Français valdôtain — Wikipédia

Français valdôtain
Pays Italie
Région Vallée d'Aoste
Classification par famille
Statut officiel
Langue officielle Vallée d'Aoste
La Vallée d'Aoste fait partie du domaine linguistique de l'arpitan.

Le français valdôtain est la variété du français de la Vallée d'Aoste, région autonome et bilingue d'Italie. Il est marqué sur tous les niveaux (orthographe, phonétique, morphologie, syntaxe, lexique).

Histoire[modifier | modifier le code]

Les procès-verbaux officiels de l'administration valdôtaine passent du latin au français dès 1536, soit trois ans avant qu'en France même, où l'ordonnance de Villers-Cotterêts impose d'écrire tous les actes publics en « langue maternelle française »[1],[2],[3].

La valeur accordée dans ce contexte à la langue française est en contraste avec l’usage oral, dominé par le patois francoprovençal. Les compétences actives en français sont, en général, attribuées aux couches aisées de la ville, ainsi qu'aux marchands, aux notaires, aux fonctionnaires et au clergé. Dès le début du XVIe siècle, l’établissement d’une grande « Eschole » à Aoste permet aux instituteurs ruraux d’apprendre le français. Le collège Saint-Bénin, un institut classique d’études supérieures joue un rôle central pour la dissémination du français en Vallée d’Aoste. C’est enfin à partir de la deuxième moitié du XVIIe siècle que l’introduction d’un système capillaire d’écoles populaires dites « de hameau » contribue à la diffusion du français dans tous les villages valdôtains. Une conséquence de cette scolarisation précoce de larges couches de la population se reflète à travers les degrés d’analphabétisme au début du XXe siècle : tandis que l’Italie déplore une moyenne de 40% d’analphabètes, la Vallée d’Aoste peut se vanter d’un taux beaucoup plus bas (10% environ). Les écoles de hameau bénéficient de subventions privées, leur direction est en général confiée au clergé[4].

Région historiquement francoprovençale (dans sa variante dialectale valdôtaine) au sein des États de Savoie puis du royaume de Piémont-Sardaigne, la Vallée d'Aoste ne suivit pas le sort de la Savoie et de Nice, qui furent soumises à plébiscite et annexées à la France en 1860, et resta au sein du nouvel État unitaire italien. Depuis lors, la Vallée d'Aoste n'a cessé de lutter contre les attaques faites à sa culture. La période fasciste fut particulièrement violente avec une politique d'italianisation systématique.

La Vallée d'Aoste a donc connu une longue mixité linguistique, surtout depuis que le français s'est peu à peu imposé comme norme linguistique au sein des États de la maison de Savoie dont la Vallée constituait un passage obligé. La majeure partie du territoire est inclus dans le domaine de locution du francoprovençal toutefois depuis l'« Édit de Rivoli » d'Emmanuel-Philibert Ier du , le français en tant que langue officielle était exclusivement utilisé pour les actes écrits (lettres, écrits officiels, actes notariés…) et les sermons.

La Vallée d'Aoste, avec le développement du Risorgimento au XIXe siècle perd, peu à peu, sa particularité francophone, mais 92 % des Valdôtains déclarent être de langue maternelle française en 1900 et 88% lors du recensement de 1921.

Sous la période fasciste de Benito Mussolini, la région subit une italianisation à outrance.

Situation actuelle[modifier | modifier le code]

Après la Seconde Guerre mondiale, la Vallée d’Aoste a obtenu le statut de bilinguisme officiel actuel, avec l'italien et le français comme langues officielles. À niveau d'enseignement scolaire, un nombre d'heures égal à celui qui est consacré à l'italien est réservé au français[5]. Pour accéder au marché du travail dans le secteur public il faut connaître le français. Pourtant, de facto, l'italien est au XXIe siècle la langue la plus commune entre les valdôtains[6].

Malgré un régime de large autonomie, la langue française a continué à reculer après la Seconde Guerre mondiale, principalement sous l'action des médias italophones. Les émissions francophones, aussi bien à la télévision qu'à la radio, sont assez rares, surtout après la mort de Radio Mont Blanc. Les émissions télévisées en français et en francoprovençal valdôtain sont concentrées le soir, après le JT régional.

Le francoprovençal est considéré comme « langue du cœur ». Comme tendance générale, il est pratiqué principalement dans les domaines informels, c’est-à-dire en famille, avec les amis ou avec les collègues de travail, alors que le français est utilisé plutôt dans le domaine administratif, ou en tant que revendication identitaire et idéologique.

