Clément Rosset — Wikipédia

Clément Rosset
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Naissance
Décès
(à 78 ans)
Paris 5e
Nationalité
Formation
École/tradition
Principaux intérêts
Œuvres principales
Logique du pire
L'Anti-nature
Le Réel et son double
Le Réel. Traité de l'idiotie
L'Objet singulier
La Force majeure
Schopenhauer philosophe de l'absurde
Influencé par
Distinctions

Clément Rosset, né le à Carteret dans la Manche, mort le dans le 5e arrondissement de Paris[1],[2],[3], est un philosophe français[4].

Biographie[modifier | modifier le code]

Clément Rosset est né de parents ayant vécu longtemps en Espagne[5]. Entré à l’École normale supérieure[6] en 1961, Clément Rosset devient agrégé de philosophie[6] en 1964. Il enseigne la philosophie à Montréal de 1965 à 1967[7], puis à Nice jusqu’en 1998[6]. Retraité après cette date, il a vécu à Paris et s'est consacré à son œuvre.

Rosset développe une philosophie de l'approbation au réel : par la joie, je prends plaisir au réel tout entier, sans avoir à m'en masquer aucun aspect, si horrible soit-il. Le paradoxe de la joie est ainsi que rien dans la réalité ne me porte à l'approuver et que pourtant, je puisse l'aimer inconditionnellement. Cette vision est dite « tragique » au sens conféré par Nietzsche à ce terme : est tragique l'amour de la vie jusque dans le déchirement et la douleur extrêmes. Être heureux, c'est être heureux malgré tout.

Dès son premier livre, La Philosophie tragique[7], Rosset oppose cette vision tragique et joyeuse à la recherche d'un double qui puisse protéger du réel. Le réel étant à la fois cruel et indicible, les hommes ont tendance à lui préférer un double de substitution, une image illusoire et adoucie qui les en détourne. En particulier, la vision morale du monde repose sur l'illusion de ce double.

Deux essais consacrés à Schopenhauer[8],[9],[10] ont montré que ce dernier était un précurseur des philosophies de l'absurde (Sartre, Camus) : pour Schopenhauer, le monde est douloureux mais surtout, cette douleur est sans raison. Au pessimisme bien connu du penseur de Francfort s'ajoute donc une intuition de l'absurde.

Ses premiers essais personnels (La Logique du pire, L’Anti-nature) proposent une philosophie joyeuse et approbatrice d’un monde où le pire est la seule chose certaine. Le pire est ce qui existe, la réalité antérieure aux idées de sens, d’ordre ou de nature : c'est le hasard lui-même, en tant que silence et insignifiance. Dans la trilogie qui suit (Le Réel et son double[11] ; Le Réel, traité de l’idiotie ; L’Objet singulier), Rosset tente de préciser les attributs de cette réalité indéterminable et « in-signifiante ». La thèse essentielle de Rosset est celle-ci : la difficulté de penser le réel tient à ce qu’il ne manque de rien, qu’il se suffit à lui-même, qu’il se passe de tout fondement (car au fond, il n’y a rien à expliquer, rien à comprendre). D’où la thèse majeure du Réel et son double : le réel est ce qui est sans double et le fantasme du double trahit toujours le refus du réel. L’ontologie du réel sur laquelle débouche cette réflexion a la particularité de ne pas reposer sur la pensée de son être ou de son unité[Lequel ?], mais de s’en tenir à sa seule singularité[Lequel ?], ce qui n’est possible que par la grâce d’une joie sans raison. Le réel auquel j’ai accès, aussi infime soit-il, en rapport de l’immensité qui m’échappe, doit être tenu pour le bon[12].

Il meurt en mars 2018 dans son appartement parisien[13].

