Cheval de Heck — Wikipédia

Cheval de Heck
Jument de Heck et son poulain dans le parc d'attractions Erlebnispark Tripsdrill, en Allemagne.
Jument de Heck et son poulain dans le parc d'attractions Erlebnispark Tripsdrill, en Allemagne.
Région d’origine
Région Drapeau de l'Allemagne Allemagne
Région d'élevage Europe et Amérique du Nord
Caractéristiques
Morphologie Cheval sauvage
Registre généalogique Oui (1975)
Taille 1,27 m à 1,37 m
Robe Souris avec marques primitives
Tête Grosse
Pieds Solides
Caractère Calme et indépendant
Autre
Utilisation Gestion écologique des zones herbeuses

Le cheval de Heck (allemand : Heckpferd) est une race de chevaux créée dans les années 1930 au zoo de Munich par les frères Heck, dans l'objectif de reconstituer le Tarpan (Equus ferus ferus), un animal sauvage désormais éteint. Bien que Lutz et Heinz Heck ne soient pas parvenus à ressusciter cet équidé éteint, ces chevaux s'en rapprochent phénotypiquement, notamment par leur taille et leur robe de couleur souris, à marques primitives. Leur programme étant concurrent de celui du Polonais Tadeusz Vetulani, durant l'invasion de la Pologne par les nazis, sa harde de Koniks sélectionnés est capturée, puis intégrée à la sélection du cheval de Heck, ce qui conduit à l'arrêt du programme de Vetulani. Les chevaux de Heck sont exportés vers les États-Unis, où une association de race est créée dans les années 1960.

Bien qu'il n'ait pas été sélectionné dans cet objectif, le cheval de Heck peut être monté ou attelé, et est entré en croisement pour donner le poney rustique canadien. Ces animaux perdurent essentiellement dans la forêt de Białowieża où ils ont été réintroduits, dans des parcs zoologiques, et dans le cadre de gestion d'écopâturage, dans divers pays d'Europe ainsi qu'en Amérique du Nord.

Dénomination[modifier | modifier le code]

Seule photo connue d'un prétendu Tarpan vivant, au parc zoologique de Moscou en 1884.

Bien que ces animaux soient parfois nommés « Tarpan » de façon erronée, ils se sont surtout fait connaître sous le nom de « chevaux de Heck »[1], ou de « tarpans de Heck »[2]. L'appellation de « Tarpan » ne peut théoriquement s'appliquer qu'à un cheval sauvage européen, désormais éteint, dont les plus proches descendants domestiques sont le Konik polonais et le Sorraia portugais[2]. De plus, les croisements effectués entre diverses races ne font pas du cheval de Heck un Tarpan[2],[3] ; il constitue une race domestique[4]. Le nom de « Tarpan » reste attribué abusivement à des chevaux de Heck et à des Koniks[5],[6]. Il existe une confusion terminologique du fait des tentatives pour re-donner un rôle écologique à des animaux domestiques proches des espèces sauvages disparues[7].

Histoire[modifier | modifier le code]

L'aurochs de Heck, autre animal issu des sélections des frères Heck.

La création de cette race résulte de la volonté de ressusciter le Tarpan (Equus ferus ferus)[8], cheval sauvage éteint à la fin du XIXe siècle, ou en 1909, avec la mort des derniers spécimens connus en captivité[9],[10]. Le cheval de Heck est sélectionné en 15 à 20 ans[11], notamment dans les années 1930, par les frères zoologistes allemands Heinz et Lutz Heck, également créateurs de l'aurochs de Heck, au zoo de Munich (Tierpark Hellabrunn)[9],[12],[13], selon la technique qu'ils baptisent « méthode régressive du retour à l'ancêtre »[14]. Cette sélection s'inscrit dans le contexte raciste et eugéniste de l'époque[15]. Les frères Heck ont pour base une tête et deux peaux de Tarpan présumées[16]. Le cheval de Heck provient de croisements entre des juments de race Konik, Gotland, Dülmen et Islandais, avec un étalon de Przewalski[17],[9].

