Championnat du monde d'échecs 1978 — Wikipédia

Le Championnat du monde d'échecs 1978 a été disputé entre le tenant du titre, le Soviétique Anatoli Karpov et Viktor Kortchnoï, dissident soviétique alors apatride, à Baguio aux Philippines du 18 juillet au . Il a été remporté par Karpov.

Qualification[modifier | modifier le code]

Au cours du cycle de qualification 1976-1978, Kortchnoï remporte une courte victoire contre Tigran Petrossian dans le match de quarts de finale qui les oppose, et élimine ensuite plus facilement Lev Polougaïevski et Boris Spassky ce qui le qualifie comme challenger de Karpov[1].

Bobby Fischer est qualifié automatiquement en tant que challenger du cycle précédent, mais il décline l'invitation et Boris Spassky le remplace.

Quarts de finale Demi-finales Finale
 Il Ciocco, février-mars 1977      Évian, juillet 1977      Belgrade, novembre-décembre 1977
  Viktor Kortchnoï  6½
  Tigran Petrossian  5½  
  Viktor Kortchnoï  8½
 Lucerne, février-mars 1977
    Lev Polougaïevski  4½  
  Lev Polougaïevski  6½
  Henrique Mecking  5½  
  Viktor Kortchnoï  10½
 Reykjavik, février-mars 1977
    Boris Spassky  7½
  Boris Spassky  8½
 Genève, juillet-août 1977
 Vlastimil Hort  7½  
  Boris Spassky  8½
 Rotterdam, février-mars 1977
    Lajos Portisch  6½  
  Lajos Portisch  6½
  Bent Larsen  3½  

Organisation du match[modifier | modifier le code]

Le match eut lieu à Baguio aux Philippines suivant une proposition de l'organisateur philippin Florencio Campomanes (qui deviendra président de la Fédération internationale des échecs en 1982) avec une bourse de 1 050 000 francs suisses, bien que la ville de Tilburg eût offert une bourse supérieure, de 1 220 000 CHF et que Graz et Hambourg eussent fait des offres similaires, à 1 000 000 CHF. Baguio était cependant la seule ville commune dans la liste de préférence communiquée par les deux joueurs.

L'équipe de Karpov comportait 14 personnes, les grands maîtres Igor Zaitsev et Iouri Balachov étaient ses secondants, parfois assistés de l'ancien champion du monde Mikhail Tal présent comme journaliste du magazine 64. Evgueni Vassioukov les rejoignit plus tard. La délégation incluait le Dr Vladimir Zoukhar, un parapsychologue qui s'était fait connaître à Moscou pour pouvoir prétendument adresser des messages aux cosmonautes via des communications parapsychologiques. Cette équipe était dirigée par Victor Batourinski, un ancien colonel de la justice militaire soviétique.

Les secondants de Kortchnoï étaient Raymond Keene, Michael Stean et Yaacov Murey. Oscar Panno s'y adjoignit plus tard. Petra Leeuwerick, une amie autrichienne de Kortchnoï, victime du stalinisme qui avait passé dix ans dans un goulag, dirigeait l'équipe. Elle fut remplacée par Keene après la 18e partie.

L'arbitrage était assuré par l'Allemand Lothar Schmid, assisté du Tchécoslovaque Miroslav Filip et du Yougoslave Božidar Kažić.

La cadence était de 40 coups en 2 h 30 puis 16 coups à l'heure, alors habituelle en tournoi de haut niveau, avec un ajournement après cinq heures de jeu.

Incidents[modifier | modifier le code]

Ce match a la réputation d'être l'un des plus étranges championnats du monde jamais disputés. Un couple de yogis américains qui se faisaient appeler Dada et Didi[2], membres de la secte indienne Ananda Marga et soupçonnés de tentative de meurtre sur un diplomate indien et libres sous caution, vint apporter son support à Kortchnoï[3],[4]. Il y eut d'autres événements marquants, tels que le passage aux rayons X de la chaise de Kortchnoï, spécialement importée de Suisse, des protestations au sujet des drapeaux représentés près des échiquiers, qui furent finalement ôtés, les plaintes pour tentative d'hypnose par le Dr Zoukhar qui se tenait au premier rang et fixait Kortchnoï imperturbablement, ce qui provoqua plusieurs incidents, les lunettes miroir de Kortchnoï et le balancement de Karpov dans un fauteuil tournant. Quand l'équipe de Karpov lui envoya un yaourt aux myrtilles pendant une partie sans demande de sa part, l'équipe de Kortchnoï protesta, prétendant qu'il pouvait s'agir d'un code. Bien qu'elle ait ensuite prétendu qu'il s'agissait d'une parodie des protestations précédentes, celle-ci fut prise au sérieux[5] et les Russes furent obligés de n'apporter dorénavant que des yaourt du même fruit : ils choisirent la framboise.

