Défixion — Wikipédia

Tablette de défixion (Ier siècle) invoquant Dis Pater

Une tablette de défixion (defixio en latin, κατάδεσμος / katádesmos en grec ancien), appelée aussi tablette de malédiction ou tablette d’envoûtement, est un support avec une inscription destinée à nuire à une personne ou à plusieurs. Il s'agit du type de témoignage le plus répandu qui nous soit parvenu de la magie antique. En effet, environ 2 000 exemplaires sont recensés à ce jour, s’étalant du VIe siècle av. J.-C. pour le document le plus ancien au VIe siècle, et cela dans l’ensemble du monde gréco-romain.

Attestée dans la littérature, la pratique consiste littéralement à « clouer », « lier », une personne ou parfois un animal. Comme le précise Fritz Graf : « L’objectif habituel de la défixion est donc de soumettre un autre être humain à sa volonté, de le rendre incapable d’agir selon son propre gré. », pratique dorénavant appelée envoûtement.

Artefacts utilisés[modifier | modifier le code]

Malgré une variété normale vu le nombre important d’exemplaires trouvés, les tablettes de défixion répondent généralement à un certain nombre d’impératifs et reprennent des formes préétablies. Ainsi, s’il n’est pas le seul à avoir été utilisé, c’est toutefois le plomb qui semble avoir eu la préférence des magiciens comme support[1]. Les raisons de ce choix sont multiples et relèvent aussi bien de la pratique que de la symbolique. En effet, métal froid et sombre, il se trouvait notamment lié par sympathie aux mondes cachés. Mais plus encore, le plomb est malléable, facile à graver et résistant aux outrages du temps, à l’image de la pratique qui se veut souvent éternelle. Il était de plus d’un coût relativement faible, étant le plus souvent dérobé aux canalisations servant à alimenter les cités en eau. Mais des tablettes en bronze, étain, etc. et sur papyrus en Égypte ont aussi été découvertes, ce qui prouve que l’importance de la parole écrite devenue opérante est supérieure que le support en lui-même.

Les sépultures ont fourni un grand nombre, que ce soit à Athènes au Céramique, en Sicile ou même à Carthage. Les exécutants allaient jusqu’à utiliser le tuyau à libation en terre cuite qui reliait les cippes funéraires à l’extérieur pour y introduire les tablettes, obligeant les familles des défunts à une certaine vigilance. Les puits et les sources étaient aussi tout particulièrement prisés, comme le montre le manuscrit VII des Papyrus grecs magiques, à l’image de la source des Roches à Chamalières où a été découverte une tablette rédigée en langue gauloise ; à Bath aussi des dizaines de tablettes ont été trouvées dans la source sacrée.

D’autres objets aux caractères délibérément magiques pouvaient éventuellement accompagner les feuilles de plomb ou de papyrus. Le cas le plus fréquent est celui de clous comme signalé plus haut. Plus rarement, des morceaux d’étoffe, des cheveux ont été trouvés, restes de ce qui constituait l’ousia, ce matériel magique provenant de la personne visée. Mais le cas le plus intéressant est peut-être celui de figurines d’envoûtement dont plusieurs exemples ont été découverts, le plus souvent en compagnie de tablettes. Celles-ci pouvaient être schématiques à l’image de celles provenant de Karystos ou Tell-Sandhahana ou plus réalistes. Faites alors en terre cuite, elles étaient transpercées d’aiguilles dans différentes parties anatomiques et la personne était représentée liée, entravée en vertu de la croyance à la "sympathie".

Domaines d'action[modifier | modifier le code]

Le champ d’action des tablettes était très vaste. Il touchait tous les domaines des passions humaines. Il est cependant possible de distinguer quatre grandes familles :

  • les defixiones iudicariae, courantes dans l’Athènes des Ve et IVe siècles av. J.-C., qui tentaient de nuire aux adversaires dans le cadre d’un procès. L’étude menée par G. Ottone, s’appuyant entre autres sur le fait que c’est le plus souvent la partie adverse qui est mise en cause et rarement les juges, laisse penser qu’elles appartiennent à la phase d’instruction et sont donc antérieures au procès lui-même ;
  • les defixiones amatoriae visent à attirer une personne aimée, le plus souvent de manière définitive et immédiate, ou à causer tort à un rival en amour : l'une des plus célèbres est la tablette de Pella, rédigée en ancien macédonien au IVe siècle av. J.-C. ;
  • les defixiones agonisticae, attestées essentiellement à l’époque impériale, dont le contexte est clairement celui du théâtre ou du cirque. À ce groupe on peut adjoindre les defixiones contre des concurrents économiques, qui relèvent de la même logique ;
  • enfin les défixions visant un voleur ou un calomniateur.

Historiographie[modifier | modifier le code]

On voit l’intérêt que représentent pour les historiens de tels documents qui renseignent à la fois sur les pratiques magiques et sur la vie des sociétés qui n’hésitaient pas à y recourir[1], cela dans toutes les classes sociales puisque, entre autres exemples, Tacite rapporte que Cn. Calpurnius Pison fut accusé d'avoir utilisé des maléfices contre Germanicus[2], tandis que, dans le sable d'une tombe de la nécropole d'Ostie, une lamelle de plomb percée de cinq trous portait les noms de neuf femmes, toutes esclaves et coiffeuses[3].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. a et b Catherine Virlouvet (dir.) et Stéphane Bourdin, Rome, naissance d'un empire : De Romulus à Pompée 753-70 av. J.-C, Paris, Éditions Belin, coll. « Mondes anciens », , 796 p. (ISBN 978-2-7011-6495-3), chap. 10 (« La religion et la cité de Rome »), p. 552
  2. Tacite, Annales, III, 13
  3. CIL 5306, Mireille Cébeillac-Gervasoni, Maria Letizia Caldelli, Fausto Zevi, Épigraphie latine, Armand Colin, 2006, (ISBN 2200217749), pp. 120-121.

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Auguste Audollent, Defixionum tabellae quotquot innotuerunt tam in Graecis Orientis quam in totius occidentis partibus praeter Atticas in corpore inscriptionum Atticarum editas, Thèse de doctorat d’État, Paris, A. Fontemoing, 1904. Lire en ligne
Résumé en français : Lire en ligne. Réédition Francfort, 1967.
  • Fritz Graf, La magie dans l’antiquité gréco-romaine, Paris, Les Belles Lettres, , 322 p. (ISBN 978-2251380278)
  • (es) Amor López Jimeno, Les tabellae defixionis de la Sicília Griega, Adolf M. Hakkert Editore, (ISBN 9025610021)
  • (es) Amor López Jimeno, Tabellae defixionis άticas : no includas en anteriores "corpora", Secretariado de Publicaciones e Intercambio Cientifico, Universidad de Valladolid,‎ (ISBN 84-7762-651-0)
  • (es) Amor López Jimeno, Nueva tabellae defixionis άticas, Adolf M. Hakkert Editore,‎ (ISBN 90-256-1130-3)
  • (es) Amor López Jimeno, Textos griegos de maleficio, Ediciones Akal, (ISBN 978-8446014843)
  • Michaël Martin, La magie et ses praticiens dans le monde gréco-romain, Paris, Errance, (ISBN 2-87772-309-7)
  • Michaël Martin, Sois maudit ! Malédictions et envoûtements dans l'Antiquité, Paris, Errance, (ISBN 978-2-87772-414-2)
  • Jérémie Viret, Pierre Yves Lambert et Lucas Repansec, La Défixion gauloise de Chartres, Paris, CNRS éditions, (ISBN 978-2271083173)

Voir aussi[modifier | modifier le code]

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Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]