Apologie du terrorisme — Wikipédia

L'apologie du terrorisme ou l'incitation aux actes de terrorisme (incitement to terrorism en anglais[Note 1]) est toute action de communication publique présentant sous un jour favorable des actes terroristes, ou ceux qui les ont commis. La justification de tels actes est également considérée comme une apologie. Cet acte peut être perpétré à travers tout type de média notamment depuis des réseaux sociaux sur internet.

Constitution du terme[modifier | modifier le code]

En droit, la définition exacte de l'apologie du terrorisme est délicate. Certains spécialistes du droit comme le Conseil national des droits de l'homme[1] du Maroc, ou Amnesty International[2], estiment que ce terme devrait mieux être défini afin d'éviter l'application de lois liberticides.

Droit par pays[modifier | modifier le code]

Au Canada[modifier | modifier le code]

En droit pénal canadien, l'apologie du terrorisme se limite au « fait de préconiser ou de fomenter la perpétration d'infractions de terrorisme », afin de ne pas limiter excessivement la liberté d'expression[3]. Le texte de l'infraction est prévu à l'article 83.221 du Code criminel : « 83.221 (1) Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans, quiconque conseille à une autre personne de commettre une infraction de terrorisme sans préciser laquelle »[4]. L'alinéa 2 de cette disposition prévoit qu'« il n’est pas nécessaire que l’infraction de terrorisme soit commise par la personne qui a été conseillée ».

En France[modifier | modifier le code]

Délit de presse jusqu'en 2014[modifier | modifier le code]

En France, l'apologie du terrorisme est un délit apparu dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse initialement réprimé par son article 24 sous le régime relativement protecteur des délits de presse[5],[6],[7].

Délit de droit commun depuis la loi Cazeneuve[modifier | modifier le code]

La loi du renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, dite « Loi Cazeneuve », supprime les contraintes procédurales de garantie de la liberté d'expression en le réprimant, avec le délit d'incitation, sous le régime du droit commun par l'article 421-2-5 du Code pénal[8],[9],[10],[11]. Il peut désormais être jugé en comparution immédiate et tous les parquets peuvent poursuivre de ce chef de prévention qui n'est plus jugé devant une juridiction spécialisée[12],[13],[14].

La définition de l'apologie du terrorisme, l'élément d'intentionnalité, la proportionnalité des peines au regard des impératifs de protection de la liberté d'expression sont au cœur de débats[7] ,[15],[16].

Périmètre jurisprudentiel de l'apologie du terrorisme[modifier | modifier le code]

La loi française ne définissant pas l'apologie, ce sont les jurisprudences de la Cour de Cassation, du Conseil Constitutionnel et de la CEDH qui délimitent le périmètre de cette notion apparue en droit interne en 1893[7] ,[15],[16],[17].

En 2015, le Conseil constitutionnel définit une apologie comme le fait de « décrire, présenter ou commenter une infraction en invitant à porter, sur elle, un jugement moral favorable », reprenant une jurisprudence constante de la Cour de Cassation[18],[17]. La Cour de Cassation retient notamment comme constitutif de l'apologie de terrorisme la « glorification d’un ou plusieurs actes ou celle de leur auteur », « l’incitation à porter un jugement de valeur morale favorable » sur les auteurs, ou encore le fait de manifester « une égale considération pour des victimes d'actes de terrorisme et l'un de leurs auteurs »[19],[20],[21],[17].

Conformité et conventionnalité[modifier | modifier le code]

Le , le Conseil Constitutionnel juge le délit d'apologie terroriste conforme à la Constitution[22],[23]. Cependant dans une réserve d'interprétation du , il écarte celui de « recel d'apologie du terrorisme » qui « porte à la liberté d'expression et de communication une atteinte qui n'est pas nécessaire, adaptée et proportionnée »[22]. La Cour Européenne des Droits de l'Homme s'attache à vérfier la proportionnalité des condamnations au regard de l'article 10 de la Convention européenne des Droits de l'homme particulièrement concernant le quantum de la peine[14],[17].

Inquiétudes relatives à la liberté d'expression[modifier | modifier le code]

Depuis l'attentat contre Charlie Hebdo en 2015, des associations de défense des droits de l'homme relèvent un accroissement des arrestations et condamnations pour ce délit, selon les statistiques du ministère de l'intérieur. On remarque une augmentation du nombre de mineurs poursuivis, ainsi qu'un élargissement envers des affaires n'impliquant généralement pas d'incitation directe à la violence, mais tournant autour d'interactions en état d'ivresse avec la police ou de déclarations provocantes dans les cours d'école ou sur les médias sociaux[10]. Un danger pour la liberté d'expression est dénoncé par Human Rights Watch[24].

