Histoire des Juifs en France — Wikipédia

Juifs en France
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Synagogue de la Victoire ou Grande Synagogue de la Victoire et à droite, bâtiment du Consistoire à Paris.
Religion Judaïsme
Pays Drapeau de la France France
Date (1er contact) voir histoire des Juifs en Gaule jusqu'à l'époque carolingienne
Représentation Consistoire central israélite de France
Président de la représentation Élie Korchia
Autre représentation Conseil représentatif des institutions juives de France
Grand rabbin Haïm Korsia
Langue traditionnelle Hébreu, yiddish, ladino et d'autres langues juives (les plus menacées et certaines maintenant disparues)
Langue liturgique Hébreu et araméen
Langue parlée Français, hébreu, judéo-arabe, yiddish et russe
Nombre de synagogues 500 (environ)
Population juive 450 000 - 650 000
(2012)
Localité significative Paris, Marseille, Lyon, Strasbourg, Toulouse
Groupes Séfarade, Mizrahim, Ashkénaze et autres
Courants Harédis, Loubavitch, orthodoxes, consistoriaux, massorti, libéraux, Juifs athées, autres
Histoire
17 septembre 1394 Expulsion des Juifs du royaume de France
28 septembre 1791 La citoyenneté est accordée aux Juifs de France
1860 Création de l'Alliance israélite universelle
24 octobre 1870 Décret Crémieux
1894 à 1906 Affaire Dreyfus
1940 à 1945 Shoah en France
1948 à 1967 environ 235 000 Juifs d'Afrique du nord s'établissent en France.
et Attentats de Toulouse et Attentat de l'Hypercacher,

Voir aussi

L’histoire des Juifs en France, ou sur le territoire lui correspondant actuellement, semble remonter au Ier siècle et se poursuit jusqu’à nos jours, ce qui en fait l’une des plus anciennes présences juives d’Europe occidentale.

Arrivés en Gaule peu après sa conquête par Rome, des Juifs s’y maintiennent sous les Mérovingiens et connaissent une période de prospérité sous les Carolingiens. Au XIe siècle, la France est un lieu de la culture juive, abritant dans la moitié nord des communautés ashkénazes parmi lesquelles fleurissent en Champagne l'école de Rachi et de ses continuateurs, et, au sud, les Juifs de Provence et du Languedoc. La situation se détériore fortement après les croisades auxquelles font suite les procès du Talmud et les expulsions, temporaires puis définitives. Un millénaire après leur établissement, il ne reste plus de Juifs dans le royaume de France. Seuls subsistent alors comme communautés importantes, hors les frontières du royaume, les Juifs des États papaux et les Juifs alsaciens.

Environ un siècle après l’expulsion des Juifs de la péninsule ibérique, des crypto-Juifs originaires du Portugal s’installent à Bordeaux et Bayonne. Au XVIIe siècle, les Juifs d’Alsace et de la Lorraine des Trois Évêchés se retrouvent eux aussi sous la juridiction de la France, à la suite des traités de Westphalie.

Les Juifs de France sont les premiers à jouir de l’émancipation que la France leur accorde au début de la Révolution française, tant dans la métropole que dans les colonies. Cependant, au « franco-judaïsme » s'inscrivant dans le cadre de la laïcité en France répond un « antisémitisme à la française » qui s’exacerbe notamment lors de l’affaire Dreyfus, puis dans les années 1930, pour ensuite s’institutionnaliser sous le régime de Vichy. Brutalement isolés du reste de la population et poursuivis avec un zèle particulier par la Police aux questions juives et la Milice, 75 000 Juifs meurent au cours de l’Occupation, majoritairement des réfugiés d’Europe de l’Est ou d’Allemagne, mais aussi 24 000 Juifs français[1] (~10 % des Juifs français de Métropole).

La France demeure cependant le choix naturel pour nombre de Juifs contraints de quitter l’Égypte et l’Afrique du Nord dans les années 1950 et 1960. La communauté juive de France, jusqu’alors essentiellement ashkénaze et assimilée, devient majoritairement séfarade et attachée aux traditions. Elle est, de nos jours, la plus importante d’Europe et comprend entre 450 000[2] et 550 000 personnes, dont environ 70 % sont originaires du monde arabe[3], qui habitent principalement Paris et la région parisienne (275 000), Marseille (70 000), Lyon (25 000), Toulouse (23 000), Nice (20 000) et Strasbourg (16 000)[4]. Tous les types de relation avec la religion juive s’y rencontrent, depuis les Juifs ultra-orthodoxes jusqu’aux Juifs assimilés, qui n'entretiennent aucun rapport avec la Synagogue.

Toutefois, dans les années 2010, la communauté juive doit faire face à une nouvelle vague d'antisémitisme qui prend sa source dans l'islam radical et se traduit par des actions meurtrières, dont les plus marquantes sont la tuerie de Toulouse en et la prise d'otages du magasin cachère de la porte de Vincennes en . Lors de l'élection présidentielle de 2017, « la montée des extrêmes », confirmée en 2022, y suscite une forte inquiétude.

Premier millénaire[modifier | modifier le code]

Époques gallo-romaine et mérovingienne[modifier | modifier le code]

Lampe à huile d'Orgon (Ier siècle), le plus vieil artefact juif connu en France[N 1].

Le premier Juif célèbre ayant vécu en Gaule serait Hérode Archélaos, fils d’Hérode le Grand, exilé par Auguste à Vienne en l’an 6[5]. Divers vestiges, retrouvés pour la plupart dans la vallée du Rhône, attestent de la présence juive au Ier siècle, parmi lesquels une lampe à huile ornée du chandelier à sept branches découverte en 1967 à Orgon[6],[7].

Le 20 mai 2009 a été découvert dans le quartier de Trinquetaille à Arles le sarcophage de Pompeia Iudea daté du IIIe siècle qui constitue la plus ancienne attestation archéologique connue d'une présence juive sur le territoire de la France actuelle[8],[9].

La destruction du Second Temple de Jérusalem en 70 favorise la diaspora de Juifs hellénisés autour du bassin méditerranéen, notamment dans les cités de Grèce, d'Égypte, de Carthage, d'Anatolie mais aussi de Rome. Les juifs romains deviennent des citoyens à part entière depuis la promulgation de l'édit de Caracalla en 212 et peuvent désormais s'installer où bon il leur semble. C'est ainsi qu'ils empruntent probablement la voie maritime et fluviale (notamment la vallée du Rhône) pour s'établir dans le Sud de la Gaule sous administration romaine[10]. Ils jouissent, en vertu de la loi romaine et de cet édit, du même statut que leurs concitoyens et semblent avoir entretenu des relations cordiales avec ceux-ci, même après l’établissement du christianisme en Gaule[11].

Inscription funéraire juive à Narbonne (689), qui indique : « Ici reposent en paix les bienheureux trois enfants du seigneur Paragorius, fils de feu Sapaudus ; c’est-à-dire Justus, Matrona et Dulciorella, qui vécurent : Justus 30 ans, Matrona 20 ans, Dulciorella 9 ans. Paix sur Israël [Ps. 125,5 et 128,6]. Ils moururent la deuxième année du seigneur Egica roi » [roi wisigoth, soit entre le et le ][12].

La Vita Sancti Hilarii rapporte que des Juifs assistent en 449 aux obsèques de l'archevêque d'Arles Saint-Hilaire, y récitant en pleurant des élégies hébraïques. Lorsque la ville d'Arles, possession des Wisigoths, est assiégée en 508 par les Francs et les Burgondes, une partie des murailles est confiée aux Juifs selon la Vita Cesarii Episcopi[13].

Les interdits prescrits au concile de Clermont en 535 (exclusion des Juifs des emplois publics) et au concile d'Orléans en 538 (interdiction des mariages mixtes) restent inégalement appliqués[14], comme le montrent la multiplication des conciles à ce sujet.

Les mesures de ségrégation et de protection contre le prosélytisme juif n'empêche pas qu'au VIe siècle, les communautés juives ont édifié des synagogues dans les centres administratifs romains situés sur de grandes routes commerciales, tels que Marseille, Arles, Uzès, Narbonne, Clermont, Orléans, Paris et Bordeaux.

À la fin du VIe siècle, les Juifs peuvent connaître des situations très diverses : Grégoire de Tours en fait des hérétiques aux multiples défauts[15] ; il raconte qu'en 576, une émeute détruit la synagogue de Clermont de fond en comble, à la suite de quoi les Juifs de la ville acceptent le baptême[16]. Inversement, le Juif de Paris Priscus, conseiller du roi Chilpéric Ier (525 ? - 584), refuse la conversion, sans dommage pour lui mais ensuite le roi exige la conversion de tous les Juifs parisiens[17],[18] et plus tard, d'autres de son royaume, afin de « garantir leur Salut »[19]. Au haut Moyen Âge, ainsi que le montre Bernhard Blumenkranz, la population chrétienne paraît généralement coexister avec les Juifs sans grand problème. Parfois même, elle les soutient. Lorsque le Juif Priscus est tué à Paris, en 582, par Pathir, devenu chrétien depuis peu et parrainé par Chilpéric, Pathir doit se réfugier avec ses esclaves ou domestiques dans l'église Saint-Julien-le-Pauvre. Il réussit à s'enfuir mais l'un de ses serviteurs est sauvagement tué par la foule[20].

