yougoslave (JNA) empêcherait les conflits alors que celle-ci, encore dirigée par Veljko Kadijević au service de Milošević[11], avait pris position dès 1991 pour créer une vaste zone serbe aux dépens de la République et assiéger Sarajevo.

Au départ, l'armée de la République ressemble donc plus à celle des Chouans qu'à une véritable armée, avec ses fleurs de lys à l'épaule (les armes de Tvrtko Kotromanić, premier roi de Bosnie en 1377) et son fusil pour deux combattants. Elle s'organise d'abord autour de la police et de quelques mafieux, qui seront ensuite éliminés[réf. nécessaire]. L'argent viendra progressivement des pays du Golfe Persique, de Turquie, tandis que la plupart des armes viendront d'Iran, avec la complicité des États-Unis et de la Croatie[14]. Elle laisse des volontaires islamistes constituer en son sein des unités à part, non contrôlées par l'Armée de la République de Bosnie-Herzégovine, et offre des camps d'entraînement aux moudjahidines du monde entier. Entre 1 000 et 2 000 moudjahidines auraient été présents en Bosnie entre 1993 et 1995 (les chiffres varient entre quelques centaines et 4 000)[15]. Izetbegović rencontre aussi à plusieurs reprises Oussama ben Laden, qui soutient financièrement l'armement des moudjahidines de Bosnie et séjourne régulièrement en Bosnie entre 1993 et 1996. Il reçoit d'Izetbegović un passeport bosnien en 1993[16]. Cependant, lorsque le rapport de forces s'équilibrera, les Serbes contrôlent déjà 70 % du territoire de la République.

Appuyé par l'Union européenne, Izetbegović refuse le le plan Carrington-Cutileiro qui prévoit une partition ethnique de la Bosnie sous prétexte d'« imiter la Suisse et ses cantons ». L'Union Européenne renoncera à toute intervention militaire après le voyage à Sarajevo de François Mitterrand le , où celui-ci obtient des Serbes suffisamment de concessions ostensibles pour désamorcer ces velléités. Les casques bleus, sur place depuis l'agression contre la Croatie, serviront d'alibi humanitaire au nettoyage ethnique au lieu de repousser l'agression internationale.

La guerre durera jusqu'en , après que l'alliance de la Croatie et de la Bosnie-Herzégovine, imposée aux accords de Washington en à Tuđman par les États-Unis, puis quelques bombardements de l'OTAN, auront fait basculer le rapport des forces au détriment de l'agresseur serbe. Selon le Centre de Recherche et de Documentation de Sarajevo (RDC), elle aura fait 96 000 victimes directes : 64 000 bosniaques, 24 200 serbes, et 7 400 croates.

Izetbegović, contraint et forcé, signe, aux côtés du président croate Franjo Tuđman et du président serbe Slobodan Milošević les accords de paix de Dayton en , qui mettent fin à la guerre.

Tombe d'Alija Izetbegović

Alija Izetbegović aura été président de la République de 1990 à 1996, puis président du collège présidentiel de 1996 à 1998 et en 2000, mais il ne termine pas son dernier mandat et se retire de la vie politique. Il décède des suites de maladies cardiaques en 2003.

Héritage[modifier | modifier le code]

Le président Jacques Chirac charge Bernard-Henri Lévy de conduire la délégation française aux obsèques d'Alija Izetbegović. Dix ans après, l'écrivain et philosophe se souvient, à l'occasion du discours de commémoration de la mort du président bosniaque, d'un "chef de guerre paradoxal et, finalement, victorieux – je fais le portrait de cet avocat, de ce lettré, de cet « homme doux » au sens de Dostoïevski, plongé dans une tourmente qu’il n’avait pas voulue et devenu, bien malgré lui, le de Gaulle de la Bosnie en lutte."[17]

Le , sa tombe au cimetière de Kovači à Sarajevo est endommagée par une explosion. Cet acte est probablement d'ordre politique[18],[19].

En 2007, s'ouvre le Musée Alija Izetbegović dans deux bastions de l'ancienne forteresse de Vratnik.

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Encyclopédie Universalis 2008 article IZETBEGOVIC Alija
  2. Totten, Samuel; Paul Robert Bartrop, and Steven L. Jacobs. Dictionary of Genocide. Westport, CT: Greenwood Publishing Group, 2008 (ISBN 0-313-34642-9), (ISBN 978-0-313-34642-2) P. 228
  3. John R. Lampe, Yugoslavia as History : Twice there was a Country, Cambridge, Cambridge University Press, 2000, page 252
  4. « Obituary: Alija Izetbegovic », sur bbc.co.uk
  5. Alexandre del Valle. Guerre contre l’Europe Bosnie-Kosovo-Tchétchénie Éditions Syrtes, 2000 p.117/ 431.
  6. (en) Noel Malcolm: Bosnia_A Short History, Macmillan, 1994, 1996, compte-rendu Dr Peter Anthony Ercegovac, University of Sydney. octobre 1999
  7. "La Fable de l'islamisme bosniaque", extraits de Bosnia: A Short History
  8. (bs) Noel Malcolm (en), « Bosnia and Death of Yugoslavia: 1989-1992 (traduit ) »
  9. Izetbegović, "Islam izmedju istoka i zapada", Sarajevo, 1988, pp. 107-9, 132, 251-64
  10. Encyclopédie Universalis 2008 article IZETBEGOVIC
  11. a et b Srđa Popović: "La destruction de la Yougoslavie"
  12. "À la suite d'un conflit opposant Croates et Serbes à Ravno, le Président Izetbegović aurait en effet déclaré : « cette guerre n’est pas la nôtre »". Cf. TPIY, Jugement de Première Instance contre Tihomir Blaškić --Le Droit applicable
  13. Encyclopédie Universalis 2008 Article IZETBEGOVIC
  14. (en) Marko Attila Hoare: How Bosnia Armed: The Birth And Rise of the Bosnian Army
  15. Alija Izetbegović sur historycommons.org Context of '1993-1995: Mujaheddin Reach a Peak of Up to 4,000 in Bosnia'
  16. Voir, par exemple, (en) Alija Izetbegovic sur History Commons, et les nombreuses références données.
  17. « Le discours de Sarajevo (Le Point, le 24 octobre 2013) », sur www.bernard-henri-levy.com,
  18. La tombe d'Alija Izetbegovic à Sarajevo endommagée par une explosion., AtlasVista, 11 août 2006.
  19. (en) Bosnian war leader's tomb damaged., BBC News, 11 août 2006.

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]