Processus de sélection[modifier | modifier le code]

L'objectif des frères Heck est de croiser des chevaux présumés descendants du Tarpan entre eux, pour faire réémerger le matériel génétique de ce dernier[12],[18]. Une première difficulté réside dans l'absence de chevaux domestiques ayant conservé la crinière hérissée que Heinz Heck estime caractéristique du Tarpan[10]. Pour son premier essai de croisement, il sélectionne une jument de race Gotland et une jument de race Islandais sur la base de leur ressemblance phénotypique avec le Tarpan, notamment la forme de leur tête[10]. Il les fait saillir par un étalon de Przewalski (Equus f. przewalskii), qu'il estime néanmoins morphologiquement éloigné, en espérant récupérer un poulain à la crinière hérissée[10]. Il estime que les gènes du Przewalski vont réveiller les caractéristiques primitives des chevaux plus modernes[12],[19]. Les premiers poulains nés ne le satisfont pas, n'ayant ni la morphologie ni la couleur de robe recherchées[20]. Heck croise ces animaux à nouveau entre eux, et obtient, le au zoo de Munich, le premier poulain qu'il estime conforme à son objectif, portant une robe souris, ayant des os fins aux membres (en), et une tête plus courte que le Przewalski[21],[20]. Il reproduit ce croisement plusieurs fois, si bien qu'en 1952, le Tierpark Hellabrunn détient un grand nombre de ces « Tarpans reconstitués »[20]. La race est estimée fixée[20].

Races à l'origine du cheval de Heck

Durant la Seconde Guerre mondiale, des chevaux nécessaires au programme des frères Heck sont prélevés comme prises de guerre dans les pays conquis par l'Allemagne[22]. Un biologiste polonais, Tadeusz Vetulani, travaille sur un projet similaire à celui des frères Heck, à partir de la race Konik[23]. Les chevaux issus du projet de Vetulani ont été réintroduits dans la forêt de Białowieża[23]. Durant la guerre, les frères Heck capturent ces animaux dans la forêt, et les réutilisent pour leur programme d'élevage (en)[23]. Vetulani décrit ce vol comme une « campagne de destruction », et doit interrompre ses recherches[23]. Quelques-uns de ces chevaux, très proches du Tarpan, sont ramenés dans la forêt dans le dessein d'en faire une réserve de chasse pour les dignitaires nazis[23]. Ces terres sont rendues à la Pologne après la guerre[23].

Biologistes qui souhaitaient reconstituer le Tarpan

Exportations[modifier | modifier le code]

Cheval de Heck au zoo de Munich.

La « re-création » du Tarpan par les frères Heck est fortement médiatisée dans la presse de l'époque[24]. Un étalon de Heck et deux juments sont introduits aux États-Unis dans les années 1950[9]. Le premier animal concerné est un étalon nommé Duke, importé par le parc zoologique de Brookfield en 1954[12]. L'année suivante, ce zoo importe deux juments[12]. Une troisième jument est importée par le zoo de Fort Worth, au Texas, en 1962[12]. Ces quatre animaux proviennent du zoo de Munich, comme l'atteste leur pedigree[12]. Le fils de Heinz Lutz, portant le même prénom que lui, émigre aux États-Unis en 1959, et y prend la direction du Catskill Game Farm, qui détient des chevaux de Heck et des chevaux de Przewalski[1]. Au début des années 1960, la North American Tarpan Association est créée par les amateurs américains de chevaux de Heck, dans l'objectif de promouvoir la race[25], intégrant une centaine de sujets à sa création[11]. Un stud-book est créé aux États-Unis par Ellen Thrall, en 1975[26]. Au début des années 1990, tous les chevaux de type Tarpan trouvés aux États-Unis sont des descendants directs du cheptel des frères Heck[12].

Description[modifier | modifier le code]

Jument et poulain de Heck.

Le cheval de Heck est très proche de la description physique connue du Tarpan, notamment en termes de taille et de couleur de robe[27]. Cependant, il ne peut être considéré comme une « résurrection » réussie du Tarpan[28]. Selon le standard nord-américain, la taille moyenne est de 1,27 m à 1,37 m[26]. La tête est grosse, le garrot peu sorti, les jambes (en) et la croupe sont fortes[26]. Les sabots sont solides, et ne nécessitent pas de ferrure[26]. Les allures du cheval de Heck sont relevées[26].

Robe[modifier | modifier le code]

Le cheval de Heck présente une robe gris souris, sans marques blanches. Il montre aussi des marques primitives, typiquement des zébrures sur les membres, ainsi qu'une raie de mulet[26].

Tempérament et entretien[modifier | modifier le code]

La race est décrite comme de tempérament calme, curieux et intelligent, bien que très indépendante[26].