L'évêque de Tours rapporte dans son Histoire des Francs qu'ils sont bateliers, médecins, prêteurs d'argent, gestionnaires (notamment pour le compte d'abbayes)[21], fabricants de savon de Marseille ou commerçants de corail ouvré, de vin casher, de draps, d'huiles et fruits secs provençaux[22].

Période carolingienne[modifier | modifier le code]

Les Juifs disposent d'un statut relativement favorable sous le règne de Charlemagne. Ils accèdent à de hautes fonctions. Charlemagne emploie par exemple un Juif pour rapporter de Palestine des marchandises précieuses. Un autre Juif du nom d'Isaac est envoyé par Charlemagne en 797 avec deux ambassadeurs chez Hâroun ar-Rachîd[23]. C'est lui qui, de retour en 802 à Aix-la-Chapelle, remet à l'empereur les cadeaux reçus d'Haroun ar-Rachid, parmi lesquels un éléphant[16].

L'Empire carolingien comptait de nombreuses communautés juives, qui disposaient de leurs propres écoles et jouissaient de la protection de l'empereur[24]. Alcuin et Raban Maur consultent des savants juifs lorsqu'il travaillait dans le cadre de leurs travaux exégétiques et le médecin de Charles II le Chauve, Sdéchias, était juif[25]. Louis le Pieux (814-833) est fidèle aux principes de son père et accorde une stricte protection aux Juifs en raison de leurs activités de négociants[26].

Au VIIIe siècle, le commerce entre l'Occident et l'Orient ne se fait plus que par les négociants juifs, seuls liens entre l'islam et la chrétienté après la conquête de l'Espagne par les Arabes[27]. Il est permis de penser que les marchands juifs sont ces Juifs dits radhanites, grands voyageurs, hommes de profonde culture et parlant de nombreuses langues, qui maintiennent le contact entre l'Orient et l'Occident[16],[28].

Néanmoins, à partir du milieu du IXe siècle, plusieurs conciles tendent à restreindre la liberté des Juifs et à diffuser l'idée que les Juifs sont toujours susceptibles de trahir : tandis qu'à Bordeaux on soupçonne les Juifs d'avoir livré la ville aux Vikings en 848, Hincmar de Reims accuse le médecin juif de Charles II le Chauve de l'avoir empoisonné[29].

Premiers Capétiens (987-1096)[modifier | modifier le code]

Premières persécutions[modifier | modifier le code]

La vie relativement paisible des Juifs sous les Carolingiens entraîne le développement de nouvelles communautés notamment à Toulouse, Carcassonne, Chalon-sur-Saône, Sens et Metz[30]. Mais le pouvoir des Carolingiens s'effrite vite et le sort des Juifs devient complètement dépendant du bon vouloir du pouvoir local. En 987, Hugues Capet est le premier Capétien à monter sur le trône de France. Le XIe siècle voit les premières persécutions antijuives en France et dans tout l'Occident[31].

En 1010, Alduin, évêque de Limoges[32], offre aux Juifs de son diocèse le choix entre le baptême et l'exil. Puis, en Normandie, le duc Robert Ier se serait concerté avec ses vassaux pour que tout Juif qui n'accepterait pas le baptême sur leurs terres soit éliminé. La menace est mise à exécution tandis que de nombreux Juifs se suicident[32]. Selon les chroniqueurs Adémar de Chabannes puis Raoul Glaber, qui accréditent de faux courriers entre juifs et musulmans, les Juifs d'Occident auraient prévenu les musulmans d'expéditions chrétiennes contre eux puis les auraient incités à détruire le Saint-Sépulcre. Glaber ajoute qu'à la découverte de ce « crime », l'expulsion des Juifs fut partout décrétée. De nouveaux troubles se produisent aux alentours de 1065. Puis les combats contre les Maures en Espagne fournissent un nouveau prétexte au massacre de Juifs, bien que le pape Alexandre II condamne ces tueries[32].

D'autres régions de la France actuelle restent cependant plus accueillantes pour les Juifs : sous les comtes de Champagne, dont la province n'est rattachée au domaine royal qu'à la mort de Philippe le Bel, une communauté juive intellectuellement brillante prospère à Troyes. C'est aussi aux alentours de l'an mil que se constitue la communauté juive alsacienne[33]. Quant au Midi, de 1000 à 1300, il connaît un véritable « âge d'or » dans des villes comme Narbonne, Lunel ou Montpellier[34]. Les Juifs habitent dans un quartier séparé à Nîmes, Montpellier, Narbonne, Toulouse et durant la semaine de Pâques, les habitants peuvent leur jeter des pierres dans les rues de Béziers. Dans cette dernière ville ou à Toulouse notamment, ils doivent subir chaque année depuis le XIe siècle la colaphisation (soufflet) à l'église[31],[34],[35],[N 2].

Littérature juive en France et Rachi[modifier | modifier le code]

Rachi selon une gravure hollandaise du XVIe siècle.

La tranquillité qui règne encore en Champagne permet l'essor d'une littérature juive française, particulièrement de la poésie liturgique où sont évoqués les souffrances d'Israël et son espoir invincible. Puis vient l'exégèse biblique, l'interprétation simple du texte, reflétant une foi complète dans l'interprétation traditionnelle, et fondée de préférence sur le Midrash. Mais c'est surtout le Talmud et ses commentaires qui sont les plus étudiés. Ce texte ainsi que les écrits des Gueonim, en particulier leur responsa, ont été révisés et copiés puis traités comme un code de droit, commentés et étudiés, autant pour faire un exercice de dialectique que pour réfléchir à leurs conséquences pratiques[36].

Le plus fameux savant du début du XIe siècle, Rabbenou Guershom (960-1028), vit entre Metz et Mayence. C'est un des premiers docteurs de la loi ashkénazes. Il interdit la polygamie et la répudiation de l'épouse sans son consentement. Bien qu'il ait enseigné à de nombreux élèves dont Eliahou du Mans, son véritable successeur est l'illustre Rachi, né 12 ans après la mort de Guershom. À la même époque, Joseph Bonfils, rabbin dans le Limousin et en Anjou, crée la première union régionale de communautés juives[37].

La grande figure qui domine la deuxième moitié du XIe siècle et tout le judaïsme français est Salomon ben Isaac, dit Rachi de Troyes (1040-1106)[N 3]. Il incarne le « génie » du judaïsme de la France du Nord, son attachement à la tradition, sa foi tranquille, sa piété, ardente mais sans mysticisme, reflet de sa fonction de rabbin à Troyes et de son métier de vigneron. Son commentaire de la Bible (particulièrement du Pentateuque) est une exégèse simple et naturelle[36]. Ses commentaires du Talmud, souvent ponctués de mots français transcrits en caractères hébreux, sont une source majeure d'information sur le français du XIe siècle, à tel point que Rachi a été qualifié de « tout premier intellectuel français[38] ».

L'école talmudique qu'il fonde à Troyes, après avoir suivi les enseignements des rabbins de Worms et de Mayence, devient immédiatement célèbre. Il enseigne à Rashbam et à Rivam, ses petits-fils, et à Simha ben Samuel de Vitry, le compilateur du plus ancien Mahzor encore conservé, le Mahzor Vitry[39] ; il est à l'origine de l'école des tossafistes qui fait jusqu'au XIVe siècle la réputation du judaïsme français. Après avoir cité Rachi, le président de la République, Emmanuel Macron, rend hommage aux rabbins français du Moyen Âge en citant quelques-uns dans son discours du au Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF)[N 4].

Première croisade et le XIIe siècle[modifier | modifier le code]

Stèles funéraires juives médiévales - Musée Carnavalet (Paris)

Au XIe siècle, le récit du chroniqueur Raoul Glaber, qui accrédite l'idée d'un complot des Juifs d'Orléans pour faire détruire le Saint-Sépulcre, a des conséquences graves pour les Juifs malgré son « invraisemblance »[55]. Même si les Juifs de France semblent avoir un peu moins souffert des croisades que leurs coreligionnaires allemands, la première croisade prêchée par Pierre l'Ermite est un désastre pour eux[30]. Les croisés enferment les Juifs de Rouen dans une église et exterminent, sans distinction d'âge ou de sexe, tous ceux qui refusent le baptême. Ces massacres sont rappelés dans la liturgie juive comme Gzeirot Tatnav (גזירות תתנו). Les Juifs d'Orléans et de Limoges sont également chassés de leur ville[56].