En octobre 2020, dans le contexte de menace par le gouvernement de dissolution d'associations à la suite de l'attentat de Conflans-Sainte-Honorine, France Info note : « Le ministère de l'Intérieur explique qu'il s'appuiera sur un « fondement double » avec d'un côté « ce qui touche à l'apologie du terrorisme et aux haines identitaires et religieuses » et de l'autre, « ce qui touche à l'ordre public ». Depuis vingt ans, une trentaine d'associations ont déjà été dissoutes sur décision de l’État, en majorité des associations musulmanes ou d'ultradroite »[25].

En Belgique[modifier | modifier le code]

Si le droit belge réprime l'incitation au terrorisme, la Cour constitutionnelle belge juge, dans un arrêt du , anticonstitutionnel le délit d'apologie du terrorisme en ce qu'il « n'est pas nécessaire dans une société démocratique et limite la liberté d'expression de manière disproportionnée »[7],[26].

En Espagne[modifier | modifier le code]

L'article 18.1 du Code pénal espagnol criminalise la provocation à commettre toute infraction pénale et, par extension, l'apologie d'une infraction pénale[27]. la loi organique no 7/2000 interdit explicitement, sous peine d'un à deux ans d'emprisonnement :

...la glorification ou la justification, par toute forme d'information ou de communication du public, des infractions visées aux articles 571 à 577 et de faire référence à l'appartenance aux organisations ou aux personnes ayant participé à leur perpétration, ou à la commission d'actes tendant à discréditer, rabaisser ou humilier les victimes d'infractions terroristes ou leurs familles...

Au Royaume-Uni[modifier | modifier le code]

La loi sur le terrorisme de 2006 a créé le délit d'incitation au terrorisme, qui interdit « une déclaration susceptible d'être comprise par certains ou la totalité des membres du public auquel elle est adressée comme un encouragement direct ou indirect ou une autre incitation à la commission, à la préparation ou à l'instigation d'actes de terrorisme ou de la commission d'infractions liées »[28]. Les déclarations d'encouragement indirect comprennent « toute déclaration qui glorifie la commission ou la préparation (que ce soit dans le passé, dans le futur ou de manière générale) de tels actes ou délits »[29]. Toutefois, ils ne sont incriminés que si l’orateur a l’intention d’inciter d’autres à commettre des infractions terroristes[28].

Aux États-Unis[modifier | modifier le code]

En raison du premier amendement, l'incitation au terrorisme ou à d'autres formes de crime et de violence illégale est une liberté d'expression protégée par la Constitution , à moins qu'il ne puisse être prouvé que le discours « vise à inciter ou à produire une action illégale imminente » et « est susceptible d'inciter ou de produire une telle action"[30]. Cependant, dans l'affaire Holder c. Humanitarian Law Project de 2010 , la Cour suprême a jugé qu'« une interdiction pénale de plaidoyer menée en coordination avec ou sous la direction d'une organisation terroriste étrangère est constitutionnellement autorisée ». En effet, de telles déclarations constituent un soutien matériel au terrorisme. Certains accusés, dont Javed Iqbal, qui a aidé la du Hezbollah chaîne de télévision Al-Manar à diffuser des émissions, ont été reconnus coupables de soutien matériel au terrorisme en vertu de la loi américaine[31].

En Israël[modifier | modifier le code]

Barak-Erez et Scharia identifient Israël comme appartenant à la tradition européenne, en partie à cause des origines de son système juridique dans le droit britannique[32].

L' ordonnance sur la prévention du terrorisme, promulguée en 1948, reste en vigueur et a été pendant de nombreuses années la principale disposition criminalisant l'incitation au terrorisme. Cette ordonnance habilite le gouvernement à désigner des organisations terroristes et criminalise le fait d'être membre ou de soutenir un tel groupe[31]. L'article 4 de l'ordonnance précise que :

Une personne qui – (a) publie, par écrit ou oralement, des paroles d’éloge, de sympathie ou d’encouragement pour des actes de violence visant à causer la mort ou des blessures à une personne ou pour des menaces de tels actes de violence ; ou (b) publie, par écrit ou oralement, des paroles d'éloge ou de sympathie ou un appel à l'aide ou au soutien d'une organisation terroriste. . . (g) commet un acte qui exprime son identification à une organisation terroriste ou sa sympathie à son égard, en agitant un drapeau, en affichant un symbole ou un slogan ou en récitant un hymne ou un slogan ou tout autre acte manifeste similaire révélant clairement son identification ou sa sympathie en public placer ou de manière à ce que les personnes présentes dans un lieu public puissent voir ou entendre une telle expression d'identification ou de sympathie ; sera coupable d'une infraction et sera passible, sur déclaration de culpabilité, d'un emprisonnement n'excédant pas trois ans ou d'une amende n'excédant pas mille livres ou de ces deux peines[31].