Après plusieurs altercations verbales dans cette ambiance tendue, Kortchnoï estimant que sa famille était retenue en otage en URSS, tandis que Karpov soulignait que Kortchnoï l'avait abandonnée, ce dernier refusa de serrer la main de son adversaire à partir de la 8e partie. Kortchnoï exigea dès lors qu'ils ne s'adressent plus la parole pour offrir la nulle, mais exclusivement par le truchement de l'arbitre[6],[5].

Après le match, Kortchnoï tenta de faire annuler la dernière partie en raison de la présence du Dr Zukhar dans les premiers rangs des spectateurs, contrairement à un accord passé avec la délégation soviétique. La FIDE rejeta son appel en février 1979 et le tribunal d'Amsterdam le débouta en 1981.

Déroulement du match[modifier | modifier le code]

Le vainqueur du match était le premier à remporter six victoires. Il n'y avait pas de limite prévue au nombre de parties. La clause de revanche en cas de défaite du champion, pourtant abandonnée en 1963, était à nouveau en vigueur.

Les joueurs commencèrent le match prudemment, puis, durant la cinquième partie, Kortchnoï manqua un mat et la partie se termina par un pat après 124 coups. Au début de la 8e partie, Karpov refusa de serrer la main du challenger, ce qui déconcentra Kortchnoï. Dans l'ouverture, une espagnole ouverte, Kortchnoï joua une défense inédite et douteuse qui contribua à sa première défaite. Lors de la dixième partie, Karpov introduisit sa première nouveauté dans la partie espagnole[7], mais Kortchnoï parvint à résoudre les problèmes posés. Il revint au score lors de la onzième partie, à la suite d'une erreur de Karpov.

Le milieu du match, à la mi-août, fut dramatique. La treizième partie fut ajournée dans une position où Kortchnoï avait un pion de plus et choisit d'en gagner un deuxième. Le samedi 19 août, lors de 14e partie, Karpov introduisit une deuxième nouveauté dans la variante ouverte de la partie espagnole, sacrifia la qualité et atteignit l'ajournement avec une position favorable. Le dimanche 20 août, les joueurs reprirent les deux parties interrompues. Lors de la reprise de la treizième partie, Kortchnoï choisit la suite la plus tranchante pour l'emporter mais Karpov répondit par un coup que l'équipe du challenger n'avait pas prévu. Kortchnoï perdit du temps pour répondre et finit par perdre sa Dame lors du Zeitnot. Karpov remporta ensuite la reprise de la quatorzième partie de manière convaincante. Dans la nuit du lundi au mardi, il se produisit un tremblement de terre. Puis le typhon Elaine passa le mercredi sur Baguio, avant la seizième partie. La présence du docteur Zoukhar au premier rang au début de la 17e partie irrita Kortchnoï, qui perdit 15 minutes sur son temps à la pendule à mobiliser les officiels pour le faire reculer dans les travées. Il en résulta pour Kortchnoï une crise de temps qui le fit tomber dans un piège et il se fit mater par Karpov qui mena le match 4 victoires à 1.

Lors des 20e et 22e parties, Karpov manqua plusieurs occasions de conclure par précipitation et Kortchnoï revint dans le match en remportant la 21e partie. Après la 27e partie, Anatoli Karpov menait 5-2, les nulles ne comptant pas et la victoire revenant au premier vainqueur de 6 parties ; amaigri par les efforts fournis durant le match, il perdit alors trois parties sur quatre (la 28e, une espagnole ouverte, les 29e et 31e), toutes en finale, et Kortchnoï égalisa 5 à 5. Karpov remporta la 32e partie et avec elle le titre (+6-5=21)[8].

Résultats[modifier | modifier le code]

Le vainqueur est le premier à gagner six parties.

Championnat du monde d'échecs 1978
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 Victoires
Anatoli Karpov = = = = = = = 1 = = 0 = 1 1 = = 1 = = = 0 = = = = = 1 0 0 = 0 1 6
(apatride) Viktor Kortchnoï = = = = = = = 0 = = 1 = 0 0 = = 0 = = = 1 = = = = = 0 1 1 = 1 0 5

Parties remarquables[modifier | modifier le code]