Les massacres les plus importants ont lieu dans la vallée du Rhin : des milliers de Juifs sont tués par les croisés et des communautés entières disparaissent alors. À Strasbourg, les Juifs sont attaqués en 1146 après le prêche de la croisade par un moine appelé Radulph[57].

La Synagogue aux yeux bandés, portant une lance et les Tables de la Loi brisées (cathédrale de Strasbourg) – XIIIe siècle.

À l'époque des croisades (1096-1099 pour la première, 1147-1149 pour la deuxième) se développent deux des allégations les plus courantes de l'antisémitisme chrétien, à savoir que les Juifs se livreraient à des « meurtres rituels » et pratiqueraient couramment l'usure[58]. L'accusation de meurtre rituel est liée à la volonté prêtée aux Juifs de répéter la crucifixion en tuant des chrétiens. De telles accusations deviennent fréquentes à la fin du XIIe siècle et aboutissent en 1171, à Blois, à l'envoi au bûcher de 31 Juifs[59].

Quant à l'accusation d'usure, elle vient de ce que le prêt à intérêt, assimilé à l'usure, est interdit aux chrétiens mais pas aux Juifs (ni aux Lombards) et donc que les Juifs deviennent souvent les banquiers des riches comme des pauvres. L'accusation d'usure permet aux emprunteurs de s'affranchir de leurs dettes[60]. À ce propos, le philosophe Abélard dans son Dialogue d'un philosophe avec un juif et un chrétien, fait dire au Juif qu'il fait parler dans cet ouvrage, qu'il ne peut posséder ni champ ni vigne ni aucune terre, et que c'est pour cette seule raison qu'il est contraint de pratiquer l'usure[61].

Malgré l'hostilité qui les entoure, les Juifs du XIIe siècle ont une vie spirituelle active. L'école des tossafistes se développe en Champagne, notamment à Ramerupt autour de Rabbenou Tam, un des petits-fils de Rachi, mais aussi en Bourgogne, à Paris et en Normandie. Des réunions de rabbins venant de France ou des bords du Rhin sont même organisées à Troyes, où il y a deux synagogues[30], par Rabbenou Tam[62].

De même, le Sud de la France connaît une vie juive florissante, illustrée par les Tibbonides, et ce malgré quelques manifestations antisémites[63].

La Synagogue vaincue, les yeux bandés par un serpent menaçant, à Notre-Dame de Paris.

En Alsace, si Benjamin de Tudèle parle de plusieurs Israélites « sages et riches » à Strasbourg, l'Église propage une image dévalorisante des Juifs comme en témoigne un peu plus tard la célèbre statue de la Synagogue aux yeux bandés et à la lance brisée, au portail sud de la cathédrale de Strasbourg[64].

Cette image est similaire à celle qu'ont les Parisiens : le portail central de la façade principale de la cathédrale Notre-Dame de Paris est entouré de deux statues, l'une représentant l'Église triomphante et l'autre la Synagogue vaincue — reconstituée par Viollet-le-Duc après sa destruction à la Révolution —, aux yeux voilés par un serpent (en guise de bandeau)[N 5], à la lance brisée, à la couronne tombée au sol et aux Tables de la Loi abaissées[65],[66],[67]. Ecclesia et Sinagoga aveuglée est un thème récurrent de la théologie de la substitution (supercessionisme) où le christianisme, « véritable Israël », remplace le judaïsme, et où la Nouvelle alliance marque sa supériorité sur l'Ancienne, et utilise divers supports iconographiques pour le montrer[68]. Au fil du temps, l'image de la Synagogue devient de plus en plus dévalorisante, jusqu'à se confondre avec celle du diable au XVe siècle[69]. La présence dans le parallélisme qui existe entre cette allégorie et celle opposée de la digne Église indique toutefois l'importance de la communauté juive parisienne au XIIIe siècle lors de l'édification de la cathédrale[70],[N 6].

D'autres versions de même acabit sont présentes dans les cathédrales de Reims, de Bordeaux, de Metz, ou encore, en Angleterre et en Allemagne, des villes où vivent de nombreux Juifs[71],[68].

Expulsions et retours[modifier | modifier le code]

Expulsion et rappel par Philippe Auguste[modifier | modifier le code]

Expulsion des Juifs (portant rouelle) en 1182. Miniature des Grandes Chroniques de France.

À la fin du XIIe siècle, l'activité économique se développe et Paris connaît un grand essor auquel les Juifs participent. La population chrétienne en vient vite à les jalouser et Philippe Auguste, roi à 15 ans en 1180, entend ces plaintes. Il voit en eux des ennemis de la foi et des concurrents dangereux pour la toute nouvelle bourgeoisie commerçante. Le , un édit du souverain dépouille les Juifs de tous leurs biens et les contraint à quitter le domaine royal. Les synagogues du domaine royal sont détruites ou transformées en églises, comme celle de Paris située dans la Cité dont il ne reste aucune trace[72],[N 7], les biens des Juifs redistribués à des nobles ou à des corporations. Philippe Auguste inaugure alors un modèle d'expulsion-spoliation des Juifs qui va se répéter à de nombreuses reprises dans l'histoire. Les Juifs émigrent au plus près, hors du domaine royal, en Champagne ou en Bourgogne, mais aussi plus au sud en Provence. Cette première expulsion apprend à la communauté à ne pas investir en biens immobiliers mais à se contenter de numéraire et de bijoux négociables et transportables[30].

Édit du roi Louis VII le Jeune, bannissant du royaume les juifs relaps sous peine de mutilation ou de mort, Paris (1144-45)

En 1198, Philippe Auguste rappelle les Juifs. Il ne prend pas cette décision par une compassion tardive mais par un intérêt bien compris car les Juifs, par leur métier de prêteurs, contribuent à l'essor économique du Royaume[73]. De plus, un impôt spécial frappe chacune de leurs transactions[30]. Ce rappel des Juifs dans le Royaume s'accompagne d'un accord réciproque d'extradition des Juifs avec le comte Thibaut III de Champagne[74]. Enfin, le roi fait des Juifs des serfs de la Couronne[75], les privant ainsi de la protection de l'Église. Ils sont désormais soumis complètement à l'arbitraire du roi et de ses seigneurs[75].

Vers 1204, trente-neuf juifs s’engagent à habiter au Petit-Châtelet aux abords du Petit-Pont (aujourd'hui dit « Petit-Pont-Cardinal-Lustiger »), en dehors de la Cité de Paris, sur la rive gauche de la Seine, peu urbanisée à l'époque[76]. Il est en effet attesté l'existence d'au moins une juiverie sise dans le bas de la rue de la Harpe, et de trois cimetières juifs parisiens dont un plus au sud de cette même rue (voir carte ci-référencée[77]). Entre le début du siècle et l’expulsion de 1252, les sources mentionnent aussi plusieurs boucheries, synagogues et écoles juives à Paris dont une au coin des rues de la Harpe et de la Bouclerie (actuellement : du Poirier)[77].

Cependant, au début du XIIIe siècle, l'Église devient plus dure avec les Juifs que le roi et, en 1205, le pape Innocent III proteste contre la protection que celui-ci leur accorde. Le pape est même d'avis d'annuler les dettes envers les Juifs des seigneurs qui se croisent, ce que n'accepte pas le roi[78].

Sort des Juifs du Languedoc[modifier | modifier le code]

À la fin du XIIe siècle, les Juifs du Languedoc et du comté de Toulouse connaissent la paix[63] et la vie intellectuelle y est brillante[63].

Aussi le légat du pape qui lance la croisade des albigeois ne reproche-t-il pas seulement au comte de Toulouse d'avoir laissé se développer le catharisme mais aussi d'avoir favorisé les Juifs. Ceux-ci ne sont pas massacrés comme les cathares après la défaite mais le comté de Toulouse passe, après la mort de Raymond VII, sous la possession d'Alphonse de Poitiers, frère de Saint Louis. Dès lors, les Juifs y souffrent d'un arbitraire semblable à celui qui règne à leur égard dans le royaume de Louis IX : imposition forcée et menaces d'expulsion, port de la rouelle. Les Juifs émigrent alors vers la Provence, sous la domination de la maison d'Anjou[30],[79].

Sous Louis VIII et Saint Louis[modifier | modifier le code]

Avec Louis VIII (1223-1226) et surtout Louis IX (1226-1270), le statut des Juifs est marqué par l'influence croissante de l'Église sans que l'intérêt de la Couronne ne soit oublié. Louis VIII, dans une ordonnance de 1223, interdit l'intérêt sur les prêts consentis par les Juifs et demande aux seigneurs de percevoir en trois ans le remboursement du capital pour le compte des Juifs[80].

