Exercice nucléaire de Totskoïe — Wikipédia

Exercice nucléaire de Totskoïe
Mémorial bâti à l’épicentre de l'explosion en 1994.
Mémorial bâti à l’épicentre de l'explosion en 1994.
Puissance nucléaire Drapeau de l'URSS Union soviétique
Localisation polygone d’essai de Totskoïe
Coordonnées 52° 38′ 41″ N, 52° 48′ 16″ E
Date
Nombre d'essais 1
Type d'arme nucléaire Bombe A RDS-4
Puissance maximale 40 kt
Type d'essais Atmosphérique
Géolocalisation sur la carte : Russie
(Voir situation sur carte : Russie)
Exercice nucléaire de Totskoïe

L'exercice nucléaire de Totskoïe est un exercice militaire mené par l'armée soviétique pour explorer la guerre défensive et offensive pendant la guerre nucléaire. L'exercice, connu sous le nom de code « boule de neige », impliquait une détonation aérienne d'une bombe atomique aussi puissante que les deux bombes utilisées dans les attaques américaines sur Hiroshima et Nagasaki réunies. L'objectif affiché de l'opération était un entraînement militaire pour briser les lignes de défense fortifiées d'un adversaire utilisant des armes nucléaires[1].

Une armée de 45 000 soldats marcha dans la zone autour de l'épicentre, peu après l'explosion atomique[2]. L'exercice fut réalisé le , sous le commandement du maréchal Joukov au nord du village de Totskoïe dans l’oblast d'Orenbourg, en Russie, dans le district militaire du sud de l'Oural[3],[4] Le maréchal Joukov et les ministres de la Défense de Chine Peng Dehuai — accompagné du commandant en chef de l'armée populaire de libération Zhu De —, de Pologne — accompagné du général Marian Spychalski — et de Yougoslavie, avec le général tchécoslovaque Ludvík Svoboda[5], observaient la scène d'une tour située à cinq kilomètres de l'explosion[6]

Histoire[modifier | modifier le code]

Une RDS-4 exposée en 2022.
Le maréchal Joukov en 1941.

À la mi-septembre 1954, des essais de bombardement nucléaire furent effectués dans le polygone d’essai de Totskoïe lors de l'exercice de formation Snezhok (« boule de neige » ou « neige légère ») avec quelque 45 000 personnes, tous soldats ou officiers de l'armée de terre soviétique[3],[5] qui furent exposés à des radiations d'une bombe deux fois plus puissante que celle d'Hiroshima neuf ans plus tôt. L'exercice était commandé par le maréchal de l'Union soviétique Joukov. Le à h 33, un bombardier soviétique Tu-4 largua une bombe atomique RDS-4 de 40 kilotonnes (170 TJ) d’une altitude de 8 000 mètres. La bombe explosa à 350 mètres au-dessus du centre d’essai de Totskoïe, à 13 km de Totskoïe (en) dans l'oblast d'Orenbourg[5],[7].

Au cours de l'exercice, plus de 45 000 personnes, dont 6 000 officiers, furent délibérément exposées aux radiations[8]. Il s'agissait de la 270e division d'infanterie (en)[9], de 320 avions, de 600 chars et de 600 véhicules blindés de transport de troupes. Les soldats reçurent l'ordre d’exécution d’un exercice militaire normal, avec une explosion nucléaire fictive, et avertis que ce serait filmé[3]. Les militaires ne reçurent pas d'équipement de protection[3]. Le ministre de la Défense adjoint Gueorgui Joukov fut témoin de l’explosion depuis un abri antiatomique souterrain. Les avions et l'artillerie reçurent l’ordre de bombarder le site de l'explosion cinq minutes après l'explosion, et trois heures plus tard (après la délimitation de la zone radioactive) les véhicules blindés reçurent l’ordre de prendre une zone hostile après une attaque nucléaire[7].

Les militaires reçurent l'ordre de collecter des données dans les retombées radioactives de l'épicentre, mais sans excéder un röntgen par heure sur leurs détecteurs (1 rem/h = 10 mSv/h)[10]. Pour déterminer les niveaux de rayonnement, il était prévu d'utiliser des patrouilles dosimétriques, qui devaient arriver sur la zone d'explosion 40 minutes après l'explosion et marquer les limites des zones de contamination par des panneaux d'avertissement. Le personnel de la patrouille se trouvait dans un char dont le blindage réduisait de 8 à 9 fois la dose de rayonnement pénétrant[11]. À 300 mètres de l'épicentre, le débit de dose rencontré était de 25 R/h (zone interdite à la circulation) ; il n'était plus que de 0,5 R/h à 500 mètres et 0,1 R/h à 850 mètres[12].

Les habitants de certains villages (Bogdanovka et Fedorovka) qui étaient situés à environ 6 km de l'épicentre de la prochaine explosion furent évacués temporairement à l'extérieur d’un cercle de 50 km de rayon[5]. La plupart des populations locales ne furent cependant pas averties.

