Congrès pour la liberté de la culture — Wikipédia

Congrès pour la liberté de la culture
Histoire
Fondation
Dissolution
Successeur
Association internationale pour la liberté de la culture (d)Voir et modifier les données sur Wikidata
Cadre
Siège
Pays

Le Congrès pour la liberté de la culture (en anglais : Congress for Cultural Freedom - CCF), fondé en 1950 et domicilié à Paris, est une association culturelle anticommuniste.

En avril 1966, il est révélé que la CIA finance secrètement le Congrès au travers de fondations écrans, ce qui fait scandale. Le Congrès est par la suite renommé Association internationale pour la liberté de la culture (en anglais : International Association for Cultural Freedom - IACF). À son apogée, le cercle était actif dans pas moins de 35 pays et recevait des subsides importants de la Fondation Ford.

Création du Congrès pour la liberté de la culture[modifier | modifier le code]

Le Congrès international pour la liberté de la culture (CILC) est fondé au Titania Palace à Berlin-Ouest le pour trouver des moyens de contrer l'idée que la démocratie libérale serait moins compatible avec la culture que ne le serait le communisme. Dirigé par l'agent de la CIA Michael Josselson[1], ce congrès constituait une réponse au Congrès mondial des intellectuels pour la paix de Wroclaw et au Congrès mondial des partisans de la paix de Paris, tenus respectivement en 1948 et 1949, dans un contexte de radicalisation de la guerre froide, lancés, contrôlés et financés par l'URSS.

Pour le CILC, il s'agissait de répondre aux offensives politiques et idéologiques du mouvement communiste international et de s’opposer à l’influence communiste dans le monde intellectuel. L'objectif du Congrès était de « trouver une réponse morale et politique à la menace totalitaire »[2] et de lutter contre les positions neutralistes et pacifistes des intellectuels européens, autour du thème « La liberté contre le totalitarisme ». Lors de la conférence de Berlin, Nicolas Nabokov proclame :

« Avec ce Congrès nous devons construire une organisation de guerre[3]. »

Le lieu du Congrès n'est pas choisi au hasard, puisque Berlin sort tout juste d'un blocus imposé par l'Union soviétique. Parmi les personnalités présentes au Titania Palace on dénombre tous types d’intellectuels anti-staliniens : des conservateurs et, en plus grand nombre, des membres de la gauche non communiste : Franz Borkenau, Karl Jaspers, John Dewey, Ignazio Silone, James Burnham, Hugh Trevor-Roper, Arthur Schlesinger, Bertrand Russell, Ernst Reuter, Raymond Aron, Benedetto Croce, Jacques Maritain, Arthur Koestler, James T. Farrell, Richard Löwenthal, Robert Montgomery, Américo Ghioldi, Tennessee Williams et Sidney Hook. Ernst Reuter, maire de Berlin-Ouest de 1948 à 1953, préside le comité d'organisation, tandis que Melvin J. Lasky, citoyen américain installé en Allemagne, assure la fonction de secrétaire général[4].

Au sein du comité américain, l’American Committee for Cultural Freedom (ACCF), ce sont les intellectuels ex-communistes qui affirment avec le plus de véhémence la nécessité d’une résistance au communisme : Franz Borkenau (membre du Parti communiste d'Autriche jusqu’en 1929), Sidney Hook (compagnon de route des communistes dans les années 1920) ; Arthur Koestler (membre du Parti communiste d'Allemagne de 1931 à 1938) et James Burnham (membre de la Quatrième Internationale de 1934 à 1940). Koestler et Borkenau appuient « à fond l’idée de la constitution d’un mouvement d’opposition frontal au communisme international[5]. » Burnham s’est même prononcé en faveur de la fabrication de bombes atomiques américaines[6]. Il a ensuite démissionné de l’ACCF, estimant que celui-ci faisait preuve de trop de mollesse.

Activités[modifier | modifier le code]

La charte fondatrice, base des statuts et la ligne directrice de l’activité du Congrès fut le « Manifeste aux hommes libres ».

