Classe sociale — Wikipédia

Représentation de la pyramide sociale dans la société capitaliste selon le syndicat IWW, en 1911.

La notion de classe sociale désigne, dans son sens le plus large, un groupe social de grande dimension (ce qui le distingue des simples professions) pris dans une hiérarchie sociale de fait et non de droit (ce qui le distingue des ordres et des castes).

Si elle constitue une pièce centrale des critiques anarchiste et marxiste du capitalisme ayant tous deux pour objectif d'instaurer une société sans classes, elle ne leur est pas propre : cette notion fait même partie du lexique sociologique courant.

Le concept de « lutte des classes » émerge chez des historiens libéraux bourgeois comme François Guizot, Augustin Thierry ou Adolphe Thiers au XIXe siècle. Karl Marx innove en socialisant le concept de classe sociale, par rapport à une définition par le « sang » (sang bleu des nobles), c'est-à-dire en la posant comme définie en tant que située dans des rapports de production historiquement déterminés et une mobilisation politique pour des intérêts objectivement ou subjectivement partagés. Bien après lui, les débats portent encore sur la nature des rapports entre classes sociales, sur le critère de leur différenciation, et sur la pertinence même du concept au vu des transformations sociologiques qu'ont connu les sociétés industrielles et post-industrielles.

Histoire[modifier | modifier le code]

Selon Marcel Conche, Montaigne dans sa relecture d'Epicure, « naturalise » les différences de classes sociales[1].

Christophe Bardyn note que Montaigne tient compte des différences de classes sociales dans ses propositions contre les injustes répartitions des taxes et impôts[2].

Les classes sociales relevant d'un rapport antagoniste[modifier | modifier le code]

Karl Marx[3], dans ses analyses de la société industrialisée, a mis en évidence l’existence de classes sociales, groupements d'individus partageant des intérêts communs. Le nombre de ces classes sociales ne fut pas strictement défini. Cela dépend de ses ouvrages et de l'époque de leur rédaction. Le nombre considéré variait de trois à sept. Dans son ouvrage Les Luttes de classes en France, il définit sept classes sociales[4] :

Mais Marx a toujours considéré que les deux classes les plus importantes étaient le prolétariat et la bourgeoisie capitaliste (propriétaire des moyens de production), qui sont les deux pôles antagonistes acteurs de la lutte des classes dans la société industrialisée. Il distingue la classe en soi (liée à une organisation objective) et la classe pour soi (liée à la conscience collective)[5]. Sa conception de la société a été inspirée par l’étude de l’histoire selon une méthodologie particulière : la conception matérialiste de l'histoire. Ces rapports de domination/soumission traversent les âges grâce à la transmission de la position sociale par héritage. En interactionnisme structural une classe sociale est vue comme « une classe d'équivalence, une structure pour une relation sociale ». Par exemple, la relation « faire partie de la Catégorie socio-professionnelle des ouvriers » définit la classe sociale des ouvriers comme un des éléments du quotient de la population (l'ensemble des individus) par la relation sociale (avoir la même catégorie socio-professionnelle).

Le philosophe Louis Althusser approfondira l'idée de Marx[6] estimant que la formation sociale génère un invariant structural qui la sur-détermine par le fait qu'en tant que hiérarchie de concept, elle procure la définition et l'ordre d'apparition des concepts (ce qui dénote une approche structuraliste de la notion de classe sociale). Il indiquait cependant que les membres des classes supérieurs étaient nécessairement supérieurs intellectuellement parlant[7].

Pour Jean Jaurès, qui suit Marx sur ce point, « le système capitaliste, le système de la propriété privée des moyens de production, divise les hommes en deux catégories, divise les intérêts en deux vastes groupes, nécessairement et violemment opposés. Il y a, d'un côté, ceux qui détiennent les moyens de production et qui peuvent ainsi faire la loi aux autres, mais il y a de l'autre côté ceux qui, n'ayant, ne possédant que leur force-travail et ne pouvant l'utiliser que par les moyens de production détenus précisément par la classe capitaliste, sont à la discrétion de cette classe capitaliste. Entre les deux classes, entre les deux groupes d'intérêts, c'est une lutte incessante du salarié, qui veut élever son salaire et du capitaliste qui veut le réduire ; du salarié qui veut affirmer sa liberté et du capitaliste qui veut le tenir dans la dépendance »[8].

Pour Nicos Poulantzas, l'État fait perdurer ces structures sociales par le fait que la classe dirigeante favorise les intérêts de la classe dominante. L'État est alors la condensation matérielle de rapports de forces entre classes[9].

Les classes sociales ne relevant pas automatiquement d'un rapport antagoniste[modifier | modifier le code]

Joseph Schumpeter estime que la classe sociale naît de la fonction exercée[10] (on retrouve déjà cette idée chez Platon[11] comme idéal social).

Auto-conscience, conscience de classe[modifier | modifier le code]

L'existence même de classes sociales est aussi parfois contestée, au motif qu'une classe sociale nécessiterait une conscience de classe pour être définie[12].