Saint Louis poursuit cette politique en conjuguant hostilité au prêt à intérêt, et au judaïsme[81]. Très pieux, il condamne sans réserve les prêts à intérêt et est moins sensible aux considérations fiscales que son grand-père Philippe Auguste. En , il oblige plusieurs seigneurs à interdire aux Juifs de faire des prêts. Mais à la même époque, l'ordonnance de 1223 interdisant le prêt à intérêt est republiée, ce qui montre qu'elle n'est pas appliquée. En 1234, le roi va plus loin et libère ses sujets du tiers de leurs dettes envers les Juifs. Puis, il ordonne que ce tiers soit restitué à ceux qui l'auraient déjà remboursé. Enfin, il interdit d'emprisonner des chrétiens ou de vendre leurs biens immobiliers afin de rembourser des dettes dues aux Juifs[80].

Procès du Talmud[modifier | modifier le code]

Rabbins de France au XIIIe siècle.

Des Juifs convertis au christianisme répandent l'idée que les livres saints juifs outragent celui-ci. L'un d'eux, Nicolas Donin, originaire de La Rochelle, a étudié auprès de Yehiel de Paris avant de se faire abbé. Il obtient du pape Grégoire IX, en 1239, une bulle condamnant le Talmud. S'ensuit le procès du Talmud qui aboutit à ce que le Talmud soit déclaré un livre infâme et solennellement brûlé en place de Grève en présence du prévôt des marchands de Paris et du clergé[30]. De nombreuses autres controverses ont lieu durant le règne de Saint Louis, chaque fois aux risques et périls des Juifs[82].

Croisade des pastoureaux[modifier | modifier le code]

Sous l'influence d'un moine et avec l'aval de la mère du roi, Blanche de Castille, des milliers de bergers ou pastoureaux prennent les armes en tant que croisés avec l'intention d'aller libérer Louis IX, fait prisonnier lors de la septième croisade. Cette nouvelle croisade échoue après s'être heurtée au clergé mais non sans avoir massacré les Juifs de Bourges[83].

Port de la rouelle[modifier | modifier le code]

Juif allemand portant la rouelle.
Manuscrit médiéval (v. 1476).

En 1269, Louis IX impose aux Juifs le port de la rouelle qui avait été décidé par le IVe concile du Latran en 1215. La rouelle est un morceau d'étoffe portant une roue, symbole des « 30 deniers de Judas », que les Juifs doivent apposer sur leur vêtement[84].

Pour Jacques le Goff dans son ouvrage Saint Louis, « ces conceptions et cette pratique, cette politique antijuive, ont fait le lit de l'antisémitisme ultérieur. Saint Louis est un jalon sur la route de l'antisémitisme chrétien, occidental et français[85]. »

Sous Philippe le Hardi (1270-1285)[modifier | modifier le code]

L'avènement de Philippe le Hardi ne change pas le sort des Juifs du Royaume. Ils restent soumis à de nombreuses discriminations renforcées par diverses ordonnances[86]. À Paris en 1273 notamment, le monarque réduit le nombre d'établissements juifs : un seul cimetière reste en fonction sur les trois initialement connus[77].

C'est sur le plan politique que deux événements importants se produisent : à la mort de son oncle Alphonse de Poitiers, en 1271, les terres de celui-ci reviennent au roi[79]. Les Juifs de Toulouse et d'Aquitaine partagent alors complètement le destin des Juifs du Royaume. Par contre, en 1274, Philippe le Hardi cède le Comtat Venaissin au Pape, dont le gouvernement permet aux Juifs de rester dans ses États jusqu'à la Révolution française[87]. C'est aussi sous Philippe le Hardi que les Juifs du Royaume commencent à subir l'Inquisition introduite en France pour lutter contre les albigeois. En effet, en 1267, le pape Clément IV, dans sa bulle Turbato corde (en), déclare hérétiques les Juifs convertis au christianisme puis revenus au judaïsme[88]. Ils sont mis sous l'autorité des inquisiteurs. En 1278, les Juifs de Toulouse enterrent un chrétien converti au judaïsme dans leur cimetière. Pour cet acte perçu comme du prosélytisme, leur rabbin Isaac Malès est condamné par l'Inquisition au bûcher[89].

Lettre de Philippe le Bel par laquelle il reconnaît devoir à son frère Charles de Valois 20 000 livres tournois pour les Juifs de tous ses comtés qu’il a vendus ().

Sous Philippe le Bel (1285-1314) : persécutions, spoliations et expulsion[modifier | modifier le code]

Philippe le Bel est certainement le roi de France le plus dur envers les Juifs et jamais autant de Juifs n'ont dépendu du roi que sous son règne. De plus, sa femme Jeanne de Navarre est comtesse de Champagne, région où est établie une riche communauté juive, longtemps protégée par les comtes de Champagne. Dès 1288, treize Juifs sont condamnés par l'Inquisition au bûcher à Troyes pour une prétendue affaire de meurtre[86]. Deux ans plus tard, c'est le « miracle des Billettes », une affaire de profanation d'hostie imputée à un Juif[N 8].

En fait, avant même son accession au trône, Philippe le Bel a compris l'intérêt qu'il peut tirer des Juifs. Lorsque sa femme prend possession de la Champagne en 1284, il obtient des Juifs un paiement de 25 000 livres pour confirmer leur droit d'établissement dans la province. Les années suivantes, il les protège contre l'Église, de façon à se conserver une source de revenus[90].

Le recensement des Juifs de Paris (1 500 pour 150 000 habitants) permet d'évaluer qu'à l'époque de Philippe le Bel, les Juifs représentent 1 % de la population française, pourcentage qui va en s'amenuisant jusqu'à l'exil définitif de 1394[91]. Gérard Nahon estime la population juive française de l'époque à 100 000 personnes, principalement en Île-de-France, en Champagne, en Normandie, dans les pays de la Loire et le Bas-Languedoc[92].

Les juifs au Moyen Âge, K. Ooms, (1890).

En 1292, une nouvelle taxe est levée sur les Juifs. En 1295, ils sont arrêtés, voient leurs biens saisis et disposent de huit jours pour les racheter, sinon ils sont vendus au bénéfice du Trésor royal. De nouvelles taxes sont encore levées en 1299 et 1303[86].

Enfin, en 1306, le Trésor étant vide, le roi décide de « tuer la poule aux œufs d'or », selon l'expression de la Jewish Encyclopedia. Il fait arrêter les Juifs, leur fait signifier leur exil et saisit leurs propriétés y compris leurs créances[93], ne rendant même pas le service à ses autres sujets de les libérer de leurs dettes. Le quartier juif (dit « Clos aux juifs ») de Rouen étant détruit après l'expulsion de plus de 5 000 Juifs de la ville, c'est l'actuel Palais de justice de style gothique qui est érigé sur ses vestiges (« la Maison sublime »[94]) découverts en 1976, dont une yeshivah romane, la seule conservée en France[95],[94],[96].

Hanoukkia, France (XIV° s.)

On a pu estimer le nombre de Juifs exilés à plus de cent mille[97],[98]. C'est un événement « bouleversant » pour la plupart des communautés juives du royaume. Le poète Geoffroi de Paris déplore cet exil dans sa Chronique rimée et regrette que les prêteurs juifs aient été plus débonnaires que les chrétiens en de telles affaires. L'exil se fait dans des conditions très dures. Le chroniqueur Jean de Saint-Victor raconte que les Juifs doivent payer pour pouvoir quitter le Royaume et que beaucoup meurent en chemin d’épuisement et de détresse[99]. Le Royaume s'étant agrandi depuis la première expulsion sous Philippe Auguste, les Juifs doivent se réfugier plus loin cette fois-ci, dans les pays alentour, en Alsace, en Savoie et en Provence (hors du royaume de France à cette époque), en Italie, en Allemagne et en Espagne. Il en reste aujourd'hui des familles Tsarfati (qui signifie « Français » en hébreu), Narboni, Bedersi (de Béziers), etc., suivant l'habitude répandue de nommer les personnes du nom de la ville ou du pays d'où ils sont originaires[99].

Même si les Juifs sont rappelés en 1315, cette expulsion marque la fin du judaïsme français au Moyen Âge. Comme la révocation de l'Edit de Nantes qui condamne les protestants à l'exil en 1685, cette décision est pour l'historien Siméon Luce, un désastre pour la France et sa vie économique[100].

Du rappel de 1315 par Louis le Hutin à l'expulsion finale de 1394[modifier | modifier le code]

Le rappel de 1315[modifier | modifier le code]

Chose exceptionnelle, le rappel de 1315 se fait sous la pression de la « clameur du peuple », selon les termes de l'ordonnance[101] mais fait aussi suite à l'abolition de l'esclavage au sein du royaume de France et la mise en place de la réforme du servage par le roi qui peine à en soutirer autant qu'il le souhaite. Aussi, Louis X le Hutin les rappelle-t-il mais pour douze ans seulement, probablement pour pouvoir de nouveau les spolier comme l'avait fait son père[102]. Louis prend soin de justifier sa décision en se référant à la politique de son ancêtre saint Louis et à la position du pape.