Utilisations[modifier | modifier le code]

Le poney rustique canadien, une race créée à partir du cheval de Heck.

L'utilisation principale du cheval de Heck est une gestion écologique d'espaces naturels, dans le cadre de programmes de réensauvagement et d'écopâturages[7]. Bien que le cheval de Heck n'ait pas été créé dans cet objectif, quelques propriétaires privés emploient ces animaux comme montures, et pour la traction légère[12]. La race est réputée confortable à monter[26]. Plusieurs éleveurs ont mené des expériences de croisement à partir du cheval de Heck et d'autres races, dans le but d'obtenir un cheval de plus grande taille, conservant des caractéristiques primitives[12]. Le poney Welsh et l'Arabe sont souvent entrés dans ces croisements[12]. Le poney rustique canadien a été créé à partir de ces dernières races[12]. En Europe, les croisements du cheval de Heck ont surtout eu lieu avec le Pur-sang, pour donner des chevaux de type hunter[12].

Diffusion[modifier | modifier le code]

Les visiteurs du domaine des grottes de Han peuvent approcher les chevaux de Heck depuis le safari-car.

Ces chevaux perdurent, soit en liberté dans le cadre des gestions d'écopâturages[29], soit en captivité dans des parcs zoologiques[1],[2]. En 2002, environ une centaine de chevaux de Heck sont répartis dans les États-Unis[30]. La réserve animale du domaine des grottes de Han, en Belgique, détient un groupe de chevaux de Heck que les visiteurs peuvent approcher. En , 13 d'entre eux ont été relâchés dans la réserve de Salgüero de Juarros (es), près de Burgos dans le nord de l’Espagne[31],[32].

Un petit groupe de chevaux de Heck subsiste à l'état semi-sauvage dans la forêt de Białowieża, l'une des dernières forêts primaires d'Europe, avec très peu d'interactions humaines[23]. En 2013, des chevaux de Heck vivent aussi à l'état semi-sauvage en Lettonie[27].

La race est mentionnée dans le livre de Diane Ackerman La Femme du gardien de zoo (en)[33].

Critiques[modifier | modifier le code]

