Décret-loi en droit français — Wikipédia

En droit français, le décret-loi était un acte de gouvernement pris en vertu d'une habilitation législative dans un domaine relevant normalement de la compétence de la loi. C'est l'une des deux variantes de la procédure législative déléguée.

Le décret-loi était, en France, sous la IIIe et sous la IVe République, une extension exceptionnelle du pouvoir réglementaire dans le domaine législatif, permise par une loi d'habilitation votée par le Parlement.

Histoire[modifier | modifier le code]

En France, il existe deux[1], voire trois catégories de décrets-lois.

La première catégorie de décrets-lois correspond aux actes pris par des gouvernements provisoires. Il s'agit :

  1. Des actes pris par le Gouvernement provisoire du , date de la proclamation de la République, au , date de la première réunion de l'Assemblée nationale constituante[2],[3],
  2. Des actes pris par Louis-Napoléon Bonaparte du coup d'État du au , date de l'entrée en vigueur de la Constitution du [2],[3],
  3. Des actes pris par le Gouvernement de la Défense nationale du , date de la proclamation de la République, au , date de la première réunion, à Bordeaux, de l'Assemblée nationale[2],[3].

La deuxième catégorie de décrets-lois correspond aux décrets pris sur habilitation législative.

La troisième catégorie de décret-lois correspond aux décrets pris dans des matières relevant du domaine du règlement, en vertu d'une extension de celui-ci.

La pratique des décrets-lois est inaugurée pendant la Première Guerre mondiale[4]. En , une loi du accorde au gouvernement Raymond Poincaré la faculté de procéder par décrets-lois afin de réaliser des économies[4]. Dans les dernières années de la IIIe République, le recours aux décrets-lois devient fréquent. Les gouvernements suivants sont autorisés à agir par voie de décrets-lois[4] : en , le gouvernement Chautemps (II) par la loi du [5],[N 1] ; en , le gouvernement Doumergue (II) par la loi du [5],[N 2] ; en , le gouvernement Laval (IV) par la loi du [8],[N 3] ; en , le gouvernement Chautemps (III) par la loi du [8],[N 4] ; en -, au gouvernement Daladier (III) par les lois des [8],[N 5] et [8],[N 6] puis celle du [8],[N 7]. Enfin, avec la loi du [14],[N 8], les décrets-lois deviennent le procédé normal de gouvernement du pays pendant la Seconde Guerre mondiale[4]. Entre le et le , sur 76 mois, la France a été 31 mois et demi sous le régime des décrets-lois ; et, entre le et le , 22 mois et demi sur 36.

Sous la IVe République, l'article 13 de la Constitution du interdit le recours aux décrets-lois[16]. Mais, les règles juridiques établies le cédant aux habitudes parlementaires, la plupart des gouvernements qui se succédèrent au pouvoir après 1953 recoururent, notamment par la pratique de la loi-cadre, au système des décrets-lois, interdit pourtant par la Constitution. Sous la Ve République, l'institution des ordonnances, prévues et réglementées par l'article 38 de la Constitution, correspond à l'ancienne pratique des décrets-lois. Le gouvernement peut ainsi, « pour l'exécution de son programme, demander au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnance, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi ». Mais alors que les décrets, intervenant dans des matières qui ne sont pas législatives, peuvent toujours être attaqués au contentieux, les ordonnances (comme jadis les décrets-lois), édictées par l'autorité administrative dans le domaine de la loi, ne sont plus, une fois ratifiées par le Parlement, susceptibles de recours. Avant ratification, le Conseil d'État considère, selon une jurisprudence constante depuis 1907, que les actes pris par le gouvernement en vertu d'une délégation législative restent des actes administratifs soumis au contrôle contentieux du juge administratif.

Il n'existe plus sous la Ve République. Il a été remplacé par la procédure d'ordonnance régie par l'article 38 de la Constitution de 1958. À l'inverse des décrets-lois, les ordonnances législatives nécessitent l'approbation a posteriori du Parlement avant d'être intégrées dans le corpus législatif.