Mais dans ces conditions, il est probable que peu nombreux sont les Juifs qui tentent de nouveau leur chance dans le royaume de France. Ce rappel est une opération d'autant plus profitable pour le roi que les Juifs sont lourdement taxés sur les créances d'avant 1306 qu'ils arrivent à recouvrer. Ce retour des Juifs rapporte au trésor royal 122 500 livres[102].

Seconde croisade des pastoureaux et l'expulsion de 1323[modifier | modifier le code]

Il ne faut pas attendre les 12 ans concédés par Louis X le Hutin pour que les Juifs soient de nouveau frappés par le malheur. En 1320, la révolte des pastoureaux suscite son cortège de massacres de Juifs dans le Sud-Ouest de la France[30].

La conséquence de cette révolte est paradoxale mais se retrouve, par la suite, souvent dans l'histoire des persécutions anti-juives : le pouvoir reproche aux Juifs d'avoir suscité ces troubles par leur seule présence. Selon cette logique, c'est eux qui doivent être punis et ils sont donc à nouveau expulsés en vertu d'une ordonnance du , exécutée en 1323. Le prétexte en est donné après coup : les Juifs et les Maures se seraient conjurés avec les lépreux pour empoisonner les puits[97],[103].

En 1326, sous Jean XXII, le concile d'Avignon, rappelant celui de Latran de 1215, impose à nouveau le port de la rouelle aux Juifs de plus de quatorze ans et les « cornailles » (chapeau à cornes) aux Juives de plus de douze ans[104].

Persécutions en Alsace : massacre de la Saint-Valentin[modifier | modifier le code]

Les communautés juives se multiplient en Alsace au début du XIVe siècle, sans doute à cause de l'expulsion des Juifs du royaume de France[97]. Mais, dès 1336, un mouvement insurrectionnel menace les Juifs qui ne doivent leur salut à Colmar en 1337 qu'à la protection des autorités impériales et épiscopales[105]. L'époque la plus terrible est celle de la peste noire qui sévit en Europe de 1347 à 1349. Les Juifs en semblant épargnés, les chrétiens de France et même d'Europe se chargent de s'en venger[106]. En Alsace et ailleurs, les Juifs sont accusés d'avoir empoisonné les puits et les rivières. À Strasbourg, en , les Juifs sont jetés au bûcher[107] et, à la même époque, ceux de Colmar sont aussi brûlés vifs au lieu-dit Judenloch (la fosse aux Juifs)[105].

Même si, après les émeutes, les Juifs survivants réfugiés dans les campagnes alentour peuvent revenir quelque temps en ville, ces événements marquent la transformation du judaïsme alsacien qui devient rural pour les quatre siècles suivants[107].

Rappel de 1360[modifier | modifier le code]

En 1356, le roi de France Jean le Bon est fait prisonnier à la bataille de Poitiers par les Anglais qui exigent une rançon de 3 millions d'écus pour le libérer. Le dauphin Charles voulant renflouer quelque peu les finances royales, a alors l'idée de négocier le retour pour vingt ans des Juifs dans le Royaume moyennant quelques taxes : « une taxe d’entrée de quatorze florins par chef de famille et d’un florin pour chaque membre, et, de plus, sept florins par an et par feu et un florin pour chaque membre de la famille »[108]. En fait, les conditions négociées par le dauphin ne sont pas trop défavorables aux Juifs et le roi Jean II, plus hostile aux Juifs que son fils, réinstaure le port de la rouelle (rouge et blanche pour ce roi)[109]. Il semble bien, en tout cas, que très peu de Juifs aient tenu à revenir dans le Royaume[110].

Expulsion finale de 1394 – bilan de plus d'un millénaire de présence juive en France[modifier | modifier le code]

Carte de France montrant les principales villes où résidaient les Juifs avant l'expulsion de 1394

Charles V le Sage protège les Juifs durant tout son règne et prolonge leur droit de séjour.

Son successeur du roi en 1380 est Charles VI le Fol, beaucoup plus influençable. Le prévôt, Hugues Aubriot, est embastillé en 1381 notamment pour impiété : avoir rendu à leur famille les enfants juifs enlevés en 1380 pour être convertis au christianisme[111]. Sous le prétexte du retour au judaïsme d'un Juif converti au christianisme, le souverain signe, le , un arrêt interdisant aux Juifs de séjourner dans le Royaume[112]. L'édit prononcé par Charles VI précise : « Comme les juifs sont responsables de la famine, avec leur départ nous ne souffrirons plus jamais »[113]. Il leur permet juste de réaliser leurs créances et de vendre leurs biens puis les fait protéger le long de leur trajet jusqu'aux frontières du royaume[108] durant l'hiver 1395[97].

La communauté juive de France est estimée au temps de Louis IX de 50 000 à 100 000 personnes réparties dans l'ensemble du Royaume[114]. Selon Gérard Nahon, s'il subsiste alors un certain habitat rural juif, une tendance à l'urbanisation apparaît nettement, l'habitat juif correspondant souvent à la proximité d'un siège administratif[115].

Il reste peu de choses sur le plan matériel des quatorze siècles de présence des Juifs en France jusqu'au XIVe siècle : un bâtiment juif (la Maison sublime) enfoui sous le palais de justice de Rouen[116],[117],[118], une maison qui fut une synagogue au XIIIe siècle à Rouffach[119], un mikveh de la même époque à Strasbourg (au 19 de la rue des Juifs), un autre à Montpellier[120] et des stèles juives visibles notamment au musée de Cluny à Paris[121].