Les frères Heck estiment qu'une « re-création » du Tarpan est possible par rétrocroisements entre les descendants de ce dernier[8], mais cette assertion est contestable d'un point de vue scientifique[34]. Le choix des races constitutives par Heinz Heck suscite aussi des questionnements et critiques, car la proximité de l'Islandais et du Gotland avec le Tarpan est toute relative : Colin Groves estime que les frères Heck avaient une idée très personnelle de ce qu'est un « tarpan des steppes »[35]. Il est cependant possible, d'après le Dr vétérinaire William E. Jones, que les frères Heck aient été limités en termes de races disponibles et de fonds[11]. La création du cheval de Heck et de l'aurochs de Heck a été qualifiée de « supercherie nazie », dans la mesure où il ne s'agit pas d'une résurrection ou re-création des espèces concernées, comme annoncé dans la propagande nazie[36].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. a b et c Forrest 2017.
  2. a b c et d « Tarpan ou Konik ? Analyse d’une « dénaturation sémantique » », sur arthen-tarpan.fr, (consulté le ).
  3. « Du tarpan au konik », Le Courrier de la nature, Société nationale de protection de la nature et d'acclimatation de France, nos 203 à 216,‎ .
  4. (en) Esteban García-Viñas et Eloísa Bernáldez-Sánchez, « The equids represented in cave art and current horses: a proposal to determine morphological differences and similarities », Anthropozoologica, vol. 54, no 1,‎ , p. 1–12 (lire en ligne, consulté le ).
  5. (en) « Wild horses for Europe – which breed is the best? », sur European Wildlife, (consulté le ).
  6. (en) René Krawczynski, Beyond Heck cattle - the need to go further, (lire en ligne), p. 15
  7. a et b (en) Jason Ransom et Petra Kaczensky, Wild equids : ecology, management, and conservation, JHU Press, , 248 p. (ISBN 9781421419107 et 1421419106, OCLC 946725473, lire en ligne), p. 121-125.
  8. a et b Heck 1952, p. 338.
  9. a b c et d Pickeral 2012.
  10. a b c et d Heck 1952, p. 340.
  11. a b et c (en) William E.Jones, « Genetic recreation of wild horses », Journal of Equine Veterinary Science, vol. 6, no 5,‎ , p. 246-249 (ISSN 0737-0806, lire en ligne).
  12. a b c d e f g h i j k l et m (en) « Breeds of Livestock - Tarpan Horse », sur afs.okstate.edu, Breeds of Livestock, Department of Animal Science (consulté le ).
  13. (en) Petr Karlik, André Baumann et Peter Poschlod, Origin and development of grasslands in Central Europe, KNNV Publishing, (ISBN 9789004278103, lire en ligne).
  14. « Essai de reconstitution des espèces animales éteintes : la méthode régressive du retour à l'ancêtre », Riviera scientifique : revue trimestrielle, Association des naturalistes de Nice et des Alpes-Maritimes, vol. 26 à 56,‎ .
  15. (en) Frank Westerman, Brother Mendel's perfect horse : man and beast in an age of human warfare, Harvill Secker, , 320 p. (ISBN 9781846550881, 1846550882 et 9781409019329, OCLC 782997964, lire en ligne), p. 113.
  16. (en) Emily Hahn, Animal Gardens, Doubleday, , 403 p., p. 135
  17. Élise Rousseau (ill. Yann Le Bris), Guide des chevaux d'Europe, Delachaux et Niestlé, (ISBN 978-2-603-02437-9), p. 42Voir et modifier les données sur Wikidata.
  18. (en) Dorcas MacClintock, Horses as I see them, Scribner, , 88 p. (ISBN 0684161168 et 9780684161167, OCLC 4570325, lire en ligne), p. 15.
  19. Bowling, Ann T. et Ruvinsky, Anatoly., The genetics of the horse, CABI Pub, (ISBN 0851999255 et 9780851999258, OCLC 57394341, lire en ligne), p. 27.
  20. a b c et d Heck 1952, p. 341.
  21. Moira C. Harris, Chevaux sauvages du Monde, Paris, Delachaux et Niestlé, (ISBN 978-2-603-01685-5), « Cheval sauvage de Heck », p. 138-141.
  22. (en) Diane Ackerman, « Galloping Ghosts », sur Smithsonian, (consulté le ).
  23. a b c d e f et g (en) Michael Wang, « Heavy Breeding », cabinetmagazine.org, (consulté le ).
  24. (en) David P. Willoughby, The empire of Equus, A.S. Barnes, (ISBN 0498010473 et 9780498010477, OCLC 666686, lire en ligne), p. 143.
  25. (en) « About Us », sur North American Tarpan Association, (version du sur Internet Archive)
  26. a b c d e f g et h (en) « Standard », sur North American Tarpan Association, (version du sur Internet Archive).
  27. a et b (en) Viola Korpa et Ingrida Strazdina, Wild Horses as Innovative Segment in the Equine Sector for Sustainable Regional Development: Report on Situation in the Field of Polish Konik and Heck Horses in Latvia, Latvia University of Agriculture, InnoEquine: 5, 9, (ISBN 9789984481159).
  28. (en) Richard C. Francis, Domesticated: Evolution in a Man-Made World, W. W. Norton & Company, , 400 p. (ISBN 0393246515 et 9780393246513), « 11. Horses ».
  29. (en) Margret Bunzel-Drüke, Ecological substitutes for Wild horse and Aurochs, WWF Large Herbivore Initiative, (lire en ligne [PDF]).
  30. (en) Gillian Flaccus, « Couple revives prehistoric Tarpan horses from genes in Mustangs », The Daily Courier,‎ (lire en ligne).
  31. « Des chevaux des Grottes de Han rendus à la vie sauvage », sur Lavenir.net, (consulté le ).
  32. M.L., « Retour à la vie sauvage pour 13 tarpan de Heck ! », sur chevalmag.com, (consulté le ).
  33. Diane Ackerman (trad. de l'anglais), La femme du gardien de zoo, Archipel, , 308 p. (ISBN 2809818215 et 9782809818215).
  34. « Tarpan ou Konik ? Analyse d'une « dénaturation sémantique » », sur arthen-tarpan.fr, (consulté le ).
  35. (en) Colin P. Groves, Horses, asses, and zebras in the wild, R. Curtis Books, , 192 p., p. 73.
  36. Piotr Lojasiewicz, Aurochs, le retour d'une supercherie nazie, Histoire, sciences, totalitarisme, éthique et société, , 159 p. (ISBN 2951436408 et 9782951436404, OCLC 44651152, lire en ligne).

Annexes[modifier | modifier le code]

Sur les autres projets Wikimedia :

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]