Philosophie[modifier | modifier le code]

Ses influences[modifier | modifier le code]

Les influences principales de Rosset – Schopenhauer mis à part – sont affirmées dès ses premiers livres. Elles correspondent à ses premières lectures. S’il a pu s’éloigner quelque peu, à partir du Réel et son double, de sa philosophie dite tragique, ces influences restent, explicitement ou implicitement, prégnantes dans tous ses ouvrages. Une des inspirations majeures de Rosset est Nietzsche[14], dont la pensée constitue le fil conducteur de son premier ouvrage. Il lui est, pour ainsi dire, toujours resté fidèle et le cite dans pratiquement tous ses livres. L’un des livres essentiels de Rosset, La Force majeure, consacre un long chapitre décisif à Nietzsche, dans lequel Rosset développe des analyses brillantes et originales du philosophe allemand comme philosophie de l'approbation inconditionnelle au hasard de la vie. Cette lecture est à comparer avec les interprétations qui faisaient autorité dans les années 1960-70 chez les philosophes français (Foucault, Derrida, Deleuze, Blanchot, Bataille, Klossowski). Rosset s'efforce de mettre en lumière un Nietzsche foncièrement joyeux et dans l'affirmation et qui, en outre, est musicien, aspect trop méconnu des commentateurs. Ses Notes sur Nietzsche constituent un apport crucial au développement de la pensée de Rosset en ce que chaque point remarquable de la philosophie de Nietzsche apparaît conciliable avec la philosophie de Rosset lui-même[15].

Outre l’influence déterminante de Nietzsche, se sont exercées sur sa pensée celles de Héraclite, Épicure, Lucrèce, Montaigne[16], Pascal, Spinoza[17] et Hume[18] – et, à certains égards, de Bergson[Où ?], de Deleuze[Où ?], voire de Lacan[Où ?]. Plus tard, revenant sur ce qu'il considère comme une condamnation trop hâtive, Rosset voit en Parménide (considéré comme penseur de l’Être, fondateur de l'idéalisme, des catégories éternelles, immuables, Vraies) la voix puissante de l’idiotie du réel (Principes de sagesse et de folie) contre l’interprétation métaphysique qui en fut faite par toute une lignée de philosophes, de Platon à Heidegger[19].

Sa pensée[modifier | modifier le code]

Pour l'auteur, l'erreur des philosophes tient à ce qu'ils s'obstinent à chercher un sens ou un ordre caché au réel. Le réel se passe de fondement et il n'existe pas d'arrière-monde au monde réel ou une sur-nature pour fonder la nature, de « monde parfait ». Il faut fuir les romantismes, les épopées métaphysiques, les « Idées » (Platon), les essences et autres instances ontologiques ainsi que les « ailleurs » douillets et rassurants[20]. Il dénonce d'autre part le charlatanisme, l'hermétisme de certains philosophes qui sont ses contemporains[21].

Pour lui, chaque objet est singulier et il est impossible d'en décrire la singularité car il est son propre patron (signification utilisée en couture)[22].

Face à la complexité du réel, les gens préfèrent vivre dans l'illusion, se complaire dans un « faux présent »[23].

Le point de départ de sa philosophie est la conscience du tragique de l'existence[24].

La force des religions découle de leur puissance de suggestion et des « arrières-mondes » qu'elle échafaudent[25].

Ses livres, faciles à lire, déconcertants et humoristiques mêlent souvent philosophie, cinéma, publicité et bande dessinée pour concevoir un « gai savoir philosophique » s'attaquant à tous les refus du réel, à tous les refuges que l'être humain s'est inventé pour lui échapper alors que la Joie et l'adhésion à ce qui se passe hic et nunc sont les conditions mêmes de l'existence humaine[20]. Sa philosophie entend traiter de problèmes qui ne sont pas liés aux circonstances (quotidien, « politique », actualités), mais à des enjeux plus profonds, concernant la condition humaine ou l'être des choses en général : ce qui relève de ce qu'il appelle la philosophie première[26].

Préférant l'élégance de la concision à l'esprit exhaustif de la philosophie allemande, et à la lumière de l’œuvre de Schopenhauer, il s'est moqué de la pesanteur des universitaires en général et de Hegel en particulier dont il assimilait l'obscurité à du charlatanisme.

Réception, critiques et postérité[modifier | modifier le code]

Il n'a pas manqué de critiquer les intellectuels contemporains parmi les plus acclamés par son ironie mordante à l'égard du structuralisme, des courants de la psychanalyse, du marxisme, de la « déconstruction » et de la French Theory en vogue outre-Atlantique. Pas tendre non plus avec les références chères à la gauche libertaire, Herbert Marcuse ou Wilhelm Reich en tête[27].