Rues des Juifs en France
Alençon
Alet-les-Bains
Apt
Avignon
Bagnols-sur-Cèze
Beaupréau
Bernis (Gard)
Béziers
Bué
Cangey
Carpentras
La Celle-Guenand
Chalabre (impasse)
Châlons-en-Champagne
Chambéry
Changé
Châteauneuf-de-Gadagne
Châteauneuf-du-Rhône
Châtillon-sur-Seine
Courgains
Crémieu
Dieulefit
Digne-les-Bains
Donzère
Draguignan
Épernay
Étampes
Fanjeaux
La Flèche
Fontenay (Eure)
Fréjus
Grazay
Guérande
La Haie-Fouassière
L'Isle-sur-la-Sorgue
Istres
Le Croisic
Lignières-la-Carelle
Lignol-Le-Château
Lorgues
Lourmarin
Lyon
Malaucène
Le Mans
Marigny-le-Châtel
Marvejols
Le Mesnil-Aubert
Merlieux-et-Fouquerolles
Montaigu (Vendée)
Montélimar
Montmirail (Marne)
Mortagne-sur-Sèvre
Nantes
Nice : Carriera de la Judaria
Niort
Nyons
Parthenay
Pélissanne
Pernes-les-Fontaines
La Perrière (Orne)
Peyruis
Pézenas
Pignans
Le Pin-en-Mauges
Pontlevoy
Le Puy-en-Velay
Richebourg
Riez
Robion
Saint-Fulgent-des-Ormes
Saint-Georges-du-Bois (Maine-et-Loire)
Saint-Gilles (Gard)
Saint-Herblain
Saint-Paul-Trois-Châteaux
Sancerre
Sens
Sézanne
Valence
Valensole
Vallon-sur-Gée
Vienne (Isère)
Viens
Villeneuve-en-Perseigne
Vitry-en-Perthois
Agen
Aix-en-Provence (rue du puits juif)
Argentan
Argoules
Armaucourt
Arnaville
Arquèves
Argentan
Arnaville
Aubencheul-aux-Bois
Augny
Aumale
Aups
Authumes
Autrécourt-sur-Aire
Bacqueville-en-Caux
Ballots
Barembach
Baigneux-les-Juifs
Baugé
Baume-les-Dames
Bavay
Bazoches-sur-Vesles
Behonne
Beaufort-en-Vallée
Bellegarde (Loiret
Bergheim
Berlaimont
Bermonville
Bernaville
Billy-sous-Mangiennes
Blevaincourt
Blois
Bogny-sur-Meuse
Boisbergues
Boncourt-sur-Meuse
Boulay-Moselle
Bourges
Bouxwiller (Bas-Rhin)
Boncourt-sur-Meuse
Boulay-Moselle
Bourges
Bouxwiller (Bas-Rhin)
Brezolles
Brie-Comte-Robert
Brognon (Ardennes)
Brumath
Bruyères-le-Châtel
Bruys
Buchy (Seine-Maritime)
Bué
Bugnicourt
Buis-les-Baronnies
Buxy
Caen
Cambrai
La Carneille
Castilly (Hamel aux Juifs)
Cerisy-la-Salle
Chablis (Yonne)
Chaillon
Châlons-en-Champagne
La Chapelle-Gaceline
Charny (Côte-d'Or)
Charny-sur-Meuse
Chartres
Chaumont-Porcien
Chéhéry
Chevillon (Haute-Marne)
Chuisnes
Cires-lès-Mello
Clermont-Ferrand
Commercy
Corny-Machéroménil
Coullemont
Courtenay (Loiret)
Cousolre
Crasville
Darnétal
Daubeuf-la-Campagne
Dominois
Dompierre-sur-Helpe
Douai
Drachenbronn-Birlenbach
Dury (Somme)
Écardenville-la-Campagne
Échenoz-la-Méline
Épernon
Escarmain
Esquéhéries
Estrun
Étréaupont
Étrepy
Fenétrange
Ferreux-Quincey
Flavy-le-Martel
Florent-en-Argonne
La Folie
Fontaine-Guérin
Foucaucourt-sur-Thabas
Fraillicourt
Francourville
Fresnois-la-Montagne
Froeningen
Gaillefontaine
Gamaches-en-Vexin
Gauville (Somme)
Gennes (Maine-et-Loire)
Gerstheim
Gespunsart
Giverny
Gondrecourt-le-Château
Gonnelieu
Gorron
Gourdon (Lot)
Les Grandes-Ventes
Granville
Gray
Hagenbach
Hannogne-Saint-Rémy
Haute-Amance
Hautmont
Havrincourt
Hohengoeft
Honnecourt-sur-Escaut
Huppy
Ingersheim
Jeanménil
Joigny
Joigny-sur-Meuse
Kingersheim
Krautergersheim
Laferté-sur-Aube
Lagnieu
Joigny
Joigny-sur-Meuse
Kingersheim
Krautergersheim
Laferté-sur-Aube
Lafresguimont-Saint-Martin
Lagnieu
Lametz
Landifay-et-Bertaignemont
Landouzy-la-Ville
Laperrière-sur-Saône
Lays-sur-le-Doubs
Ligny-le-Châtel
Lingolsheim
Livry-sur-Seine
Longueville (Calvados)
Loye-sur-Arnon
Marigny-le-Châtel
Maroilles (Nord)
Marolles-sous-Lignières
Matougues
Maulévrier
Mécrun
Méré (Yonne)
Merlieux-et-Fouquerolles
Mervent
Mézangers
Mignères
Mignières
Milly-la-Forêt
Mommenheim
Mons (Charente) (Prairie des Juifs)
Montcenis
Montebourg
Montgenost
Monthermé
Montmartin-sur-Mer
Montmorency-Beaufort
Montreuil (Pas-de-Calais)
Montreuil-l'Argillé
Moyen
Mulhouse
Mutzig
Mussy-sur-Seine
Nettancourt
Neuillé-Pont-Pierre
La Neuville-à-Maire
La Neuville-au-Pont
Niedermodern
Niedervisse
Nogent-le-Roi (rue du pont aux Juifs)
Norrey-en-Auge
Noyal-Muzillac
Nyoiseau
Obernai
Ollé
Orléans
Pagny-la-Ville
Palinges
Péronne
Péroy-les-Gombries
Pertuis (Vaucluse)
Pierregot
Pipriac (la Noë aux Juifs)
Piseux (la Noé juive)
Pissotte
Plainfaing
Plomion
Poix-du-Nord
Pompierre-sur-Doubs
Pourcy
Préaux
Prisces
Provins
Quiévy
Quincampoix
Regnauville
Reguisheim
Reichshoffen
Remilly-sur-Lozon
Résigny
Ribeauvillé
Richwiller
Riquewihr
Rothonay
Rouen
Rougemont (Côte-d'Or)
Rougemont (Doubs)
Rue (Somme)
Rumaucourt
Ry
Sablé-sur-Sarthe
Sains-Richaumont
Saint-Alexandre (Gard) (Pas des Juifs)
Saint-Blimont
Saint-Denis-d'Anjou
Saint-Denis-de-l'Hôtel
Saint-Dié-des-Vosges
Saint-Florentin (Yonne)
Saint-Genix-sur-Guiers
Saint-Gondon
Saint-Lambert-des-Levées (rue juive)
Saint-Laurent-Nouan
Saint-Martin-d'Ablois
Saint-Maurice-sur-Aveyron
Saint-Nicolas-de-Port
Saint-Pierre-de-Bailleul
Saint-Pierre-Tarentaine
Saint-Rémy (Côte-d'Or)
Saint-Souplet
Sainte-Marguerite-sur-Mer
Sarre-Union
Sarrey
Schalbach
Schirrhoffen
Schweighouse-sur-Moder
Schwenheim
Senaide
Senonches
Seppois-le-Bas
Sommevoire
Soppe-le-Bas
Soufflenheim
Senaide
Seppois-le-Bas
Sommevoire
Soppe-le-Bas
Soufflenheim
Souvigny
Strasbourg
Suèvres
Tarascon
Théméricourt
Thenelles
Thezey-Saint-Martin
Thièvres (Pas-de-Calais)
Le Titre
Trannes
Trois-Fontaines-l'Abbaye
Tronville
Valmy
Varennes-en-Argonne
Vaudrey
Vauvert
Vaux-lès-Rubigny
Vecqueville
Velet
Vertrieu
Vertus
Villebon (Eure-et-Loir)
Villenave d'Ornon (Île des Juifs)
Villers-lès-Mangiennes
Villers-l'Hôpital
Villiers-Fossard
Vironchaux
Vittonville
Volmunster
Le Vrétot
Walschbronn
Westhoffen
Wissembourg
Bellegarde (Loiret)
Bourges
Grussenheim
Ingwiller
Lurcy
Méré (Yonne)
Pont-de-Veyle
La Réole
Rouffach
Schwindratzheim
Vaudelnay
Bazouges-sur-le-Loir
Bonnefontaine
Chaudenay
Faugères
Les Rosiers-sur-Loire
Saumur
Bar-le-Duc (rue du cimetière israélite)
Bordeaux (rue judaïque)
La Canourgue (Montjézieu)
Cavaillon (rue hébraïque)
Clermont-Ferrand (rue Fontgiève)
Courtemaux (la Mort aux Juifs)
Conteville (Eure) (la Judée)
Équeurdreville-Hainneville (la Judée)
Fermanville (la Judée)
Le Guislain (la Judée)
Lavaur (rue Joux-Aygues)
Marseille (traverse du cimetière des Juifs)
Metz (En Jurue)
Périgueux (rue judaïque)
Planquery (la Judée)
Remiremont (chemin des Israélites)
Rions (rue judaïque)
Toulouse (rue Joutx-Aigues)

indique l'utilisation du terme juif
indique l'utilisation des termes rue juive
indique l'utilisation du terme juiverie
indique l'utilisation d'un autre terme désignant les Juifs

Camille Enlart pouvait écrire en 1929 : « Beaucoup de synagogues ont existé en France au Moyen Âge. Elles furent plus ou moins importantes suivant le nombre et la fortune des diverses communautés juives […]. Au cours des persécutions dont les Juifs ont été l'objet au Moyen Âge, toutes les synagogues ont été détruites ainsi que les cimetières qui les avoisinaient »[122]. Mais dans plus de 400 villes ou villages de France, on trouve une rue de la Juiverie ou une rue des Juifs qui rappellent l'implantation de cette France juive rurale qui disparut au XIVe siècle, à l'exception des communautés d'Alsace et des États pontificaux.

La carte ci-contre représente ces rues des Juifs et donne un aperçu de l'implantation des Juifs au Moyen Âge. On y repère les communautés alsaciennes et provençales ainsi qu'une implantation significative dans toute la France du nord particulièrement en Champagne et en Normandie jusqu'à la Haute-Bretagne.

Sur le plan spirituel, le patrimoine est incommensurable grâce à Rachi dont les commentaires de la Torah et du Talmud ainsi que ceux des tossafistes font encore aujourd'hui eux-mêmes l'objet de multiples commentaires. Quant à la science profane, elle a beaucoup profité des médecins juifs installés à Montpellier ou Lunel avec les Tibbonides particulièrement qui traduisirent les traités de médecine antiques ou arabes. La langue française elle-même a été enrichie par la présence juive et doit une partie de sa préservation aux travaux de Rachi (1040-1105)[N 9].

Les derniers siècles du Moyen Âge ont aussi légué quelques thèmes de l'antijudaïsme chrétien repris plus tard tels la profanation d'hostie, le meurtre rituel, l'empoisonnement des puits, l'usure[60]. Une représentation de cette haine des Juifs est encore visible sur la cathédrale de Strasbourg, avec la statue de la synagogue aux yeux bandés, ou à la collégiale Saint-Martin de Colmar avec une Judensau (une gargouille montre une truie allaitant ses porcelets et des Juifs). C'est le pape Jean XXIII et le concile Vatican II puis Jean-Paul II qui mettent fin à ce que Jules Isaac appelle « l'enseignement du mépris »[123].