Conséquences[modifier | modifier le code]

Des milliers de personnes qui furent soupçonnées d'avoir cherché de l'aide dans les hôpitaux locaux auront la surprise, plus tard, de constater que leurs dossiers médicaux avaient disparu de l'hôpital régional. Ce fait fut confirmé par un ancien soldat qui avait participé à l’exercice, Alexeï Petrovitch Vavilov, lors d’un entretien[3] pour le programme de télévision Podrobnosti (chaîne de télévision INTER), plus de 50 ans plus tard[3].

Plus d'un demi-siècle plus tard, cette question est toujours sous le contrôle strict du gouvernement fédéral russe. Les membres des forces de l'ordre locales continuent de harceler les journalistes qui tentent d'obtenir des images du polygone d’essai[3]. L'exercice n’est devenu largement connu qu'en 1993[3]. Même les soldats qui participèrent à l'exercice ne savaient pas qu'ils y avaient pris part[3]. Le gouvernement félicita la population locale pour son héroïsme dans la fourniture du bouclier nucléaire à leur patrie.

En 2004, cinquante ans plus tard, un peu plus de 2 000 vétérans sont encore en vie. La moitié d'entre eux (à présent âgés de plus de soixante-dix ans) sont officiellement reconnus comme personnes handicapées des premier et deuxième groupes, 74,5 % souffrent de maladies du système cardiovasculaire, notamment d'hypertension et d'athérosclérose cérébrale, 20,5 % de maladies du système digestif, 4,5 % de tumeurs malignes et de maladies du sang[5].

Pour le 60e anniversaire de l'exercice en 2014, les 374 vétérans survivants des « unités à risque spécial » résidant dans l'Oblast d'Orenbourg, ont reçu une prime de 3 000 roubles (équivalent à moins de 50 euros en 2023)[13]. Au , il reste 37 vétérans dans cet oblast[14].

Références[modifier | modifier le code]

  1. Exercice de Totskoïe. Mesures de sécurité (Russe) par Sergei Markov.
  2. Viktor Suvorov, La victoire de l'ombre (Тень победы), Donetsk, 2003, (ISBN 966-696-022-2), pages 353-375. Le compte rendu officiel de Georgui Jukov comme un chef militaire impeccable. Le chapitre sur l’exercice nucléaire de Totskoïe est principalement basé sur les publications dans la presse russe, comme Krasnaïa Zvezda (Étoile Rouge), un journal officiel du ministère de la Défense (Russie), et la Literatournaïa gazeta.
  3. a b c d e f g h et i (ru) « Il y a 55 ans, Jukov testait des armes nucléaires sur les personnes (russe) Ce lien fournit de vieux enregistrements vidéo de l'exercice nucléaire réel. », podrobnosti.ua, (consulté le ).
  4. L'essai à Totsk en 1954
  5. a b c d et e (ru) « Il y a 50 ans, l'URSS réalisait l'opération « Boule de neige » : 43 000 soldats soviétiques mourraient. (en russe) », newsru.com, (consulté le ).
  6. Georges Charpak et Richard L. Garwin, Feux follets et champignons nucléaires, Odile Jacob, 382 p. (lire en ligne), p. 171.
  7. a et b Dietrich Tissen, « Essai nucléaire à Totskoïe en 1954 » (consulté le ).
  8. « Expérimentations nucléaires sur des humains », NuclearFiles.org (consulté le ).
  9. V.I. Feskov et al., "The Soviet Army in the Cold War 1945–90", Tomsk, 2004, p. 94.
  10. Pereira, Caesar R., "A Process for ADM-300 Radiation Detector Modernization for Military Applications" (2021). UNLV Theses, Dissertations, Professional Papers, and Capstones. 4180. http://dx.doi.org/10.34917/25374073, p. 21
  11. Výbuch atómovej bomby v ZSSR.
  12. Operation Schneeball. aus der Geschichte der UdSSR. Vieleck Totsky.
  13. (ru) « На месте Тоцкого ядерного взрыва пройдут памятные мероприятия », sur www.atomic-energy.ru,‎ (consulté le ).
  14. (ru) « В Оренбурге почтили память участников ядерных испытаний на Тоцком полигоне », sur www.atomic-energy.ru,‎ (consulté le ).

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Nuclear Testing in the USSR. Volume 2. Soviet Nuclear Testing Technologies. Environmental Effects. Safety Provisions. Nuclear Test Sites, Begell-House, Inc., New York, 1998.
  • A. A. Romanyukha, E. A. Ignatiev, D. V. Ivanov & A. G. Vasilyev, The Distance Effect on the Individual Exposures Evaluated from the Soviet Nuclear Bomb Test in 1954 at Totskoye Test Site in 1954, Radiation Protection Dosimetry 86:53-58 (1999), résumé en ligne.

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]