Aujourd'hui que les rivalités universitaires se sont éteintes, et que l'« heure » de la French Theory est totalement passée, son œuvre est plus facile à apprécier à sa juste valeur[27].

Reconnaissance[modifier | modifier le code]

En 1966, le Prix Roger-Nimier lui est attribué.

En 2008, il est lauréat du prix Gegner de l'Académie des sciences morales et politiques pour L'École du réel[28].

En 2013, il est lauréat du prix Procope des Lumières pour son ouvrage L'Invisible[29].

Publications[modifier | modifier le code]

  • La Philosophie tragique, Paris, Presses universitaires de France, (ISBN 2-13-054066-X).
  • Le Monde et ses remèdes, Paris, Presses universitaires de France (ISBN 2-13-050941-X).
  • Lettre sur les chimpanzés : plaidoyer pour une humanité totale, Paris, Gallimard, (ISBN 2-07-075528-2). Réédition : 1999
  • Schopenhauer, philosophe de l’absurde, Paris, Presses universitaires de France, 1967, 2010 (ISBN 978-2-13-058350-9).
  • L’Esthétique de Schopenhauer, Paris, Presses universitaires de France, (ISBN 2-13-042129-6).
  • sous le pseudonyme de Roboald Marcas, Précis de philosophie moderne, Paris, R. Laffont, (ISBN 9782130570844). Rééd. : Écrits satiriques 1,Paris, Presses universitaires de France, 2008
  • Mozart, une folie de l'allégresse, Paris, Mercure de France, 1990, rééd. Le cas Mozart, Le Passeur, 2013 (écrit par Rosset et Didier Raymond) ( (ISBN 2368900381))[30] ; Mozart et le silence. Une folie d'allégresse, Le Passeur, 2021

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. État civil sur le fichier des personnes décédées en France depuis 1970
  2. « Mort de Clément Rosset, philosophe du tragique et de la joie », Bibliobs,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  3. Le Point, magazine, « Le philosophe iconoclaste Clément Rosset est mort », Le Point,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  4. « Biographie », Clément Rosset,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  5. « https://www.philomag.com/articles/clement-rosset-ne-guerit-pas-de-lespagne »
  6. a b et c « Clément Rosset - Auteur - Ressources de la Bibliothèque nationale de France », sur data.bnf.fr (consulté le ).
  7. a et b Psychologies.com, « Clément Rosset : Je suis un chasseur d’illusions », Psychologies,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  8. Robert Jean-Dominique, « Clément Rosset, Schopenhauer », Revue Philosophique de Louvain, vol. 71, no 10,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  9. Pascale Seys, « Clément Rosset, L'esthétique de Schopenhauer », Revue Philosophique de Louvain, vol. 89, no 84,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  10. « Ecrits de Schopenhauer », Cairn.info,‎ (ISSN 0338-5930, lire en ligne, consulté le ).
  11. « Le philosophe Clément Rosset est mort », sur www.philomag.com (consulté le ).
  12. « Entretien avec Clément Rosset : autour de L'école du réel - actu philosophia », sur www.actu-philosophia.com (consulté le ).
  13. « Mort de Clément Rosset, philosophe de la joie tragique », sur Le Monde, (consulté le )
  14. Lacroix 2019, p. 35 ; 69 à 82 : 5ème entretien
  15. « La Force majeure : un nouveau Nietzsche? », sur clementrosset.blogspot.fr (consulté le ).
  16. Lacroix 2019, p. 119
  17. Lacroix 2019, p. 83 à 92
  18. Lacroix 2019, p. 56, 60
  19. « Principes de sagesse et de folie - Philippe Sollers/Pileface », sur www.pileface.com (consulté le ).
  20. a et b Huisman-Monier 2000, p. 166
  21. Lacroix 2019, p. 12 à 14, 36 et 37
  22. Lacroix 2019, p. 25
  23. Lacroix 2019, p. 27
  24. Lacroix 2019, p. 35
  25. Lacroix 2019, p. 29
  26. Lacroix 2019, p. 39
  27. a et b Lacroix 2019, p. 14
  28. « ASMP - Prix Gegner », sur asmp.fr via Internet Archive (consulté le ).
  29. lalettre, « Prix Procope des Lumières 2013 à Clément Rosset », sur www.lalettredulibraire.com, (consulté le ).
  30. Clément Rosset, Esquisse biographique, Les Belles Lettres, , p. 88-89.
  31. Aurélien Barrau, « La philosophie rêvée », La vie des idées,‎ (lire en ligne, consulté le )
  32. a et b « Clément Rosset : Récit d'un noyé. - actu philosophia », sur www.actu-philosophia.com (consulté le ).