Kortchnoï-Karpov, 5e partie
abcdefgh
8
Pion noir sur case noire a7
Cavalier noir sur case noire e7
Pion noir sur case noire g7
Pion noir sur case noire b6
Cavalier noir sur case noire f6
Fou blanc sur case blanche g6
Pion noir sur case noire h6
Roi noir sur case blanche d5
Fou blanc sur case noire e5
Pion blanc sur case blanche h5
Pion blanc sur case noire b4
Pion blanc sur case noire d4
Roi blanc sur case noire h4
Pion blanc sur case noire a3
Pion blanc sur case blanche f3
Dame blanche sur case blanche h3
Dame noire sur case noire d2
8
77
66
55
44
33
22
11
abcdefgh
En zeitnot, Kortchnoï joue 55.Fe4+ qui mène à la nulle après 55...Cxe4, manquant un gain avec 55.Ff7+! Rc6 56.De6+! Rb5 57.Dc4+ Ra4 58.Da6#
Karpov-Kortchnoï, 8e partie
abcdefgh
8
Tour noire sur case blanche e8
Roi noir sur case noire f8
Pion noir sur case noire c7
Pion noir sur case blanche f7
Tour noire sur case noire g7
Pion noir sur case blanche h7
Pion noir sur case blanche a6
Dame noire sur case noire b6
Fou noir sur case blanche e6
Cavalier blanc sur case noire h6
Pion noir sur case blanche b5
Pion blanc sur case noire c3
Tour blanche sur case blanche d3
Dame blanche sur case blanche f3
Pion blanc sur case blanche a2
Pion blanc sur case noire b2
Pion blanc sur case blanche g2
Pion blanc sur case noire h2
Tour blanche sur case blanche f1
Roi blanc sur case blanche h1
8
77
66
55
44
33
22
11
abcdefgh
26.Td7!! (si 26...Fxd7 27.Dxf7+ Txf7 28.Txf7#) ...Tb8 27.Cxf7 Fxd7 28.Cd8+! Ab. le mat est inévitable.
Kortchnoï-Karpov, 13e partie
abcdefgh
8
Fou noir sur case noire c7
Tour noire sur case noire e7
Roi noir sur case blanche h7
Pion blanc sur case blanche c6
Pion noir sur case blanche g6
Dame noire sur case blanche f5
Pion noir sur case blanche h5
Dame blanche sur case noire d4
Cavalier blanc sur case blanche d3
Pion blanc sur case noire e3
Pion blanc sur case blanche h3
Roi blanc sur case blanche e2
Pion blanc sur case noire f2
Fou blanc sur case blanche d1
8
77
66
55
44
33
22
11
abcdefgh
Les Noirs menacent le pion h3 ; en zeinot, Kortchnoï gaffe : 56.Dh4?? (il fallait jouer Db4 ou Dc5) Te4!! 57. f4 (forcé mais cela affaiblit le Pion e3) Fb6
Kortchnoï-Karpov, 17e partie
abcdefgh
8
Tour blanche sur case blanche h7
Tour noire sur case blanche a6
Pion blanc sur case blanche a4
Cavalier noir sur case blanche e4
Tour blanche sur case noire a3
Cavalier noir sur case noire d2
Roi noir sur case blanche e2
Pion blanc sur case blanche g2
Pion blanc sur case noire h2
Roi blanc sur case noire g1
8
77
66
55
44
33
22
11
abcdefgh
Profitant du zeitnot de Kortchnoï, Karpov tend un piège : 38...Tc6! 39.Ta1?? Cf3!! 40.Ab
Kortchnoï-Karpov, 31e partie
abcdefgh
8
Roi noir sur case blanche c8
Roi blanc sur case noire b6
Pion noir sur case noire f6
Pion noir sur case noire h6
Pion noir sur case noire a5
Pion blanc sur case noire c5
Pion blanc sur case blanche f5
Pion noir sur case noire b4
Tour noire sur case blanche e4
Tour blanche sur case noire g3
Pion blanc sur case blanche h3
8
77
66
55
44
33
22
11
abcdefgh
En jouant 58...b3? Karpov espère 59.Txb3?? Tb4+! qui gagne, mais Kortchnoï a un zwischenzug : 59.Rc6! qui menace Tg8#, et après 59...Rb8 60.Txb3+ les Noirs ont perdu un pion capital et abandonnent au 71e coup.

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. (en) World Chess Championship : 1976-78 cycle : Candidates Matches, Mark-weeks.com
  2. Steven Dwyer et Victoria Shepherd, World Chess Championship 1978 Karpov - Korchnoi Title Match Yogurt, Parapsychology, Ananda Marga, ..., Mark-weeks.com
  3. Karpov–Korchnoi 1978, Keene
  4. Nicolas Giffard, Le Guide des échecs
  5. a et b (en) World Chess Championship : 1978 Karpov - Korchnoi : Yogurt, Mark-weeks.com
  6. chessgames
  7. La nouveauté fut reprise plus tard par Kasparov dans son match contre Anand en 1995
  8. Dans une interview accordée à la revue Europe Échecs (janvier 2008), Kortchnoï prétend qu’il risquait d’être éliminé physiquement en cas de victoire. Il déclare tenir cette information de Tal, l’un des secondants de Karpov à Baguio, qui lui aurait tenu ces propos en 1990, 12 ans après les faits.

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • (en) Andre Schulz, The Big Book of World Chess Championships : 46 Title Fights — from Steinitz to Carlsen, Alkmaar, New in Chess, , 351 p. (ISBN 978-90-5691-635-0), p. 193-203

Liens externes[modifier | modifier le code]