Sociologie[modifier | modifier le code]

Pour Max Weber, les classes sont d'ordre économique, c'est-à-dire fonction du mode de distribution des revenus et du patrimoine[13], mais également d'ordre social (fonction du prestige), et d'ordre politique (fonction du mode de contrôle de l'État).

Pour Maurice Halbwachs, les classes sociales ne sont pas automatiquement antagonistes mais forment des cercles concentriques selon sa théorie du feu de camp par la domination d'un modèle culturel orthodoxe[14]. L'instruction, la richesse et le niveau d'intégration forment des cercles concentriques générant des classes qui n'impliquent pas automatiquement des intérêts divergents[15].[source insuffisante]

Pour Vilfredo Pareto, les classes sociales naissent de l'opposition de masse d'individus et des élites gouvernementales au pouvoir. Ainsi, tout pouvoir implique cette séparation antagoniste[16]. Cependant, il estime que les groupes sont hétérogènes, notamment parce que les individus adhèrent à des valeurs différentes, et qu'ils sont évolutifs : les élites changent, ainsi que les limites de cette séparation antagoniste.

Pour Ralf Gustav Dahrendorf[17], les classes sociales ne relèvent pas automatiquement de rapports antagonistes ouverts. Les conflits d'intérêts génèrent une grande diversité de classes sociales. Le niveau de mobilité sociale qui entraîne une liberté de manœuvre rend les classes sociales traditionnelles plus diffuses et diverses. Les conflits raciaux et de religion peuvent aussi générer des changements sociaux. Il part des principes de changements exogènes de l'histoire et de possibles renégociations au sein de la société.

Henri Mendras décrit la société comme une « toupie » composée de « constellations » : la majorité de la population s'agrège dans une « constellation populaire » (50 % de la population) et une « constellation centrale » (25 %), qui constituent, avec les indépendants (15 %), le « ventre » de la toupie ; en dessous et au-dessus, la « pauvreté » (7 %) et « l'élite » (3 %), minoritaires, en constituent les pointes[18]. Dans cette modélisation, les groupes sociaux sont fluctuants, les frontières sociales sont poreuses, et la stratification sociale tend vers la moyennisation et la structuration par classe d'âge. La diminution des capacités d'action autonome pousse en effet à la moyennisation des classes sociales. La classe moyenne devient une réalité sociologique (conscience de groupe) lorsqu'elle est animée par un sentiment d'appartenance à ladite classe et la volonté de faire survivre cette classe.

« Dans ses travaux, Pierre Bourdieu a tenté de combiner ces approches en délimitant les fractions de classes en fonction de leur possession de capital économique et culturel »[19].

Max Weber
Maurice Halbwachs
Vilfredo Pareto
Ralf Dahrendorf
Pierre Bourdieu

Les classes sociales en France[modifier | modifier le code]

Selon le sociologue Louis Chauvel, les classes sociales en France se présentent de cette façon[20] :

  • les classes populaires qui représentent 60 % de la population, regroupant 20 % « situés hors de l'emploi stable et valorisé », et 40 % constituant une « classe populaire salariée stable » ;
  • les « classes moyennes salariées », qui représentent 25 % de la population ;
  • une « classe de confort », qui représente 15 % de la population ;
  • enfin, une « classe titulée » de moins de 1 % de la population, qui peut être assimilée à une « classe possédante », « à condition de comprendre que cette possession n'est pas seulement économique », correspondant à la « haute bourgeoisie ».

Il existe dans la société française des écarts de revenus importants, mais concernant le patrimoine, « l’espace entre les ouvriers et les cadres est béant »[21], le ratio entre les 10 % les plus riches et les 10 % les plus pauvres étant de 1 à 70[22]. Selon Louis Chauvel, « l’imperméabilité des classes » reste « un phénomène central »[23].

Selon un sondage de l'INSEE en 2004 :

Sentiment d’appartenir à une classe sociale et situation par rapport à l’emploi[24]
À quelle classe avez vous le sentiment d'appartenir ?
Classe sociale Actifs ayant un emploi Retraités Ensemble des adultes
Classe moyenne 42 % 36 % 40 %
Classe ouvrière 24 % 24 % 23 %
Bourgeoisie 3 % 7 % 4 %
Classe défavorisée 7 % 7 % 8 %
Classe privilégiée 8 % 5 % 8 %
Un groupe professionnel 11 % 11 % 9 %
Un groupe social 2 % 3 % 2 %
Autre 3 % 7 % 6 %

