Charles de Saint-Évremond — Wikipédia

Charles Le Marquetel
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Charles de Saint-Évremond, James Parmentier, 1701.
Alias
Saint-Évremond
Naissance
Saint-Denis-le-Gast, Normandie, Drapeau du Royaume de France Royaume de France
Décès (à 89 ans)
Londres, Drapeau de l'Angleterre Royaume d'Angleterre
Activité principale
Auteur
Mouvement Libertinisme
Genres

Charles Le Marquetel, dit Saint-Évremond, seigneur de Saint-Denis et de Saint-Ébremond, ondoyé le et baptisé le à Saint-Denis-le-Gast (en Normandie) et mort le à Londres, est un moraliste et critique libertin français.

Biographie[modifier | modifier le code]

1614-1661 : une première partie de vie en France[modifier | modifier le code]

Buste de Charles de Saint-Évremond dans sa commune natale de Saint-Denis-le-Gast.

Élevé chez les Jésuites, au collège de Clermont, il entreprit des études de droit à Caen, avant de s'engager avec distinction dans la carrière des armes. Ce soldat lettré et homme du monde connut d’abord une brillante carrière militaire dans l’état-major du prince de Condé sous le duc d’Enghien et sous le maréchal d’Hocquincourt. Sa bravoure le signala à Rocroy, à Fribourg, à Nordlingen et dans les campagnes d’Allemagne et des Flandres.

Dans le même temps, il cultivait les lettres avec un esprit de raillerie et de satire, se liant à des hommes de marque - tels Turenne, Créquy, d'Olonne ou Clérembault - sans toutefois négliger le plaisir vers lequel le portait sa nature épicurienne, lorsque ses railleries sur Condé lui firent perdre sa lieutenance en 1648. La Fronde lui donna l’occasion de montrer son courage et son esprit. Ayant pris le parti de la Cour, dont il devint maréchal de camp en 1652, il resta fidèle à la cause royale et composa un spirituel pamphlet : la Retraite de M. de Longueville en Normandie.

En 1656, il crée l'ordre des coteaux de Champagne.

Recherché dans la société comme le modèle du « galant homme et (de) l’homme honnête », charmant les salons par sa vive causerie et les ruelles par ses madrigaux, tenant le premier rôle chez Ninon de Lenclos, faisant figure aux soupers des gourmets lettrés, il menait une vie conforme à ses goûts, avant de tomber en disgrâce aux yeux du Roi suite de la découverte en 1661 de sa Lettre au marquis de Créqui sur la paix des Pyrénées (1659), vive critique du Cardinal Mazarin.

1661-1703 : une seconde partie de vie en Angleterre[modifier | modifier le code]

Contraint de s’exiler vers la fin de l'année 1661, il se réfugia en Hollande, puis en Angleterre où la Cour et les cercles littéraires lui firent bon accueil. Le roi Charles II le reçut et lui attribua une pension de trois cent livres sterling. Il mena une vie d’épicurien, fréquentant l’élite de l’aristocratie et des gens de lettres. Quand la duchesse de Mazarin s’établit à Londres, il devint son chancelier, l’aidant à constituer un salon réputé où se réunissaient les grands écrivains anglais de l'époque, et dont il devint l’un des principaux acteurs. L’usage du français était alors si répandu en Angleterre que Saint-Évremond ne se donna la peine d’apprendre de la langue anglaise que ce dont il avait besoin pour la vie quotidienne et, lorsqu’il résidait à la campagne, dans ses relations avec les paysans. Il fréquentait, en outre, au côté de Dryden, Temple et de Swift, le café littéraire de Will, sans interrompre ses relations avec ses amis français, avec qui il entretenait une vive correspondance. Des deux côtés de la Manche, on faisait appel à son goût et à son jugement pour résoudre les questions délicates.

La découverte de la Lettre au marquis de Créqui ne semble pas suffire à expliquer une si longue disgrâce ; Voltaire, dans le Siècle de Louis XIV, l'attribue à une cause secrète, restée inconnue. Ses mœurs n’y étaient sans doute pas étrangères. Il aurait été le destinataire de l'une des Lettres de Cyrano de Bergerac, adressée à « Mademoiselle de Saint-Denis ». Lui-même fit allusion à la raison pour laquelle le séjour de l’Angleterre lui paraissait désormais préférable à sa vie en France :

J’ai vu le temps de la bonne Régence,
Temps où régnait une heureuse abondance
Temps où la ville aussi bien que la cour
Ne respiraient que les jeux et l’amour.
Une politique indulgente
De notre nature innocente
Favorisait tous les désirs
Tout goût paraissait légitime.
La douce erreur ne s’appelait point crime.
Les vices délicats se nommaient des plaisirs.