Le Congrès a œuvré pour s’opposer à toute forme de totalitarisme, qu’il fût d'extrême gauche ou d'extrême droite, a soutenu des victimes de n’importe lequel de ces régimes et encouragé des intellectuels à travers le monde à penser plus librement.

Selon Roselyne Chenu[7], le programme européen dont la responsabilité lui incombait, dépensait autant de temps et d’argent pour aider des intellectuels d’Europe centrale et orientale que ceux de l’Espagne de Franco, de la Grèce des colonels et du Portugal de Salazar.

Son action s'étend également dans la musique et les arts plastiques : c'est d'ailleurs à Paris en 1952 qu'a lieu le premier évènement, un concert au Théâtre des Champs-Élysées. Par la suite, tous les musées européens sont invités à accueillir les tenants de l'expressionnisme abstrait, art présenté comme authentiquement américain (mais résolument non social car non figuratif)[8].

Le Congrès réussit à obtenir suffisamment de fonds pour détenir des bureaux dans 35 pays, entretenir un large personnel, financer des événements internationaux et produire de nombreuses publications. Au début des années 1960, le Congrès monta une campagne pour discréditer le poète chilien Pablo Neruda. La campagne s'intensifia, et ce, avec l'aide de René Tavernier, quand il apparut que Neruda était candidat au prix Nobel de 1963[8]. Jean-Paul Sartre a également été une cible du Congrès, ainsi que Simone de Beauvoir, à travers des articles dans Preuves.

Dans les années 1960, le Congrès a davantage cherché à nouer des relations avec les intellectuels « révisionnistes » d’Europe de l’Est et à soutenir la dissidence (des liens ont été entretenus avec la Pologne principalement). De 1958 à 1969, le Congrès finança les publications de nombreux intellectuels et artistes libéraux qui ignoraient souvent le rôle occulte de la CIA et croyaient à un financement par des fondations. Parmi ceux-ci se trouvaient Heinrich Böll, Siegfried Lenz et les revues Preuves (Raymond Aron), Der Monat (Melvin J. Lasky), Tempo presente (Ignazio Silone) et Encounter (Irving Kristol).

Implication de la CIA[modifier | modifier le code]

Le scandale de 1967[modifier | modifier le code]

Le , The New York Times révèle que le Congrès reçoit depuis sa fondation un financement de la CIA. En 1967, les magazines Ramparts et Saturday Evening Post enquêtent à leur tour sur le financement par la CIA d'un certain nombre d'associations culturelles anticommunistes dans le but de gagner le soutien des sympathisants progressistes de l'Union soviétique. Ces reportages sont crédités par une déclaration d'un ancien directeur d'opérations secrètes à la CIA qui admet le financement par la CIA et les opérations du Congrès.

La révélation provoque de nombreux départs. S'exprimant à propos des revues financées par la CIA, François Bondy, qui dirige Preuves, ou Raymond Aron, qui y écrit, défendent l'idée que les financements étaient secrets et inconnus même des dirigeants, et donc qu'il était impossible à la CIA d'exercer sur eux une influence directe[9]. Aron, dans ses Mémoires, affirme qu'il ignorait bien le financement par la CIA de Preuves, mais n'en défend pas moins cette opération. Il rappelle la liberté dont bénéficiait les intellectuels du Congrès et oppose le Congrès à l'obéissance des intellectuels manipulés par l'Union soviétique comme Frédéric Joliot-Curie.

Denis de Rougemont, Manès Sperber, Pierre Emmanuel étaient d'autres intellectuels français proches du Congrès. Aron côtoya au Congrès George F. Kennan, Robert Oppenheimer et Michael Polanyi. La politique visée par la CIA était de permettre l'émergence d'un centre-gauche démocratique non communiste et proche des idées libérales[8].

Aujourd'hui, alors que ses archives concernant cette époque sont déclassifiées, la CIA affirme que

« le Congrès pour la liberté de la culture est largement considéré comme une des opérations secrètes de la CIA les plus osées et efficaces de la guerre froide[10]. »

Poursuites[modifier | modifier le code]

Des théories sur le bras australien de l'Association internationale pour la liberté de la culture abondent depuis 1975 au moment où le gouverneur-général d'Australie, membre de l'association selon William Blum, tel que cité par John Pilger, membre de l'exécutif de la branche australienne, révoque le gouvernement du premier ministre Gough Whitlam. Cette décision est décrite par certains comme un coup d'État préparé depuis les États-Unis[11].