Dans l'affaire Jabareen c. État d'Israël, la Cour suprême d'Israël a estimé que l'ordonnance sur la prévention du terrorisme s'appliquait uniquement aux organisations terroristes désignées plutôt qu'à la promotion d'actes de violence de manière plus générale[31]. Suite à cette affaire, la Knesset a remplacé l'article 4 par un nouvel article, 144D2, qui étend l'interdiction à l'incitation à des actions terroristes non liées aux organisations terroristes[31].

Notes et références[modifier | modifier le code]

Note[modifier | modifier le code]

  1. Joseph Breham, « L'incitation aux actes de terrorisme », sur memoireonline.com, Mémoire Online (consulté le )

Références[modifier | modifier le code]

  1. Amanda Chapon, « «Apologie du terrorisme», une notion trop vague pour le CNDH » Accès libre, sur telquel.ma, Telquel, (consulté le )
  2. « "Apologie du terrorisme": Amnesty met en garde la France contre les dérapages » [archive] Accès payant [html], sur lexpress.fr, L'Express, (consulté le )
  3. « Discours haineux et liberté d’expression : balises légales au Canada » Accès libre, sur lop.parl.ca, (consulté le )
  4. Gouvernement fédéral du Canada, « Code criminel - art83.221 » Accès libre [php], sur Institut canadien d'information (consulté le )
  5. République Française, « Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse Chapitre IV : des crimes et delits commis par la voie de la presse ou par tout autre moyen de publication (articles 23 à 41)- Paragraphe 1er : Provocation aux crimes et délits. (Articles 23 à 25) - Article 24 » Accès libre, sur www.legifrance.gouv.fr, (consulté le )
  6. République Française, « Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse Chapitre IV : des crimes et delits commis par la voie de la presse ou par tout autre moyen de publication (articles 23 à 41)- Paragraphe 1er : Provocation aux crimes et délits. (Articles 23 à 25) - Article 24 » Accès libre, sur www.legifrance.gouv.fr, (consulté le )
  7. a b c et d Julie Alix, « Chronique de politique criminelle », Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, vol. 2, no 2,‎ , p. 505–521 (ISSN 0035-1733, DOI 10.3917/rsc.1902.0505, lire en ligne Accès libre, consulté le )
  8. République française, « Code pénal-Partie législative Livre IV : Des crimes et délits contre la nation, l'Etat et la paix publique Titre II : Du terrorisme Chapitre Ier : Des actes de terrorisme - Article 421-2-5 » Accès libre, sur legifrance.gouv.fr, (consulté le )
  9. République Française, « LOI n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme » Accès libre, sur legifrance.gouv.fr, (consulté le )
  10. a et b Camille Polloni, « Apologie du terrorisme : une infraction qui a de beaux jours devant elle » Accès payant, sur Mediapart, (consulté le )
  11. Mathieu Dejean, Lucie Delaporte, Mathilde Goanec, Dan Israel, Manuel Magrez, « « Apologie du terrorisme » : Mathilde Panot convoquée, dernière d’une longue liste » Accès payant, sur Mediapart, (consulté le )
  12. Simon Barbarit, « Convocation de Mathilde Panot : pourquoi les poursuites pour « apologie du terrorisme » sont en hausse ? » Accès libre, sur Public Sénat, (consulté le )
  13. « DALLOZ Etudiant - Actualité: Le rattachement au territoire de la République des tweets faisant l’apologie du terrorisme » Accès libre, sur actu.dalloz-etudiant.fr, (consulté le )
  14. a et b Adel Miliani, « Comprendre les zones de flou autour du délit d’« apologie du terrorisme » » (Rubrique Les Décodeurs), Le Monde,‎ (lire en ligne Accès libre, consulté le )
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  16. a et b « CEDH : la condamnation pour apologie du terrorisme du cofondateur d’Action directe jugée disproportionnée - Pénal | Dalloz Actualité » Accès libre, sur www.dalloz-actualite.fr, (consulté le )
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  20. « Apologie du terrorisme : le patron de la CGT du Nord en correctionnelle » Accès libre, sur Le Point, (consulté le )
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  26. Cour constitutionnelle belge, « Arrêt n° 31/2018 » Accès libre [PDF], (consulté le )
  27. Jefatura del Estado, Ley Orgánica 7/2000, de 22 de diciembre, de modificación de la Ley Orgánica 10/1995, de 23 de noviembre, del Código Penal, y de la Ley Orgánica 5/2000, de 12 de enero, reguladora de la Responsabilidad Penal de los Menores, en relación con los delitos de terrorismo, , 45503–45508 p. (lire en ligne Accès libre)
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  29. (en) United Kingdom, Parlement du Royaume Uni, « Chapter 11 », dans Terrorism Act 2006, London, The Stationery OYce Limited under the authority and superintendence of Carol Tullo, Controller of Her Majesty’s Stationery OYce and Queen’s Printer of Acts of Parliament, , 48 p. (lire en ligne)
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Voir aussi[modifier | modifier le code]