Apologie pour les casuistes — Wikipédia

L'Apologie pour les casuistes (titre complet : Apologie pour les casuistes contre les calomnies des jansénistes), est un ouvrage de théologie morale, publié anonymement "par un théologien et professeur en droit canon", attribué au Jésuite Georges Pirot[1] (1599-6 oct. 1659) qui mourut peu de temps après sans en voir les diverses republications. L'Apologie parut en à Paris des presses de Gaspar Meturas, dans le cadre de la controverse entre Jésuites et jansénistes.

Description et impact de l'œuvre[modifier | modifier le code]

L'œuvre, de taille moyenne (191 pages in quarto, plus une feuille d'errata), se divise en cinquante-quatre « objections »[2]. Pirot, professeur de théologie au collège de Clermont, y répond anonymement aux Provinciales, reprenant à l'encontre de Port-Royal et des jansénistes plusieurs accusations récurrentes[3]. Il y conteste également certaines des interprétations faites par Blaise Pascal dans les Provinciales des maximes morales des casuistes et retourne contre les jansénistes les accusations de laxisme moral[4] ; toutefois, et c'est ce qui fait la particularité de l'ouvrage, il en admet d'autres, en en revendiquant la légitimité, notamment en ce qui concerne le prêt, l'absolution, et l'homicide. De façon générale, Pirot développe une vision dynamique et relativiste de la théologie, la considérant pareillement à un système juridique[5].

La parution de l'Apologie pour les casuistes, soutenue par la Compagnie de Jésus, fit beaucoup de bruit[6], provoqua un grand émoi dans le monde ecclésiastique et pas seulement chez ceux qui étaient favorables aux jansénistes[7] et eut un immense retentissement[8], tandis que l'ouvrage est généralement perçu de façon négative[9]. Les curés de Paris se mobilisent pour faire condamner l'œuvre, qui n'a reçu ni privilège, ni approbation : les différents Écrits des curés de Paris sont publiés dans ce but. Les Jésuites hésitent quant à eux à la défendre ou à s'en éloigner. L'ouvrage est finalement mis à l'Index en 1659 par le Saint-Siège[10]. Les curés de Paris[11], d'une manière hostile envers les jésuites[12], en une campagne parfois jugée aussi violente que celle des Provinciales[13], ont atteint leur but en faisant condamner ce livre, mais cette querelle provoqua en réaction contre eux l'interdiction définitive en 1659 des Assemblées synodales des Curés de Paris[14].