Selon un sondage réalisé par la fondation Émile Chanoux, avec 7 250 questionnaires recueillis en 2001, l'italien est la langue dominante dans la plupart des contextes, avec l'usage du français limité sur les plans culturel-intellectuel et institutionnel, et la stabilité de l'usage familial du francoprovençal, largement répandu dans certains domaines étroitement liées à la culture alpine, tels que l'élevage[7].

Langue maternelle[8] pourcentage
italien 71,50 %
francoprovençal valdôtain 16,20 %
français 0,99 %

Toutefois, en ce qui concerne les compétences linguistiques, les données reflètent une réalité plus équilibrée en faveur du français et du francoprovençal.

Compétence linguistique[9] pourcentage
italien 96,01 %
français 75,41 %
francoprovençal valdôtain 55,77 %
Les trois langues 50,53 %

Les chaînes francophones France 2, France 24, TV5 Monde et celles de la RTS sont disponibles gratuitement en Vallée d'Aoste.

Phonétique[modifier | modifier le code]

Voyelles[modifier | modifier le code]

Concernant la variation régionale du français sur substrat francoprovençal, on observe la vélarisation du 'a' tonique (par ex. avocat prononcé avocât) et la fermeture du 'eu' ouvert (jeune prononcé comme jeûne).

Sur les plans phonétique et prosodique, l’accent valdôtain se caractériserait en outre par la faible nasalisation et par l’intonation, traits retenus comme typiques, par les locuteurs eux-mêmes, des accents du Sud de la France. La réalisation orale de voyelles nasales peut, le cas échéant, donner lieu à des problèmes sémantiques ([gʁamɛʁə] ‘grammaire’ et ‘grand-mère’), ou neutraliser la distinction entre formes masculines et féminines ([ʃjɛn] ‘chiennes’ et ‘chiens’)[10].

Consonnes[modifier | modifier le code]

Pour ce qui est des mots oxytoniques, la désonorisation des consonnes finales peut également compliquer l’identification du genre ([nøf] ‘neuf’ et ‘neuve’), ou provoquer des homonymies ([bɑs] ‘basse’ et ‘base’, [bɑk] ‘bac’ et ‘bague’, etc.).

Le français valdôtain est également caractérisé par la présence occasionnelle d’occlusives intervocaliques sonorisées ([ɛde] ‘aidé’ et ‘été’), par la simplification de certains nexus consonantiques comme par ex. [-ps-], [-ks-] > [-s-] (*interrusion, *eseption) ou [-kt-] > [-t-] (*doteur, *dialete), ou [-mm-], [-dm-] > [-m-] (*aministration)[11]. L’intonation paroxytonique du francoprovençal, qui inclut une opposition phonologique inconnue en français (róuza ‘rose’ vs. rouzá ‘rosée’), peut, elle aussi, exercer une influence sur le français valdôtain. Ainsi, on observe un changement de l’accentuation dû à la prononciation d’une voyelle (finale) centrale neutre (schwa) ou à la paragogie d’un 'e' ouvert, ce qui donne des variantes phonétiques comme « lunë, tablë, écolë, montagnë, campagnë ».

Un yod est souvent présent après les consonnes occlusives vélaires sourdes, comme par ex. que [kjə][10].

Influence sur l'italien régional[modifier | modifier le code]

Le français valdôtain présente également une influence sur le plan phonétique sur l’italien régional de la Vallée d’Aoste, qui est, entre autres, caractérisé par la prononciation uvulaire (« à la française ») de la vibrante /r/ (par ex. allora [alˈloʀa, alˈloʁa]), qui peut être aspirée en [h] ([alˈloha]), voire syncopée en position intervocalique ([alˈloa])[10]. Un yod est souvent présent après les consonnes occlusives vélaires sourdes, comme par ex. anche [kjə] (= aussi)[6].

Lexique[modifier | modifier le code]

Le lexique du français valdôtain se caractérise par la présence de termes issus du patois francoprovençal valdôtain et parfois de l'italien, ayant été soit adaptés, soit francisés, et même parfois repris tout court dans leur forme originale. Dans ce sens, il ressemble à celui des régions limitrophes, notamment celui de la Savoie et de la Suisse romande voisines, qui fait également partie de l'aire linguistique francoprovençale[12].