Sous la IIIe République[modifier | modifier le code]

Le Parlement a délégué au gouvernement de la IIIe République sa compétence dans un domaine qui relève de la loi et qui, normalement, appartient au Parlement.

La pratique des décrets-lois était régulièrement utilisée sous la IIIe République pour éviter la chute du gouvernement. La Chambre des Députés ou le Sénat pouvaient chacun de leur côté renverser librement le gouvernement par un vote de défiance. Or il était important que cette pratique de transfert des pouvoirs du législatif à l’exécutif s’opère au mieux afin de ne pas avoir à renverser sans cesse le gouvernement en place sous la IIIe République, donnant donc une certaine stabilité au régime. Cela n’a pas empêché la IIIe République d’être très instable ministériellement parlant.

Sous la IVe République[modifier | modifier le code]

La pratique pourtant illégale et honnie des décrets-lois réapparaît sous des formes modifiées afin de rendre plus efficient le gouvernement du pays. Ainsi, le gouvernement requiert l'avis du Conseil d'État sur une possibilité constitutionnelle de demander des habilitations. Le Conseil d'État se prononce en faveur dans son avis du 6 février 1953, si bien que « le droit administratif conditionne donc en France le régime de la délégation législative contre le texte constitutionnel »[17]. Le Parlement consent à de nouvelles délégations de compétence malgré l'article 13 qui dispose :

« L'Assemblée nationale vote seule la loi. Elle ne peut déléguer ce droit. »

La délégation de compétence prend trois formes distinctes.

Retour des lois d'habilitation
Les vrais décrets-lois finirent néanmoins par réapparaître. Des lois d'habilitation furent votées par le Parlement, comme celles du et du (pour les gouvernements Joseph Laniel et Pierre Mendès France respectivement). On retrouve les caractéristiques des lois d'habilitation de la IIIe République : délégation limitée dans le temps, décrets entrant en vigueur immédiatement, et ratification ultérieure du Parlement. Toutefois le domaine de la délégation est plus précis, et cette dernière est attachée au gouvernement qui en a été doté : si le gouvernement tombe[précision nécessaire] la loi d'habilitation n'est plus valable pour son successeur[réf. souhaitée].

Ces délégations de compétence avaient des avantages : elles permettaient de décharger le Parlement, souvent encombré, et elles limitaient les occasions offertes à l'Assemblée nationale de faire tomber un gouvernement sur un vote de défiance. Mais, tout comme les décrets-lois de la IIIe République, elles montrent que le Parlement, doté de pouvoirs énormes, était incapable par sa nature profonde de gouverner réellement le pays, et devait donc déléguer à l'exécutif des moyens de gouverner efficacement[réf. souhaitée].

Décrets-lois transitoires au début de la Ve République[modifier | modifier le code]

Une disposition transitoire de la Constitution de 1958 d'origine (abrogée par la loi constitutionnelle no 95-880 du , publiée au JO du ) prévoyait l'usage d'« ordonnances ayant force de loi » pendant une courte période afin d'assurer la transition entre les régimes des IVe et Ve Républiques.

Ces ordonnances extraordinaires, qui n'avaient pas besoin de ratification parlementaire, se comportaient comme des décrets-lois et ont donc pu être nommées comme telles dans la doctrine (par exemple la citation de CE Sect 12 févr. 1960, Société Éky, dans le point 1 du commentaire d'Ingénieurs Conseils dans le GAJA Dalloz 14e édition, opère une telle confusion linguistique).

Notes et références[modifier | modifier le code]

Notes[modifier | modifier le code]

  1. L. , art. 8[6].
  2. L. , art. 36[7].
  3. L. , art. unique[9].
  4. L. , art. unique[10].
  5. L. , art. unique[11].
  6. L. , art. unique[12].
  7. L. , art. unique[13].
  8. L. , art. unique[15].