L'Apologie contribua sans doute à la condamnation par Rome en 1679 du laxisme (qui a lieu notamment à l'instance des théologiens de l'université de Louvain[15], qui restera longtemps un bastion[16] du jansénisme[17]) et à orienter l'Assemblée du clergé de France de 1700 à plus de rigorisme[18].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. PP. Augustin et Aloïs De Backer, Bibliothèque des écrivains de la Compagnie de Jésus, Liège, 1861, vol VII, p. 321.
  2. Olivier Jouslin, "Rien ne nous plait que le combat". La campagne des Provinciales de Pascal. Étude d'un dialogue polémique, Clermont-Ferrand : Presses universitaires Blaise Pascal, 2007, p. 677.
  3. Olivier Jouslin, op. cit., p. 680-682
  4. Olivier Jouslin, op. cit, p. 680 : "En revanche, l'assimilation des jansénistes à des sectes affichant une grande rigueur mais au mode de vie en réalité extrêmement relâché se révèle plus original. C'est une façon de retourner contre Port-Royal ses propres allégations et de faire passer celle de laxisme du côté de l'adversaire. Les jansénistes sont ainsi non seulement comparés aux vaudois mais encore aux turlupins. (....) L'auteur menace même ses ennemis de révéler certains comportements répréhensibles du point de vue de la morale".
  5. Olivier Jouslin, op. cit., p. 692
  6. PP. Augustin et Aloïs De Backer, op. cit., vol. VII, p. 322 : "Cette apologie fit beaucoup de bruit : elle fut condamnée par Alexandre VII".
  7. Sainte-Beuve, Port-Royal, tome troisième, livre troisième, Paris : Laffont, "collection Bouquins", 2004, vol. I, p. 659 : "Pascal, se mettant à la place des curés, n'a nullement grossi l'affaire en disant que toute l'Église de France était d'un côté, et l'Apologie des Casuistes de l'autre. On ne saurait aujourd'hui se faire idée de l'émoi du monde ecclésiastique à ce propos ; les mandements des évêques pleuvaient de toutes parts pour flétrir ces maximes relâchées qu'un imprudent et un brouillon venait d'essayer de défendre ; et ce n'était pas seulement des évêques favorables aux jansénistes que partaient les anathèmes, c'était de tous ceux qui avaient à cœur la régularité".
  8. Olivier Jouslin, op. cit., p. 678 : "Cette parution eut un immense retentissement, peut-être bien plus important qu'on ne l'avait supposé. Il se pose avant tout comme une réponse franco-française et ponctuelle aux accusations des Provinciales et entend défendre les casuistes qu'il juge attaqués de façon malhonnête".
  9. Blaise Pascal (préf. Louis Cognet), Les Provinciales, Paris, Bordas, , LXV-LXVII p., p. I-LXXXV (préface)
  10. Hyacinthe Robillard d'Avrigny, Mémoires chronologiques et dogmatiques, pour servir à l'histoire ecclésiastique depuis 1600 jusqu'en 1716, avec des réflexions et des remarques critiques, revus par Jacques-Philippe Lallemand, s.l., 1739. Voir à l'année 1659, tome II. Référence citée par Olivier Jouslin, p. 678 note 2652, où cet auteur voit toutefois "un point de vue favorable aux jésuites". En fin d'article en effet, Hyacinthe Robillard d'Avrigny esquisse une timide défense de l'ouvrage (tome II, p. 380) : "Ainsi le triomphe de ceux qui l'avoient déferé fut complet, et la joye de Messieurs de Port-Royal entiere. Mais qu'auroient-ils dit si les Jesuites avoient soûtenu que l'Apologiste n'avoit rien avancé que de vrai, qu'on avoit mal pris ses décisions, que c'étoit un fait sur lequel il n'appartenoit ni au Pape ni aux Prélats de prononcer, parce que l'Eglise entiere peut se tromper dans la discussion des faits et l'intelligence des textes? Je crois que Port-Royal ne se seroit pas pressé de réfuter cette replique qui ne souffre point de réponse dans ses principes".
  11. Jacques Chevalier, "La suite des Provinciales", dans : Pascal, Œuvres complètes, texte établi, présenté et annoté par Jacques Chevalier, Paris : Gallimard, "Bibliothèque de la Pléiade", 1987, p. 905 : "Les curés décidèrent aussitôt de poursuivre la condamnation de cette Apologie, et de faire rédiger à cet effet un factum destiné aux juges ecclésiastiques et aux membres du Parlement".
  12. Mémoires du P. René Rapin de la Compagnie de Jésus sur l'Église et la Société, la cour, la ville et le jansénisme, 1644-1669, publiés pour la première fois d'après le manuscrit autographe par Léon Aubineau, tome troisième, Paris, 1865, p. 16 : "Mais tout le poids de la persécution contre les jésuites, qu'on faisoit responsables de ce livre [l'Apologie...], vint principalement des curés de Paris, tous presque favorables aux jansénistes".
  13. Louis Lafuma, "Les écrits des curés de Paris", dans : Pascal, Œuvres complètes, préface d'Henri Gouhier de l'Institut, présentation et notes de Louis Lafuma, Paris, 1963, p. 471 : "La campagne menée par les Ecrits contre les casuistes (et les Jésuites) fut aussi violente que celle des Provinciales."
  14. Louis Lafuma, op. cit., p. 471 : "En somme, les Ecrits ont atteint le but qu'ils s'étaient fixé, mais ils provoquèrent l'interdiction (en 1659) des Assemblées des Curés de Paris".
  15. Bernard Sesboüé et Christoph Theobald, La parole du Salut, Tournai : Desclée, 1996, p. 209 : "en 1679 le pape Innocent XI condamne comme laxistes 65 propositions que les théologiens de Louvain avaient dénoncées à Rome contre leurs adversaires probabilistes (franciscains et jésuites)".
  16. Dictionnaire historique de la Papauté sous la direction de Philippe Levillain, éd. Fayard, 1994, sub verbo "Innocent XII Pignatelli 1691-1700" : "Bien que la théologie et l’éthique jansénistes dans leurs postulats théoriques et pratiques aient été largement rejetées par le Saint-Siège, elles sont encore bien loin de disparaître de la vie de l’Église à la fin du XVIIe siècle. À l’époque d’Innocent XII, quelques groupuscules plus combatifs ont quitté la France et se sont transférés en Belgique et en Hollande, d’où ils redoublent d’activité, souvent en conflit avec les directives de Rome. L’université de Louvain est leur forteresse".
  17. Henri Francotte, professeur à l'université de Liège, La Propagande des encyclopédistes français au pays de Liège (1750-1790), Bruxelles : Hayez, 1880, p. 28 : « le jansénisme régnait en maître à l'université de Louvain ». Lire aussi : Histoire genérale du Jansénisme, tome III, Amsterdam chez J. Louis de Lorme, 1700, pp. 343-344 : "Il faut avoüer , quoy qu'à nôtre confusion, que nous sommes nous et toute l’Eglise, entierement redevable aux Theologiens de Louvain, de ce que les ouvrages de N: P. Saint Augustin ne demeurent pas ensevelis sous la poussiere, et jettez dans les coins des bibliotheques. Puisque ce sont eux qui ont toujours défendu avec un très-grand zele sa doctrine contre ses ennemis et ses calomniateurs. Ce sont eux qui ont corrigé toutes ses œuvres avec un travail immense et un grand amour pour la Religion, les ayant collationnées avec plus de deux cens exemplaires, et nous en ayant enlevé la gloire et la recompense. Et l'on doit rendre graces à Dieu de ce que cette revûe et cette correction s'est faite , avant que la Societé , et nommément Jean Martinez de Ripalda se mêlât de la faire. Car Saint Augustin seroit sorti de ses mains estropié et mal traité : comme nous verrons plus bas".
  18. Olivier Jouslin, op. cit., p. 678 : "On s'accorde en effet souvent à considérer que l' Apologie pour les casuistes décida de la condamnation romaine du laxisme de 1679 et du virage rigoriste de l'Assemblée du clergé présidée par Bossuet en 1700".