Discrimination selon l'apparence physique — Wikipédia

Les personnes grosses, en surpoids ou obèses, sont souvent perçues comme des personnes manquant de contrôle sur leur alimentation.
Le Glouton, Georg Emanuel Opiz, 1804.

La discrimination selon l'apparence physique, porte sur les caractéristiques visibles d'un individu modifiable ou non qu'il s'agisse de son physique proprement dit (taille, poids, visage, cheveux, couleur de peau), de sa vêture, de ses tatouages, piercing et maquillage.

Parfois désignée par le néologisme lookisme (du mot anglais lookism, composé de look : apparence et -ism : -isme), désigne la création de stéréotypes et les discriminations pour cause d'apparence physique[1].

Définition[modifier | modifier le code]

On peut le définir de la manière suivante :

« Le lookisme est la supposition que l'apparence physique est un indicateur pour la valeur d'une personne. Elle fait référence à la construction sociale d'une norme de beauté et à l'oppression par création de stéréotypes et par généralisation sur des personnes correspondant ou ne correspondant pas à cette norme[2]. »

Domaines concernés[modifier | modifier le code]

Les personnes peuvent être confrontées à des discriminations selon l'apparence physique dans tous les domaines de la vie quotidienne : emploi (recrutement[3], promotion[4], traitement inéquitable, employabilité et chômage[5], carrière)[6], enseignement (admission[7], biais cognitifs et sociologiques chez les enseignants[8],[9] et les étudiants[10], épreuves orales, harcèlement, stigmatisation sociale, effet Pygmalion chez les enseignants dont les attentes, même erronées, influencent les progrès et la réussite des élèves[11]), statut social (mobilité sociale intergénérationnelle en ce qui concerne le niveau d'éducation, la profession et le revenu)[12], relations interpersonnelles (sélection inconsciente ou tacite du partenaire ou des amis selon des critères physiques[13], pouvoir de négociation des femmes au sein du ménage[14]), accès aux biens et services (commissions d'attribution de logement ou locations, prêts bancaires[15], négociation de prix[16], examen du permis de conduire, sélection à l'entrée des discothèques ou mauvais accueil dans des bars[17]), justice (préjugés des magistrats, avocats et jurés liés à l'apparence physique de l'accusé ou des témoins, récusation de juge, effets sur le rendu de la peine, le « délit de sale gueule » aggravant les condamnations)[18], politique (éthos de l'orateur politique, succès électoral)[19]

Impacts[modifier | modifier le code]

Si la pudeur, la honte, la lassitude ou le déni rendent parfois la souffrance moins dicible ou visible, les personnes discriminées n'en sont pas moins affectées par ce type de discrimination qui produit des impacts psychologiques et physiologiques plus ou moins profonds[20]

L'industrie du spectacle, la publicité et les médias sont accusés de jouer un rôle dans la perpétuation de cette discrimination en véhiculant des normes de beauté irréalistes et des stéréotypes. Toutefois, leur sensibilisation aux impacts potentiels du lookisme conduit le sociologue Jean-François Amadieu à observer « depuis quelques années une inflexion inattendue qui pourrait bien contribuer à faire bouger les lignes de manière décisives[21] ».

Droit par pays[modifier | modifier le code]

Droit français[modifier | modifier le code]

L'apparence physique est une discrimination reconnue dans le droit en France (code pénal) depuis la loi du 16 novembre 2001[22]. Le rapport de l’assemblée nationale n° 2609 [23], à l’origine de cette loi, évoque l'inclusion de ce critère d'apparence physique « par effet de réaction à des faits d’actualité, tels le licenciement d’une vendeuse à raison de sa couleur de peau jugée inadéquate par rapport au rayon dans lequel elle exerçait, ou encore la mention de « race blanche », d’une personne ayant une « bonne tête » dans une annonce d’offre d’emploi (Péru-Pirotte, 2009)[24]. Le rapport justifie en outre l’ajout de l’apparence physique suite au contentieux entre une compagnie aérienne américaine et certaines de ses hôtesses. La compagnie avait instauré un poids à ne pas dépasser en fonction du sexe, de l’âge et de la taille des employé-es sous peine de suspension, voire de résiliation de contrat, ce qui induit, d’après le rapport, l’existence d’une discrimination selon l’apparence physique « souvent méconnue ou niée ». Les exemples choisis mettent tous en avant le caractère multidimensionnel de l’« apparence physique », que confirment également des enquêtes récentes (DDD, 2016)… Considéré comme une originalité française, le critère est textuellement absent du droit international et du droit communautaire[25] ».