Références[modifier | modifier le code]

  1. Soubeyrol 1955, p. 19.
  2. a b et c Planiol 1928, no 158, p. 72.
  3. a b et c Soubeyrol 1955, p. 20.
  4. a b c et d Gicquel et Gicquel 2017, no 911.
  5. a et b Soubeyrol 1955, p. 25.
  6. L. , art. 8, p. 12775, col. 1.
  7. L. , art. 36, p. 2021, col. 2.
  8. a b c d et e Soubeyrol 1955, p. 26.
  9. L. , art. unique, p. 6298, col. 2.
  10. L. , art. unique, p. 7418, col. 3.
  11. L. , art. unique, p. 4426, col. 2-3..
  12. L. , art. unique, p. 11666, col. 2-3.
  13. L. , art. unique, p. 3646, col. 1.
  14. Soubeyrol 1955, p. 27.
  15. L. , art. unique, p. 13834, col. 1.
  16. Gicquel et Gicquel 2017, no 1473.
  17. Antoine Faye, Les bases administratives du droit constitutionnel français : Recherche sur la culture administrative du droit constitutionnel français, Institut universitaire Varenne, , 596 p. (ISBN 978-2-37032-139-8, lire en ligne), p. 79

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Documents officiels[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • [Chapus 1953] René Chapus, « La loi d'habilitation du et la question des décrets-lois », Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger,‎ , p. 654-1006.
  • [Daugeron 2018] Bruno Daugeron, « Le contrôle parlementaire de la guerre », Jus politicum : revue de droit politique, no 15 : « Le droit public et la Première Guerre mondiale »,‎ , p. 1re partie (« Le droit public et la Première Guerre mondiale »), art. no 5, 20 p. (résumé, lire en ligne [PDF], consulté le ).
  • [Duguit 1924] Léon Duguit, « Des règlements faits en vertu d'une compétence donnée au gouvernement par le législateur », Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger, vol. 31e année, t. XLI,‎ , p. 313-349 (lire en ligne, consulté le ).
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  • [Gicquel et Gicquel 2017] Jean Gicquel et Jean-Éric Gicquel, Droit constitutionnel et institutions politiques, Issy-les-Moulineaux et Paris, LGDJ, coll. « Précis Domat / droit public », , 31e éd., 1 vol., 926, 22 cm (ISBN 978-2-275-04943-4, EAN 9782275049434, OCLC 1004220255, BNF 45346667, SUDOC 204054540, présentation en ligne, lire en ligne).
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  • [Lemaire 2018] Elina Lemaire, « Le désaccord du Parlement et du gouvernement sur “la Constitution du pouvoir politique en temps de guerre” : l'échec du projet Briand sur les décrets-lois (déc. 1916jan. 1917) », Jus politicum : revue de droit politique, no 15 : « Le droit public et la Première Guerre mondiale »,‎ , p. 1re partie (« Le droit public et la Première Guerre mondiale »), art. no 8, 28 p. (résumé, lire en ligne [PDF], consulté le ).
  • [Planiol 1928] Marcel Planiol (avec la collaboration de Georges Ripert), Traité élémentaire de droit civil, t. Ier, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, , 11e éd., 1 vol., XIII-1112-38 (BNF 31120594, lire en ligne [fac-similé]).
  • [Rolland 1924] Louis Rolland, « Le projet du et la question des « décrets-lois » », Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger, vol. 31e année, t. XLI, no 1,‎ , p. 42-74 (lire en ligne, consulté le ).
  • [Rusu 1942] Dragos Rusu (préf. de Roger Bonnard), Les décrets-lois dans le régime constitutionnel de (thèse de doctorat de droit soutenue à l'université de Bordeaux en ), Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, , 1re éd., 1 vol., VII-396-[1] (errata) (OCLC 32524022, BNF 32594311, SUDOC 023725117).
  • [Soubeyrol 1955] Jacques Soubeyrol (préf. de Jean-Marie Auby), Les décrets-lois sous la Quatrième République (thèse de doctorat en droit soutenue à l'université de Bordeaux le , et mise à jour au ), Bordeaux, Samie, , 1re éd., 1 vol., XVI-232, gr. in-8o (16,5 × 25 cm) (OCLC 459645380, BNF 32639946, SUDOC 02626319X, lire en ligne).

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]