Liste de valdôtainismes[modifier | modifier le code]

Français valdôtain Français standard
Adret Gauche orographique de la Doire baltée
Ape (s.f.) Tricyle à moteur avec benne
Après-dinée (s.m.) Après-midi
Arpian Gardien de vaches à l'alpage
Artson (s.m.) Coffre
Assesseur Adjoint du maire
Bague Chose
Balosse (s.m.) Lourdaud
Bauze (s.m.) Tonneau de vin
Borne Trou
Bottes (désuet) Chaussures
Brique (s.m.) Lieu escarpé
Briquer Casser
Cadoter Offrir un cadeau
Cayon Porc
Chiquet Petit verre d'alcool
Choppe (s.m.) Grève
Crotte Cave
Chose (s.m. et f.) Fiancé·e
Couisse (s.m.) Tourmente de neige
Déroché Tombé en ruines
Contre-nuit (s.f.) Crépuscule
Envers Ubac
Fiance Foi, confiance
Flou Odeur
Foehn Sèche-cheveux
Fruitier Fromager
Gant de Paris Préservatif
Garde-ville Agent de police
Geline Poule
Gorger Parler à voix haute
Hivernieux Logement de montagne
Jaser Parler
Jouer (se) S'amuser
Français valdôtain Français standard
Jube (s.f.) Veste
Junte Exécutif du Conseil de la Vallée d'Aoste
ou d'un conseil municipal
Lèze (s.f.) Cheminée
Maison communale Mairie
Mayen Seconde maison en haute montagne (1200-2000 mètres)
Mécouley (s.m.) Gâteau
Modon Bâton
Paquet Ballot de foin
Patate Pomme de terre
Pistard Celui qui dame une piste de ski
Planin, pianin Habitant de la plaine
Poëlle (s.m.) Cuisine
Pointron Rocher pointu
Quartanée Mesure valant cent toises (350 m²)
Quitter Laisser
Rabadan Personne de peu de valeur
Rabeilleur Rebouteux, guérisseur traditionnel
Régent (désuet) Enseignant
Rond Ivre
Savater Donner des coups
Solan Plancher
Songeon Sommet
Souper Repas du soir
Syndic Maire
Tabaquerie Bureau de tabac
Tabeillon (désuet) Notaire
Tombin Plaque d'égout
Topié Treille
Troliette Tourteau, pain de noix
Tsapoter Tailler le bois
Tsavon Tête de bétail
Vagner Semer
Verne Aulne
Vin brûlé Vin chaud
Bilinguisme franco-italien sur les cartes d’identité des Valdôtains.

Nombres[modifier | modifier le code]

Parallèlement au français de Suisse, le français valdôtain recourt aux formes synthétiques, qui existaient déjà en ancien français à côté des formes analytiques héritées du français hexagonal, pour dénommer les adjectifs numéraux cardinaux 70, 80 et 90.

Même si les variantes de France font l'objet d'enseignement scolaire, dans l'usage courant les Valdôtains utilisent respectivement les termes septante, huitante (ou quatre-vingts) et nonante, comme c'est le cas du suisse romand.

Septante et nonante se retrouvent également en Belgique, en Savoie et en République démocratique du Congo.

J[modifier | modifier le code]

La lettre J se prononce « ij » en Vallée d'Aoste, alors que l'usage français courant est « ji ».

Les repas[modifier | modifier le code]

Les termes utilisés sont les mêmes que l'on retrouve en Belgique, au Burundi, au Canada, en République démocratique du Congo, au Rwanda et en Suisse :

  • Déjeuner = premier repas de la journée
  • Dîner ou dinée (s.m.) = repas de midi
  • Souper = repas du soir

Influence sur l'italien régional[modifier | modifier le code]

Le français valdôtain présente également une influence sur le plan lexical sur l’italien régional de la Vallée d’Aoste, comme l’utilisation de parenti (en italien uniquement « apparentés ») plutôt que de genitori (= mère et père), ce qui correspond à la bisémie du français parents, ainsi qu’à celle du francoprovençal parèn.