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Sur les autres projets Wikimedia :

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Marc Alpozzo, Le langage du réel ou de la tautologie selon Clément Rosset, Les Carnets de la Philosophie, no 12, juillet-août-septembre 2010, texte en ligne
  • Roxanne Breton, L’unique et le double : la répétition et la joie dans l’œuvre de Clément Rosset, Dialogue: Canadian Philosophical Review, vol.55/2, 2016
  • Sébastien Charles, La philosophie française en questions. Entretiens avec Comte-Sponville, Conche, Ferry, Lipovetsky, Onfray et Rosset, Paris, Le Livre de poche, 2004, texte en ligne
  • (collectif) Clément Rosset (La Ortiga, no 39-41, editoriaLimite, Santander, 2003)
  • (collectif) Lo Real. À proposito de Clément Rosset (Las Nubes, 1, 2004), texte en ligne
  • (collectif) Éthique à Quauhnahuac. Clément Rosset. Fragments, propos, présents (Le Grognard, no 14, juin 2010)
  • (collectif) Edição temática: Clément Rosset (Tragica : Estudos de Filosofia da Imanência, v.12, n.2, 2019), vol.1 vol.2 & vol.3
  • Normand Corbeil, La joie paradoxale, Spirale, Montréal, juin 1984, pp 4–5
  • Jacques Dewitte, Le réel simple ou double. Sur l’ "ontologie du réel" de Clément Rosset, Critique no 730, 2008, p. 173-191
  • Rafael Del Hierro, La filosofia tragica. Aprobacion de lo real y critica del doble. Thèse de doctorat, Madrid, 1995 (édition numérique)
  • Rafael Del Hierro, Rosset y los filosofos. Estudios sobre Schopenhauer y Nietzsche, 2014
  • Rafael Del Hierro, Rosset (1939), Madrid, Ediciones del Orto, 2001
  • Santiago Espinosa, « D'une lecture aveuglante », Atelier Clément Rosset,‎ (lire en ligne)
  • Santiago Espinosa, Rosset, philosophe du tragique, Paris, PUF, 2023 (ISBN 978-2-13-084493-8)
  • Denis Lejeune, The philosophy of Clément Rosset (in The Radical Use of Chance in 20th Century Art, Amsterdam, Rodopi, 2012)
  • Pierre Le Vigan, Clément Rosset ou l'éloge du réel, "Elements" no 106, sept. 2002 [1]
  • Olga del Pilar Lopez-Betancur, La philosophie tragique chez Clément Rosset : un regard sur le réel. Thèse de doctorat, Paris, 2014, texte en ligne + ed. L'Harmattan, 2018
  • Pierre-Yves Macé, Photo-, phono- et cinématographie chez Clément Rosset, Labyrinthe no 36-1, 2011, texte en ligne
  • Philippe Mengue, Clément Rosset : de la pensée du simple à l'allégresse, Critique, no 409-410, 1981, p. 595-619
  • Jean Tellez, La joie et le tragique. Introduction à la pensée de Clément Rosset, Éditions Germina, 2009
  • Stéphane Vinolo, Clément Rosset, la philosophie comme anti-ontologie, L'Harmattan, 2012
  • Jean-Charles Fitoussi : De la musique ou la jota de Rosset (2013) (documentaire)
  • Dossier « Clément Rosset (1939-2018) », de Thierry Hocquet, Marc Cerisuelo, Jean-Claude Bonnet & Alain de Libéra, Critique, juin-juillet 2018, (no 853-854), p. 603-638 [lire en ligne].
  • Alexandre Lacroix, La joie est plus profonde que la tristesse : Entretiens avec Alexandre Lacroix, Paris, Stock, , 125 p. (ISBN 9782234088474).
  • Denis Huisman et Louis Monier, Visages de la philosophie, Paris, Arléa, , 187 p. (ISBN 9782869595248), p. 166

Liens externes[modifier | modifier le code]