Vie sociale des Juifs au Moyen Âge[modifier | modifier le code]

Linteau inférieur du portail Sainte-Anne de Notre-Dame de Paris
Vêtements et noms[modifier | modifier le code]

Jusqu'au XIIIe siècle, les Juifs sont bien insérés dans la société française. Leur habit ne porte pas de signe distinctif, sauf en Alsace où les Juifs portent papillottes et chapeau pointu, mais c'est une terre d'Empire et pas une province française. Leur parler est celui de la population environnante comme l'attestent quelques traductions connues de textes de prière. Leurs noms, qui à cette époque se réduisait en France à nos actuels prénoms suivis en hébreu de la mention de leur père puis parfois d'un sobriquet personnel[124], sont ceux de la Bible hébraïque, tandis que les chrétiens portent ceux du Nouveau Testament et des saints. Les expulsions devenant le lot des Juifs à partir du XIIe siècle, ils ajoutent de plus en plus souvent à leur nom celui de leur ville d'origine[125].

Quartiers[modifier | modifier le code]

On constate très tôt, en France, l'habitude qu'ont les Juifs de se rassembler dans des quartiers spécifiques, ce qui leur facilite la vie synagogale, l'éducation des enfants et le respect de la cacheroute, avec l'abattage rituel. Dès le IXe siècle, un tel quartier existe à Vienne. Mais, quelques siècles plus tard, ce qui était une volonté des Juifs devient une obligation et, en 1294, les Juifs de Paris doivent s'établir dans quatre rues[126].

Un juif à chapeau pointu est présent au couronnement de Pharamond Childéric et la reine Basine de Thuringe, (V° s.)

Les Juifs disposent de nombreuses synagogues, souvent plusieurs par ville comme en témoignent les ventes aux enchères à la suite de l'expulsion de 1306[97]. L'école élémentaire pouvait être gratuite comme le montrent des actes notariés de 1407 à Arles. Quant aux écoles juives, Benjamin de Tudèle en cite de nombreuses dans le Sud de la France, à Narbonne, Montpellier ou Marseille[127] et Rachi et ses continuateurs forment des « dynasties de savants »[128]. Le linteau inférieur du portail Sainte-Anne de la cathédrale Notre-Dame de Paris, qui représente les mariages de sainte Anne et de sa fille Marie montre les Juifs et la synagogue tels que les voyait le sculpteur : les Juifs portent un chapeau pointu, le rabbin un châle de prière et la synagogue est représentée avec sa lampe éternelle, le rouleau de la Loi et d'autres livres[129].

Professions[modifier | modifier le code]

Au haut Moyen Âge, les Juifs ne paraissent pas connaître de limitations dans leur vie professionnelle. Charlemagne avait même employé des Juifs dans certaines de ses ambassades. Jusqu'au XIIe siècle, beaucoup sont vignerons. Cependant, à partir de cette époque, les nombreuses restrictions ne laissent guère d'autres activités aux Juifs que le commerce, le crédit et la médecine.

En 1415, une bulle de Benoît XIII n'autorise qu'une synagogue par ville - si elle n'a pas été précédemment une église - s'efforce d'isoler les Juifs, les limite dans leurs « ghettos », leur impose au moins trois sermons par an, où leurs « erreurs » seraient combattues, par des prédicateurs qu'ils doivent en outre payer[34].

Crédit et commerce[modifier | modifier le code]
Prêteurs juifs en France, manuscrit enluminé (XIII° s.)

Faisant suite au quasi-monopole du commerce international détenu au haut Moyen Âge par les Radhanites, évoqués plus haut, le crédit devient au bas Moyen Âge l'une des activités courantes des Juifs, car le prêt à intérêt est indispensable à toute entreprise et, théoriquement, interdit aux chrétiens[N 10]. Les emprunteurs sont aussi bien les riches que les humbles.

Depuis Philippe-Auguste, le prêt est très réglementé par la loi qui peut fixer des taux allant jusqu'à 46 %[97]. Cependant, il ne s'agit souvent que d'une activité parmi d'autres, comme le montrent les livres de comptes de la famille Héliot de Vesoul : au début du XIVe siècle, cette famille fait crédit aux pauvres, pour des prêts de quelques sols, comme aux riches pour plusieurs centaines de livres, mais sa fortune provient surtout du commerce au gros ou au détail de diverses denrées et de tissus. Les Héliot s'associaient par ailleurs à des chrétiens pour transporter les marchandises ou les vins de leurs vignes.

Médecine[modifier | modifier le code]

Si les Juifs ne sont pas à l'origine de la fondation de la faculté de médecine de Montpellier, comme certains ont pu le dire, les médecins juifs sont nombreux, particulièrement dans le Sud de la France. On a vu la contribution des Tibbonides à la connaissance des médecines arabe et antique.

À Paris, en 1292, on compte quatre Juifs sur trente-sept médecins et, plus surprenant, à Manosque, il y a aussi quatre médecins juifs. Ces médecins soignent Juifs et chrétiens. Les conciles d'Avignon de 1337 et 1341 restreignent cette pratique en imposant des émoluments deux fois inférieurs aux médecins juifs qu'aux chrétiens[97].

De 1394 à la Révolution française[modifier | modifier le code]

« Médecin juif »

Après 1394, le royaume de France ne devrait plus compter de Juifs mais l'édit d'expulsion épargne les Juifs du Dauphiné, récemment annexé. Hors du Royaume, des communautés sont toujours présentes sur le territoire de la France actuelle : en Alsace puis en Lorraine, en Savoie, en Provence et au Comtat Venaissin. La Franche-Comté devient aussi provisoirement un refuge pour des Juifs expulsés du Royaume[130]. Ces communautés soumises à des régimes légaux différents les uns des autres connaissent des destins séparés pendant les quatre siècles qui précèdent la Révolution.

Départ des Juifs du Dauphiné[modifier | modifier le code]

En 1349, le traité de Romans, par lequel le Dauphiné est rattaché à la France, détermine expressément qu'il ne doit pas y avoir de changement dans le gouvernement des Juifs. À ce titre, les Juifs du Dauphiné ne sont pas expulsés en 1394. La population juive, qui se limite à quelques dizaines de familles, quitte cependant peu à peu la province à cause des discriminations, notamment de la pression fiscale et des accusations de crimes rituels, et ce, malgré les mesures prises par le futur Louis XI pour les maintenir en Dauphiné[131].

Persécution et émigration des Juifs de Savoie[modifier | modifier le code]

La Savoie ne fait pas partie du Royaume. Elle n'est annexée qu'au XIXe siècle. Au XVe siècle, les persécutions y sont d'origine religieuse et viennent plus particulièrement de Juifs convertis comme l'inquisiteur Ponce Feugerons[97].

En 1416, le duc Amédée VIII de Savoie fait confisquer les livres des Juifs pour qu'ils soient examinés par des censeurs chrétiens. Le , les livres de prières, les Bibles et les ouvrages scientifiques (livres de physique et de médecine) sont restitués à leurs propriétaires pendant que les livres saisis sont examinés par deux médecins juifs convertis au christianisme, Pierre de Mâon et Guillaume Saffon, dans le monastère franciscain de Chambéry. De nombreux Juifs sont emprisonnés et torturés. Parmi les prisonniers, on compte le grand-rabbin Yohanan Trèves, réfugié en Savoie à la suite de l'expulsion des Juifs de France de 1394 et qui est nommé ensuite, en 1426, à la tête des Juifs de l'Empire germanique. Sous la torture, un maître de la loi des Juifs confirme le caractère hérétique et injurieux du Talmud envers les chrétiens. L'« enquête » conduit à la condamnation du Talmud. Le , les livres juifs sont brûlés et les Juifs doivent acheter au duc le droit de rester en Savoie. Les Juifs libérés doivent s'engager à ne plus étudier le Talmud[132].

Dans les années 1460, les Juifs poursuivis pour avortements, meurtres, pratique de la magie et injures contre le duc de Savoie ne sont condamnés qu'à une énorme amende. À partir de là, on ne trouve plus trace de Juifs dans l'histoire savoyarde, sauf à Chambéry où une petite communauté aurait existé jusqu'au XVIIIe siècle[97].

À Nice, qui appartenait à la Savoie et qui fut rattachée à la France à la même époque que celle-ci, une communauté juive subsiste comme dans beaucoup de villes italiennes. En 1733, les Juifs doivent résider dans le ghetto (223 personnes en 1736)[133]. Celui-ci est rappelé par la rue Benoît Bunico (en niçard, Carriera de la juderia) du nom du député niçois au parlement de Turin (1848-1850) qui fit abolir en 1848 l'obligation de résidence des Juifs dans le ghetto[134] (déjà seulement partiellement respectée depuis l'occupation de Nice par les Français sous la Révolution et l'Empire)[135].

Provence, Avignon et Comtat Venaissin[modifier | modifier le code]

Synagogue de Cavaillon (XVIIIe siècle).
La synagogue de Carpentras (XVIIIe siècle), la plus vieille synagogue de France en service aujourd'hui.

En 1481, par le jeu des successions, la Provence tombe dans le domaine royal. Après des désordres antijuifs imputés aux Juifs, l'ordre d'expulsion est donné par Louis XII le [136]. De nombreux Juifs préfèrent le baptême chrétien à l'exil mais une nouvelle taxe de 6 000 livres touche, en 1512, 122 chefs de famille dans 16 localités. Ces nouveaux chrétiens sont discriminés pendant près de trois siècles[136].