Expressions typiques[modifier | modifier le code]

  • Avoir le bouillon (dans le ventre) = être agité
  • Donner ses pantalons = renoncer
  • Tirer en haut le pantalon = se débrouiller
  • Être mordu/e = être amoureux/-euse
  • Monter dans la lune ou attraper le singe = être ivre
  • De course = très vite, à la hâte
  • Bailler bas = frapper, battre
  • Faire chambette = trébucher
  • Faire des potins = embrasser
  • Laisser perdre = laisser tomber
  • Laver les chemises = critiquer
  • Tête d'oignon = tête dure
  • Être jeune comme l'ail = être très jeune
  • Aller au paradis avec les sabots = passer de la terre au paradis tout de suite
  • Boire à cul blanc = boire à cul sec
  • Rester sec = rester sidéré, sans réponse
  • C'est mon clou = c'est mon obsession
  • Comme la neige d'antan - expression marquant l'absurdité d'une demande d'aide ou de renseignement
  • Donner un biscuit à un âne = donner qqch. à qqn. ne sachant ou n'ayant pas envie de l'apprécier

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Jean-Pierre Martin, Description lexicale du français parlé en Vallée d'Aoste, Quart, Musumeci, .
  • (fr) Alexis Bétemps, La langue française en Vallée d'Aoste de 1945 à nos jours T.D.L., Milan
  • (fr) Jules Brocherel, Le Patois et la langue française en Vallée d'Aoste éd. V. Attinger, Neuchâtel
  • (fr) La minorité linguistique valdôtaine, éd. Musumeci, Quart (1968).
  • (fr) Rosellini Aldo, La francisation de la Vallée d’Aoste, dans Studi medio latini e volgari, vol. XVIII, 1958.
  • (fr) Keller, Hans-Erich, Études linguistiques sur les parlers valdôtains, éd. A. Francke S.A., Berne, 1958.
  • (fr) Schüle, Ernest, Histoire linguistique de la Vallée d’Aoste, dans Bulletin du Centre d’Études francoprovençales n° 22, Imprimerie Valdôtaine, Aoste, 1990.
  • (fr) Favre, Saverio, Histoire linguistique de la Vallée d’Aoste, dans Espace, temps et culture en Vallée d’Aoste, Imprimerie Valdôtaine, Aoste, 1996.
  • (fr) François-Gabriel Frutaz, Les origines de la langue française en Vallée d’Aoste, Imprimerie Marguerettaz, Aoste, 1913.
  • (fr) Joseph-Auguste Duc, La langue française dans la Vallée d'Aoste, Saint-Maurice, 1915.
  • (fr) Anselme Réan, La phase initiale de la guerre contre la langue française dans la Vallée d'Aoste, Ivrée, 1923.
  • (fr) Bérard, Édouard, La langue française dans la Vallée d’Aoste : réponse à M. le chevalier Vegezzi-Ruscalla, Aoste, 1861 (rééd. 1962).
  • (fr) Bétemps, Alexis, Les Valdôtains et leur langue, avant-propos d’Henri Armand, Imprimerie Duc, Aoste, 1979.

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Joseph-Gabriel Rivolin, Langue et littérature en Vallée d'Aoste au XVIe siècle, Aoste, Assessorat de l'éducation et de la culture, , 7 p. (lire en ligne), p. 3.
  2. Marc Lengereau, La Vallée d'Aoste, minorité linguistique et région autonome de la République italienne, Éditions des Cahiers de l'Alpe, , 216 p. (lire en ligne), p. 32.
  3. (fr)+(it) « Pays d'Aoste - 7 marzo 1536 », sur www.paysdaoste.eu (consulté le ).
  4. François-Gabriel Frutaz (1913), Les origines de la langue française dans la Vallée d’Aoste, Aoste, imprimerie Marguerettaz.
  5. La langue française en Italie
  6. a et b (it) Fiorenzo Toso, Le minoranze linguitiche in Italia, Editrice Il Mulino, 2008
  7. Aosta spazio varietetico e sistema di valori sociolinguistici: configurazioni a confronto, de Daniela Puolato, Université de Naples dans: Une Vallée d'Aoste bilingue dans une Europe plurilingue / Una Valle d'Aosta bilingue in un'Europa plurilingue, Aoste, Fondation Émile Chanoux, 2003, page 79 et suiv.
  8. Fiorenzo Toso, Le minoranze linguistiche in Italia, Editrice Il Mulino, 2008
  9. Assessorat de l'éducation et la culture - Département de la surintendance des écoles, Profil de la politique linguistique éducative, Le Château éd., 2009, p. 20.
  10. a b et c Martin 1984.
  11. Frank Jablonka (1997), Frankophonie als Mythos. Variationslinguistische Untersuchungen zum Französischen und Italienischen im Aosta-Tal, Wilhelmsfeld, Egert. 260–271
  12. Patoisvda.org : géographie du francoprovençal..

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]