De nombreuses démarches avaient été entreprises pour solliciter la fin de son exil; elles n’aboutirent qu’en 1689, lorsque Louis XIV l’autorisa enfin à rentrer en France. Fort âgé, Saint-Evremond s'y refusa, s'étant habitué à la vie en Angleterre, aux faveurs de Guillaume III, et chérissant l'affection de la duchesse de Mazarin. Aussi finit-il sa vie à Londres où il s’éteignit à l'âge avancé de quatre-vingt-dix ans. Fidèle à ses croyances, il refusa la visite de prêtres et de pasteurs, mais eut l’honneur d'être inhumé dans le coin des poètes de l’abbaye de Westminster.

Œuvres[modifier | modifier le code]

À l’exception de la Comédie des académistes, raillant les suppressions et corrections linguistiques de l’Académie française, ses œuvres furent, de son vivant, diffusées clandestinement. Elles ne furent éditées qu’après sa mort. Par bien des aspects, l’incrédulité et le scepticisme qui transparaissent chez celui qui se définit lui-même comme « un philosophe également éloigné du superstitieux et de l’impie ; un voluptueux qui n’a pas moins d’aversion pour la débauche que d’inclination pour les plaisirs » laissent présager les tendances philosophiques qui caractériseront les Lumières au siècle suivant. Un trait particulier de sa physionomie littéraire est en effet de représenter le critique de profession tel qu’on le trouve au siècle suivant. Ses écrits dénotent une tolérance et une indépendance d’esprit qui en font l’un des principaux représentants du courant libertin du XVIIe siècle. Saint-Évremond y apparaît comme le type même de l’idéal de l’« honnête homme » recherché par son siècle. Dans ses dissertations, généralement courtes, il ouvre des aperçus souvent justes, toujours ingénieux. À la délicatesse, à la sagacité et à la finesse de la raison, il unit la mesure, sans cesser de juger librement d’après ses opinions personnelles. Il émit, dans la Querelle des Anciens et des Modernes, des idées des plus justes : « Il faut convenir, dit-il, que la Poétique d’Aristote est un excellent ouvrage ; cependant il n’y a rien d’assez parfait pour régler toutes les nations et tous les siècles… Si Homère vivait présentement, il ferait des poèmes admirables, accommodés au siècle où il écrirait. Ses poèmes seront toujours des chefs-d’œuvre, non pas en tout des modèles. Ils formeront notre jugement et le jugement réglera la disposition des choses présentes. ».

L’incrédulité religieuse caractérisa cet épicurien bien moins convaincu de l’immortalité de l’âme que de l’authenticité de la bonne chère et des beuveries. La plus fameuse de ses œuvres demeure sans aucun doute la Conversation du maréchal d’Hocquincourt avec le père Canaye, merveille d’esprit et de raillerie. Son œuvre historique, les Réflexions sur les divers génies du peuple romain (1663), inspira les théories de Montesquieu. Saint-Évremond aborde divers thèmes, de la littérature (Sur nos comédies, De quelques livres espagnols, italiens et français, Réflexions sur la tragédie ancienne et moderne et Défense de quelques pièces de Corneille) à l’histoire contemporaine (Parallèle de M. le Prince et de M. de Turenne). C’est sans conteste dans son abondante correspondance que celui-ci a livré le meilleur d’une pensée marquée du sceau de l’indépendance, du scepticisme et de l’ironie, et opposée à tout esprit de système.

L’écriture demeura un divertissement pour Saint-Évremond, qui refusa longtemps de faire imprimer ses ouvrages.Ceux-ci circulèrent en manuscrits, dont la rareté ajouta au succès. On en fit, sans son consentement, des éditions peu exactes. Celle de Barbin (1668, in-12) se vendit si rapidement qu’on se mit à imprimer sous son nom des pièces qui n’étaient pas de lui. Enfin, il se décida à préparer avec Des Maizeaux une édition que celui-ci publia après sa mort, sous le titre de les Véritables œuvres de M. de Saint-Évremond, publiées sur les manuscrits de l’auteur (Londres, 1705, 3 vol. in-4° ; 1708, 7 vol. in-12, Amsterdam, 1726, 7 vol. in-12, Paris, 1740, 10 vol. in-12; 1753, 12 vol. in-12).

Publications[modifier | modifier le code]

  • Œuvres mêlées (1643-1692), et puis une édition corrigée (1705).
  • Retraite de M. le duc de Longueville en Normandie (1649)
  • Les Académistes (1650) satire dialoguée, composée contre l’Académie française.
  • Conversation du maréchal d’Hocquincourt avec le Père Canaye (1656)
  • Lettre au marquis de Créqui sur la paix des Pyrénées (1659)
  • Réflexions sur les divers génies du peuple romain (1663)
  • De quelques livres espagnols, italiens et français (1668 ?)
  • Réflexions sur la tragédie ancienne et moderne (1672)
  • Parallèle de M. le Prince et de M. de Turenne (1673)
  • Sur nos comédies, où l’auteur raille le nouveau genre de spectacle introduit en France. (1677)
  • Défense de quelques pièces de Corneille (1677)
  • Discours sur Épicure (1684)
  • Les Pensées sur l’honnêteté de Damien Mitton ont été attribuées à Saint-Évremond dans la première édition des Œuvres mêlées.