Depuis cette loi de 2001, le cadre législatif antidiscriminatoire français a évolué. La définition même de la discrimination (directe et indirecte) est donnée par le législateur dans la loi du 27 mai 2008, transposition des directives européennes RACE et EMPLOI[26], alors que la première occurrence de la notion en droit français date de 1972[27] et que la mission de la définir incombait jusque-là au juge national[28].

Longtemps sous-estimée, cette discrimination est mise en évidence notamment pour l'accès aux emplois par des testings de l'Observatoire des discriminations créé en 2003 et par les sondages du défenseur des droits créé en 2008. Cette législation antidiscriminatoire reste cependant largement ignorée ; « en témoigne le faible nombre de réclamations sur ce sujet auprès du Défenseur des droits et le petit nombre d'affaire jugées[29] ».

Droit canadien[modifier | modifier le code]

Droit québécois[modifier | modifier le code]

Dans l'affaire Ward c. Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) [30], la Cour suprême affirme que les propos qui relèvent de l'humour ne sont pas ordinairement de nature à entraîner un effet social discriminatoire[31] car de tels propos ne cherchent pas à provoquer l'exclusion ou la haine. Au contraire, elle observe que distribuer des tracts haineux comme dans l'arrêt Saskatchewan (Human Rights Commission) c. Whatcott[32] est un bon exemple d'une situation où le critère de l'effet social discriminatoire est satisfait. Le contexte de l'affaire Ward c. Québec (CDPDJ) est que la Charte québécoise ne reconnaît pas directement l'apparence physique comme motif de discrimination, mais il est reconnu que le handicap puisse avoir un lien avec l'apparence physique.