Avignon et le Comtat Venaissin, sous administration papale, sont le plus proche refuge pour les Juifs quittant la Provence. Mais, dès la fin du XVIe siècle, ils sont confinés dans les quatre carrières d'Avignon, de l'Isle-sur-la-Sorgue, de Carpentras et de Cavaillon, fermées et gardées chaque soir par des chrétiens qu'ils doivent payer[34], mais vivent librement en principauté d'Orange jusqu'en 1732[137],[138].

Avec une relative libéralisation de leur régime au XVIIIe siècle, l'amélioration de leur situation permet aux Juifs du Pape d'aménager de belles salles de prière à Cavaillon[139] et à Carpentras[140], cette dernière étant aujourd'hui la plus vieille synagogue de France en service[141].

Juifs à Metz et en Lorraine[modifier | modifier le code]

Les juifs enchainés et vendus, Hospice de Reims en Champagne, peinture sur toile, v. 1500

En Lorraine, dont l'annexion commence en 1552 avec la prise des Trois-Évêchés, les autorités françaises permettent à quatre Juifs et à leurs familles de s'installer à Metz[142]. Ce nombre augmente ensuite peu à peu, malgré l'opposition des notables. Une synagogue est construite en 1618 et est même visitée par Louis XIV en 1657[143].

Malgré la lourde « taxe Brancas », instituée initialement pour protéger les Juifs contre les exactions mais payée malgré les demandes d'abolition jusqu'à la Révolution, la communauté juive de Metz se développe au XVIIe siècle, même si la vie y reste extrêmement règlementée et soumise à la bienveillance ou à l'arbitraire des pouvoirs locaux et royaux. C'est environ 400 ménages qui y vivent à la veille de la Révolution[144].

À Nancy, dans le duché de Lorraine encore indépendant, les Juifs sont officiellement acceptés à partir de 1721 et deviennent sujets du roi de France lors de l'annexion de la Lorraine en 1766, à la mort de Stanisław Leszczyński. On peut estimer à 500 le nombre de familles juives établies en Lorraine (hors la généralité de Metz) en 1789[145].

Juifs alsaciens[modifier | modifier le code]

Jusqu'à l'annexion de l'Alsace par la France en 1648, les Juifs alsaciens partagent le sort commun des Juifs du Saint-Empire romain germanique, c'est-à-dire qu'ils dépendent en fait des pouvoirs locaux, très morcelés en Alsace. Les Juifs sont interdits de séjour dans les villes comme Strasbourg et Colmar, où la bourgeoisie commerçante craint leur présence. Ils sont par contre tolérés dans les campagnes, où ils sont seuls à pouvoir prêter de l'argent. Cependant, ils n'ont pas le droit d'y posséder de la terre[146].

L'annexion de l'Alsace par la France ne change pas grand-chose pour la communauté, même si on peut considérer comme un progrès que le pouvoir royal ne cherche pas à expulser les Juifs. Ils sont toujours soumis au « Leibzoll » (péage corporel) qui n'est aboli que grâce à l'obstination de Cerf Berr en 1784[147]. Cependant, la même année, les lettres patentes limitent encore considérablement les droits des Juifs[148]. De façon générale, gouverneurs et intendants appliquent loyalement les ordonnances royales[149].

Juifs portugais du Sud-Ouest de la France[modifier | modifier le code]

De l'expulsion des Juifs d'Espagne à la publication des lettres patentes de 1723[modifier | modifier le code]

Du Rappel des Juifs par Isaac La Peyrere, Paris, 1643
l’écrivain et philosophe Michel de Montaigne, descendant de Séfarades convertis qui préféreront cependant demeurer dans leur nouvelle appartenance[150]

L'expulsion des Juifs d'Espagne en 1492 provoque l'exil de milliers de Juifs. Ceux qui choisissent le Portugal sont de nouveau expulsés en 1497 par le roi du Portugal. On appelle dès lors « Juifs portugais » tous les Juifs de la péninsule Ibérique qui vont émigrer vers le nord, souvent la Hollande (Provinces-Unies) ou l'Angleterre et même l'Amérique.

Certains choisissent la France et s'établissent dans le Sud-Ouest tout en cachant leur judaïsme. En 1550, le roi Henri II leur accorde des lettres patentes sous le nom de « nouveaux chrétiens ». En 1600, est organisée la communauté de Labastide-Clairence puis ce sont celles de Peyrehorade, de Saint-Esprit dans les faubourgs de Bayonne et enfin de Bordeaux[151]. En 1685 (année de la révocation de l'Edit de Nantes), est découverte à Toulouse une cryto-communauté juive dont les membres (le rabbin Roques de Leon, Emmanuel (probablement Manuel Gradis), Mirande, Loppes, Vandale, Cadoze, Sylve Morena) sont condamnés par le Parlement à être brûlés vifs, leurs cendres jetées et leurs biens confisqués - sentence exécutée par contumace en 1686[152]. L'enregistrement des lettres patentes d'Henri II permettent aux Juifs convertis de Bordeaux de recouvrer leurs biens et aux Portugais de Toulouse de mourir en « bons catholiques »[152].

En 1723, les Portugais obtiennent, moyennant une taxe de cent dix mille livres, de nouvelles lettres patentes. Officiellement et légalement, 230 ans après l'expulsion des Juifs d'Espagne, les marranes de France sont reconnus comme Juifs[153]. Les Juifs portugais forment alors la communauté juive la plus florissante du Royaume. Leurs exploitations agricoles sont limitées aux vignes produisant le vin casher. L'industrie et surtout la transformation des denrées coloniales sont la spécialité juive. Les Gradis sont spécialisés dans le sucre et autres produits coloniaux, les Dacosta dans le chocolat qui a été introduit en France par les Juifs de Bayonne[154],[155]. D'autres sont médecins, notamment à Labastide-Clairence[156].

De 1723 à la Révolution[modifier | modifier le code]

À Bordeaux, le commerce de gros international est largement l'affaire des Juifs, où la famille Gradis se distingue. Leurs activités incluent la course, la banque, l'armement des vaisseaux, les assurances, la traite des esclaves[157] et le fret pour les colonies d'Amérique et particulièrement le Canada encore français[158]. En 1744, les députés de la Chambre de commerce de Toulouse déclarent : « Cette nation juive ne semble ramper que pour mieux s'élever et s'enrichir »[152].

À la veille de la Révolution, 2 400 Juifs habitent Bordeaux : c'est moins qu'à Saint-Esprit, mais ils y sont beaucoup plus influents. Jacob Rodrigue Pereire est reçu en 1774 à l'Académie des arts de Bordeaux. À la même époque, les Juifs restent interdits à Bayonne et doivent séjourner à Saint-Esprit, où la communauté décline. Elle avait atteint 3 500 personnes en 1750 mais ne compte plus que 2 500 personnes en 1785[158].

Juifs aux Antilles françaises[modifier | modifier le code]

Un certain nombre de Juifs hollandais avaient émigré à Pernambouc, au Brésil, sous domination hollandaise de 1630 à 1654[159] et durent quitter ce pays quand les Portugais en reprirent le contrôle et y rétablirent l'Inquisition. Certains s'établissent alors aux Antilles françaises et il est dit que la capitale de la Guadeloupe, Pointe-à-Pitre, devrait son nom à un Juif hollandais, appelé Peter ou Pitre selon la transcription en français[160]. Toutefois, les Juifs quittent la Martinique quand ils en sont expulsés en 1683[161], expulsion élargie à toutes les Antilles françaises par le Code noir en 1685, dont le premier article enjoint à « tous nos officiers de chasser de nos dites îles tous les Juifs qui y ont établi leur résidence, auxquels, comme aux ennemis déclarés du nom chrétien, nous commandons d'en sortir dans trois mois à compter du jour de la publication des présentes »[162].

Au XVIIIe siècle, des Juifs reviennent en Martinique où ils ne sont que tolérés jusqu'à la Révolution. Ils sont souvent les correspondants commerciaux des entrepreneurs bordelais comme la famille Gradis[163].

Juifs pendant la Révolution et l'Empire[modifier | modifier le code]

Assiette de Pessah en faïence décorée, France, v. 1800

Quand éclate la Révolution française, il y a 40 000 Juifs dans le royaume[164]. Près de la moitié vivent en Alsace, où les intendants les décrivent comme « pauvres ». Ils sont victimes de nombreuses discriminations fiscales et dans les droits de résidence et de propriété. Ils sont aussi en butte à l'hostilité des populations qui les environnent car une de leurs principales activités est le prêt sur gages. Les Juifs de Lorraine ont vu leur situation s'améliorer au XVIIIe siècle et les synagogues de Lunéville et de Nancy témoignent encore aujourd'hui de la récente amélioration de leur condition. De même, le