Éditions[modifier | modifier le code]

  • Les Opéra, Éd. Robert Finch et Eugène Joliat, Genève, Droz, 1979
  • Œuvres en prose, Éd. René Ternois, Paris, Didier, 1962
  • La Comédie des académistes, Éd. Louis d’Espinay Ételan, Paolo Carile et al., Paris, Nizet, 1976
  • Entretiens sur toutes choses, Éd. David Bensoussan, Paris, Desjonquères, 1998 (ISBN 2-84321-010-0)
  • Écrits philosophiques, Éd. Jean-Pierre Jackson, Paris, Alive, 1996 (ISBN 2-911737-01-6)
  • Réflexions sur les divers génies du peuple romain dans les divers temps de la république, Napoli, Jovene, 1982
  • Conversations et autres écrits philosophiques, Paris, Aveline, 1926
  • Lettres, Éd. intro. René Ternois, Paris, Didier, 1967
  • Maximes et œuvres diverses, Paris, Éditions du Monde Moderne, 1900-1965
  • Pensées d’Épicure précédées d’un Essai sur la morale d’Épicure Paris, Payot 1900

En ligne[modifier | modifier le code]

Notes et références[modifier | modifier le code]

Voir aussi[modifier | modifier le code]

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Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • A.Ch. Gidel, Œuvres choisies de Saint-Evremond, SD (circa 1866) Paris, Garnier frères
  • Antoine Adam, Les Libertins au XVIIe siècle, Paris, Buchet/Chastel 1964
  • Patrick Andrivet, Saint-Évremond et l’histoire romaine, Orléans, Paradigme, 1998 (ISBN 2-86878-184-5)
  • H.T. Barnwell, Les Idées morales et critiques de Saint-Évremond : essai d’analyse explicative, Paris, PUF, 1957
  • Patrice Bouysse, Essai sur la jeunesse d’un moraliste : Saint-Évremond (1614-1661), Seattle, Papers on French Seventeenth Century Literature, 1987
  • Gustave Cohen, Le Séjour de Saint-Évremond en Hollande, Paris, Champion, 1926
  • Walter Daniels, Melville Saint-Évremond en Angleterre, Versailles, L. Luce, 1907
  • Charles Giraud, Histoire de la vie et des ouvrages de l'auteur, en tête d'un édition de 1865 des Œuvres mêlées
  • Souâd Guellouz, Entre Baroque et lumières : Saint-Évremond (1614-1703) : colloque de Cerisy-la-Salle (25-), Caen : Presses universitaires de Caen, 2000 (ISBN 2-84133-111-3)
  • Suzanne Guellouz, Saint-Évremond au miroir du temps : actes du colloque du tricentenaire de sa mort, Caen - Saint-Lô (9-), Tübingen, Narr, 2005 (ISBN 3-8233-6115-5)
  • Célestin Hippeau, Les Écrivains normands au XVIIe siècle : Du Perron, Malherbe, Bois-Robert, Sarasin, P. Du Bosc, Saint-Évremond, Genève, Slatkine Reprints, 1970
  • Mario Paul Lafargue, Saint-Évremond ; ou, Le Pétrone du XVIIe siècle, Paris, Société d’éditions extérieures et coloniales, 1945
  • Gustave Merlet Saint-Évremond : étude historique morale et littéraire; suivie de fragments en vers et en prose, Paris, A. Sauton, 1870
  • (it) Luigi de Nardis, Il Cortegiano e l’eroe, studio su Saint-Évremond, Firenze, La Nuova Italia Editrice, 1964
  • Michel Onfray, Les libertins baroques, Contre-histoire de la philosophie, t.3, Grasset (2008), ch.III
  • Léon Petit, La Fontaine et Évremond : ou, La tentation de l’Angleterre, Toulouse, Privat, 1953
  • Jacques Prévot, Libertins du XVIIe siècle, v. 2, Paris, Gallimard, 1998-2004 (ISBN 2-07-011569-0)
  • (de) Gottlob Reinhardt, Saint-Évremonds Urteile und Gedanken über die alten Griechen und Römer, Saalfeld am Saale, 1900
  • Léonard Rosmarin, Saint-Évremond : artiste de l’euphorie, Birmingham, Summa Publications, 1987 (ISBN 0-917786-52-1)
  • Albert-Marie Schmidt, Saint-Évremond ; ou, L’humaniste impur, Paris, Éditions du Cavalier, 1932
  • K. Spalatin, Saint-Évremond, Zagreb, Thèse de doctorat de l’Université de Zagreb, 1934
  • Claude Taittinger, Saint-Évremond, ou, Le bon usage des plaisirs, Paris, Perrin, 1990 (ISBN 2-262-00765-9)
  • Claude Le Roy, "Saint-Évremond, l'art du bien vivre", Milon La Chapelle, H&D, 2013, (ISBN 978-2-9142-6625-3)

Liens externes[modifier | modifier le code]