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Louis Tietje/Steven Cresap: Is Lookism unjust? The Ethics of Aesthetics an Pulic Policy Implications. (pdf) In: Journal of Libertarian Studies, p. 31-50.
  2. „Lookism is the belief that appearance is an indicator of a person’s value. It refers to society’s construction of a standard for beauty or attractiveness, and the resulting oppression that occurs through stereotypes and generalizations about those who do and do not meet society’s standards.“, Many Paths To Justice: The Glass Ceiling, the Looking Glass, and Strategies for Getting to the Other Side[PDF], cité d'après M. Neil Browne, Andrea Giampetro-Meyer.
  3. Hélène Garner-Moyer, « Le poids de l'apparence physique dans la décision d'embauche », Le Journal des psychologues, no 257,‎ , p. 53-57 (DOI 10.3917/jdp.257.0053).
  4. (en) Jeff Biddle, Daniel Hamermesh, « Beauty, Productivity, and Discrimination: Lawyers' Looks and Lucre », Journal of Labor Economics, vol. 16, no 1,‎ , p. 172-201 (DOI 10.1086/209886).
  5. (en) Alain Paraponaris, Bérengère Saliba, Bruno Ventelou, « Obesity, weight status and employability: Empirical evidence from a French national survey », Economics & Human Biology, vol. 3, no 2,‎ , p. 241-258 (DOI 10.1016/j.ehb.2005.06.001).
  6. (en) Daniel S. Hamermesh, Beauty Pays: Why Attractive People Are More Successful, Princeton University Press, , 232 p..
  7. (en) David Ong, « The college admissions contribution to the labor market beauty premium », Contemporary Economic Policy, vol. 40, no 3,‎ , p. 491-512.
  8. (en) Stephen Buck, Drew Tiene, « The Impact of Physical Attractiveness, Gender, and Teaching Philosophy on Teacher Evaluations », Journal of Educational Research, vol. 82, no 3,‎ , p. 172-177 (DOI 10.1080/00220671.1989.10885887).
  9. (en) Giam Pietro Cipriani, Angelo Zago, « Productivity or discrimination? Beauty and the exams », Oxford Bulletin of Economics and Statistics, vol. 3, nos 428-447,‎ (DOI 10.2139/ssrn.2158579).
  10. (en) Daniel Hamermesh, Amy M. Parker, « Beauty in the Classroom: Instructors' Pulchritude and Putative Pedagogical Productivity », Economics of Education Review, vol. 24, no 4,‎ , p. 369-376 (DOI 10.1016/j.econedurev.2004.07.013).
  11. Linda Morency, Pygmalion en classe. Les enseignants accordent-ils une chance égale d'apprendre à tous les élèves ?, Presses Inter Universitaires, , 117 p.
  12. (en) Alexi Gugushvili, Grzegorz Bulczak, « Physical attractiveness and intergenerational social mobility », Social Science Quarterly, vol. 104, no 7,‎ , p. 1360-1382 (DOI 10.1111/ssqu.13320).
  13. (en) Shengying Zhai, Qihui Chen, Qiran Zhao, « Beauty and popularity in friendship networks—Evidence from migrant schools in China », Economics Letters, vol. 215, no 1,‎ (DOI 10.1016/j.econlet.2022.110468).
  14. (en) Zhongwu Li, « Physical attractiveness and women’s intra-household bargaining », Frontiers in Psychology, vol. 13,‎ (DOI 10.3389/fpsyg.2022.853083).
  15. (en) Jia Jin, Bonai Fan, Shenyi Dai, Qingguo Ma, « Beauty premium: Event-related potentials evidence of how physical attractiveness matters in online peer-to-peer lending », janvier 2017, vol. 640, no 1,‎ neuroscience letters, p. 130-135 (DOI 10.1016/j.neulet.2017.01.037).
  16. (en) Bradley J. Ruffle, Arie Sherman, Ze'ev Shtudiner, « Gender and beauty price discrimination in produce markets », Journal of Behavioral and Experimental Economics, vol. 97, no 1,‎ (DOI 10.1016/j.socec.2022.101825).
  17. Patrick Scharnitzky, Les pièges de la discrimination, Archipel, , p. 126.
  18. (en) Angela S. Ahola, Sven Christianson, Åke Hellström, « Justice Needs a Blindfold: Effects of Gender and Attractiveness on Prison Sentences and Attributions of Personal Characteristics in a Judicial Process », Psychiatry, Psychology and Law, vol. 16, no 1 (sup),‎ , p. 90–100 (DOI 10.1080/132187108022420).
  19. (en) Steve Bickley, Ho Fai Chan, Ahmed Skali, David Stadelmann, « How Large is the Beauty Premium in Politics? », SSRN Electronic Journal,‎ (DOI 10.2139/ssrn.4363164).
  20. (en) Andrew Mason, What's Wrong with Lookism? Personal Appearance, Discrimination, and Disadvantage, Oxford University Press, , 256 p. (lire en ligne).
  21. Jean-François Amadieu, op. cit., p.59
  22. LOI no 2001-1066 du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations
  23. Fait au nom de la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales sur la proposition de loi (n° 2566) de Jean Le Garrec relative à la lutte contre les discriminations, par Philippe Vuilque, député, et enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale le 4 octobre 2000.
  24. Laurence Péru-Pirotte, L'historique, la signification et la pertinence du critère de l'apparence physique dans notre droit, conférence à l'occasion du colloque « « L'apparence physique, motif de discrimination : entre norme, codes sociaux, esthétisation et rejet de la différence visible », IEP Lille, 2009
  25. Julie Duflos, Oumaya Hidri Neys, « Entre perceptions accrues et recours marginaux : le paradoxe des discriminations selon l’apparence physique à l’embauche », Cahiers de la LCD (Lutte contre les discriminations), no 6,‎ , p. 99-117 (DOI 10.3917/clcd.006.0099).
  26. LOI no 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations
  27. Selon le premier article du titre I de la loi du 1er juillet 1972, sont précisées les sanctions encourues par « ceux qui (…) qui auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence (…) ». Le titre II est quant à lui intitulé « De la répression des discriminations raciales ».
  28. Pascale Etiennot, Agnès Etiennot, Droit du travail, éditions Ellipses, , p. 55.
  29. Jean-François Amadieu, op. cit., p.90-94
  30. 2021 CSC 43
  31. Paragraphe 108 de la décision
  32. 2013 CSC 11

Voir aussi[modifier | modifier le code]

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Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Jean-François Amadieu, La société du paraître : les beaux, les jeunes, et les autres, Odile Jacob, , 256 p. (lire en ligne)
  • O. Hidri Neys et J. Duflos, « Entre le dire et (ne pas) le faire. Les recruteurs et la fabrique des discriminations selon l’apparence physique », Déviance et société, n° 41/4, 2017, p. 567-593
  • O. Hidri Neys, « Conversion d’une chercheuse par expériences d’enquête : pour une approche inductive des discriminations à l’embauche selon l’apparence physique », Les Mondes du Travail, numéro spécial « Travail et discriminations. Expériences et pratiques d'enquêtes », n° 21, 2018, p. 89-104

Articles connexes[modifier | modifier le code]