Postérité[modifier | modifier le code]

Aujourd'hui, les archives de l'Association internationale pour la liberté de la culture et de son prédécesseur, le Congrès pour la liberté de la culture, sont conservées parmi les collections spéciales du centre de recherche de la bibliothèque de l'université de Chicago.

Les publications financées à l'origine par le Congrès comprennent :

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. « CIA, OTAN, MI6 & la guerre froide culturelle (1945–1955) », lesfilsdelaliberte.net, 14 avril 2010.
  2. Pierre Grémion, Intelligence de l'anticommunisme, p. 27.
  3. Frances Stonor Saunders, Qui mène la danse ?, p. 104.
  4. Michel Winock, Le Siècle des intellectuels, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points », 1999, p. 603.
  5. Pierre Grémion, op. cit., p. 142.
  6. Pierre Grémion, op. cit., p. 37.
  7. Écrivain et biographe, ancienne assistante (1964-1975) de Pierre Emmanuel (directeur littéraire, secrétaire général adjoint du Congrès pour la liberté de la culture, directeur puis président de l’Association internationale pour la liberté de la culture).
  8. a b et c Hans-Rüdiger Minow, Quand la CIA infiltrait la culture, documentaire d'Arte sur le Congrès pour la liberté de la culture, 2006.
  9. Raymond Aron, Mémoires et Philippe Grémion, anthologie de Preuves.
  10. « … [t]he Congress for Cultural Freedom is widely considered one of the CIA's more daring and effective Cold War covert operations. »

    « Origins of the Congress for Cultural Freedom, 1949-1950 — Central Intelligence Agency », sur cia.gov (consulté le )
  11. Voir sur umeria.net.
  12. Voir l'anthologie de Pierre Grémion : Preuves, une revue européenne à Paris, Paris, Julliard/Commentaire, 1989.

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Raymond Aron, Mémoires, Robert Laffont, 2003 (nouvelle édition), 776 p.
  • (en) Peter Coleman, The Liberal Conspiracy. The Congress for Cultural Freedom and the Struggle for the Mind of Postwar Europe, New York, The Free Press, 1989, 333 p.
  • Pierre Grémion, Intelligence de l'anticommunisme. Le congrès pour la liberté de la culture à Paris (1950-1975), Paris, Fayard, 1995, 645 p.
  • (de) Michael Hochgeschwender, Freiheit in der Offensive ? Der Kongreß für kulturelle Freiheit und die Deutschen, Munich, 1998 (comprend une étude des origines berlinoises du Congrès)
  • (de) Matthias Hannemann, « Kalter Kulturkrieg in Norwegen ? Zum Wirken des "Kongreß für kulturelle Freiheit" » in Skandinavien, NordeuropaForum (2/1999), S. 15-41 (sur le fonctionnement local du Congrès et l'engagement de Haakon Lie et de Willy Brandt)
  • Frances Stonor Saunders, Qui mène la danse ? La CIA et la guerre froide culturelle, Paris, Denoël, 2003, 506 p. (édition originale : Who Paid the Piper? CIA and the Cultural Cold War, Granta Books, 1999 ; paru aux États-Unis sous le titre The Cultural Cold War: The CIA and the World of Arts and Letters, The New Press, 2000)
  • Frédéric Charpier, La CIA en France, 60 ans d'ingérence dans les affaires françaises, Le Seuil, 2007
  • Pierre Grémion, Intelligence de l'anticommunisme. Le congrès pour la liberté de la culture à Paris 1950-1975, Fayard, 1995
  • Roger Faligot et Rémi Kauffer, Éminences grises, Fayard, 1992
  • Georges Walter, Souvenirs curieux d’une espèce de Hongrois, Taillandier, 2008

Filmographie[modifier | modifier le code]

Radio[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]