En 2018 une étude de l'INSEE établit que la différence d'espérance de vie en France entre les 5 % des Français les plus aisés, et les 5 % les plus pauvres, est de 13 ans pour les hommes et 8 ans pour les femmes[25].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. «Montaigne et la philosophie.» De Marcel Conche, Presses Universitaires de France, 2007
  2. Montaigne: La splendeur de la liberté. de Christophe Bardyn, Flammarion
  3. Karl Marx, Manifeste du parti communiste, 1848
  4. Introduction à la sociologie, Michel De Coster, 1992 - L'explication de Marx, p. 188
  5. « Les classes sociales : cours Terminale SES », sur schoolmouv.fr (consulté le ).
  6. Louis Althusser, Pour Marx, 1965
  7. Louis Althusser, Écrits philosophiques et politiques, t. 1
  8. Jean Jaurès, "Les deux méthodes", 26 novembre 1900.
  9. Nicos Poulantzas, L'État, le pouvoir, le socialisme, 1978
  10. Joseph Schumpeter, Impérialisme et classes sociales, 1951
  11. Platon, La république, livre III
  12. Voir, plus généralement, « Middle-class : confusion de terme, confusion de concept », Futur Antérieur, no 22, 1994 par Christian Marazzi.
  13. Max Weber, L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme, 1905
  14. Maurice Halbwachs, L’évolution des besoins de la classe ouvrière, 1933
  15. Maurice Halbwachs, La classe ouvrière et les niveaux de vie, 1913
  16. Vilfredo Pareto, trattato di sociologia generale, 1916
  17. Ralf Gustav Dahrendorf, Classes et conflits de classes dans la société industrielle, 1973
  18. Henri Mendras, La seconde révolution française 1965-1984, Gallimard (Folio), 1994 (1988).
  19. « Les Classes sociales en Europe: Tableau des nouvelles inégalités sur le vieux continent » de Alexis Spire, Étienne Penissat, Cédric Hugrée, éditions Agone, 2017
  20. Louis Chauvel, « Le renouveau d'une société de classes », dans Paul Bouffartigue (dir.), Le Retour des classes sociales, Paris, La Dispute, 2004, p. 62-65.
  21. Louis Chauvel, « Le retour des classes sociales ? », Revue de l'OFCE, octobre 2001, p. 331.
  22. Louis Chauvel, « Le renouveau d'une société de classes », dans Paul Bouffartigue (dir.), Le Retour des classes sociales, Paris, La Dispute, 2004, p. 62.
  23. Louis Chauvel, « Le retour des classes sociales ? », Revue de l'OFCE, octobre 2001, p. 344.
  24. Source, Insee Première no 979, juillet 2004, p. 4
  25. « L’espérance de vie par niveau de vie : chez les hommes, 13 ans d’écart entre les plus aisés et les plus modestes - Insee Première - 1687 », sur insee.fr (consulté le )

Voir aussi[modifier | modifier le code]

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Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Jacques Ellul, Les classes sociales, La Table ronde, 2018
  • Alexis Spire, Cédric Hugrée et Étienne Penissat, Les classes sociales en Europe. Tableau des nouvelles inégalités sur le vieux continent, Agone, , 272 p. (lire en ligne)
  • Serge Bosc, Stratification et classes sociales. La société française en mutations, Armand Colin, 7e édition, 2013
  • François Dubet, « Classes sociales et description de la société », Revue française de socio-économie, no 10,‎ , p. 259-264 (DOI 10.3917/rfse.010.0259, lire en ligne)
  • Alain Bihr, Les Rapports sociaux de classes, Page deux, 2012.
  • Alain Bihr et Roland Pfefferkorn, Le Système des inégalités, Paris, La Découverte, 2008, 120 pages.
  • Roland Pfefferkorn, Inégalités et rapports sociaux. Rapports de classe, rapports de sexe, Paris, Editions La Dispute, Collection « Le genre du monde », 2007, 416 pages.
  • Yannick Lemel, Les classes sociales, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2004
  • Paul Bouffartigue (dir.), Le Retour des classes sociales, Paris, La Dispute, 2004, 282 pages. Réed. 2015
  • Roger Benjamin, Humanisme et classes sociales, L'Harmattan, 2003
  • Louis Chauvel, « Le retour des classes sociales ? », Revue de l'OFCE,
  • Jacques Lautrey, Classe sociale, milieu familial, intelligence, PUF, 1980. 4e édition, 1995
  • Pierre Laroque, Les Classes sociales, coll. « Que sais-je ? », no 341, 6e édition, 1977
  • Nicos Poulantzas, Les classes sociales dans le capitalisme aujourd'hui, Seuil, 1974
  • Georges Gurvitch, Études sur les classes sociales - L'idée de classe sociale de Marx à nos jours, Gonthier/Médiations, 1966
  • Émile Pin, Les classes sociales, Spes, 1962
  • André Joussain, Les Classes sociales, PUF, coll. « Que sais-je ? », no 341, 1959
  • Joseph Schumpeter, Impérialisme et classes sociales, 1951 ; Flammarion, 1999
  • Maurice Halbwachs, Les classes sociales, 1942. Réed. PUF, 2008
  • Sur les origines de la théorie : La France au XIXe siècle (1814-1914), Dominique Barjot, Jean-Pierre Chaline et André Encrevé, PUF, 2014, et Marie-France Piguet, Classe : histoire du mot et genèse du concept des Physiocrates aux historiens de la Restauration, Presses universitaires de Lyon, 1996

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]