Incident de Mukden — Wikipédia

Incident de Mukden
Description de cette image, également commentée ci-après
Troupes japonaises entrant dans la ville pendant l'incident de Mukden.
Informations générales
Date 18 septembre 1931 – 18 février 1932
Lieu Dongbei, république de Chine
Issue Victoire japonaise
Belligérants
Drapeau de Taïwan Armée nationale révolutionnaire, république de Chine Drapeau du Japon Armée impériale japonaise, empire du Japon
Commandants
Zhang Xueliang,
Ma Zhanshan,
Feng Zhanhai
Shigeru Honjō,
Jirō Minami,
Kanji Ishiwara,
Itagaki Seijirō
Forces en présence
160 000 30 000–66 000
Pertes
? ?

Invasion japonaise de la Mandchourie

Batailles

Invasion japonaise de la Mandchourie

Coordonnées 41° 50′ 05″ nord, 123° 27′ 58″ est

L'incident de Mukden (ou de Moukden ou de Mandchourie) est un évènement se déroulant le en Mandchourie du Sud, près de Mukden (aujourd'hui Shenyang), au cours duquel est détruite une section de voie ferrée, appartenant à la société japonaise des chemins de fer de Mandchourie du Sud (南満州鉄道株式会社, Minami Manshū tetsudō kabushiki-gaisha?). Cet attentat est en réalité planifié par les Japonais eux-mêmes, lesquels redoutent la mainmise de ce territoire par la Chine sous l'égide du Kuomintang, projet perçu comme une menace contre leurs intérêts dans la région. Les militaires japonais accusent donc les Chinois d'avoir perpétré l'attentat, et usent de ce prétexte pour envahir immédiatement le Sud de la Mandchourie et créer quelques mois plus tard l'État fantoche du Mandchoukouo, sous l'autorité théorique de l'ex-empereur de Chine, Puyi.

Cet incident « provoqué » n'est pas unique en son genre. Des procédés similaires sont utilisés sous l'impulsion du général Tanaka entre la fin des années 1920 et l'invasion du reste du territoire chinois, pour tenter de justifier l'expansionnisme japonais en Asie.

En Chine, cet incident est connu sous le nom d'incident du 9.18 (九一八事变, en pinyin : jiu yiba shibian), ou incident de Liutiaogou (sinogrammes traditionnels 柳條溝事變).

Contexte[modifier | modifier le code]

Après la guerre russo-japonaise (1904-1905), l'empire du Japon remplace l'Empire russe en tant que puissance dominante en Mandchourie. La politique japonaise concernant la Chine est conflictuelle tout au long des années 1930. Jusqu'à la création du quartier général impérial en 1937, l'armée japonaise du Kantôgun dispose d'une certaine indépendance en Mandchourie et dans le Nord de la Chine, à la fois à l'égard du gouvernement civil et de l'autorité militaire à Tokyo.

À l'époque, l'empereur Shōwa et ses conseillers se demandent s'ils doivent conquérir militairement la Chine, et y établir un pouvoir de type colonial, ou bien assujettir la Chine par la voie économique. De plus, le gouvernement japonais veut maintenir la fragmentation de la Chine, afin de pouvoir traiter à son avantage avec les différentes factions chinoises, qui sont en conflit ouvert les unes contre les autres. Par exemple, le Japon intervient lors de l'incident de Jinan contre le Kuomintang dans son expédition du Nord en 1928, afin d'empêcher une unification de la Chine.

Par ailleurs, la politique chinoise de l'époque suit la première pacification interne, et la résistance interne, et semble vouloir apaiser les Japonais. D'autant plus que, d'une part, le gouvernement nationaliste du Kuomintang est embourbé dans sa campagne contre les communistes chinois et, d'autre part, il vient de terminer sa guerre contre les derniers seigneurs de la guerre. La stratégie chinoise de l'époque suit une doctrine de non résistance (en chinois : 不抵抗主義, transcription pinyin : budikangzhuyi). La stratégie agressive de l'autorité militaire japonaise en Chine, relativement indépendante, couplée à la stratégie de non-résistance du gouvernement central chinois, constituent très probablement le cadre déclencheur de l'incident de Mukden.

Description[modifier | modifier le code]

Le but des jeunes officiers japonais en Mandchourie est de donner un prétexte pouvant justifier l'invasion militaire japonaise et le remplacement du gouvernement chinois de la région par un gouvernement japonais ou fantoche. Ils choisissent donc de saboter[1] une section de chemin de fer, près du lac Liutiao (en chinois : 柳條湖). Cette zone ne porte même pas de nom officiel et n'a d'importance militaire pour aucun des deux camps, mais elle se trouve à huit cents mètres de la garnison chinoise de Beidaying (chinois : 北大營), stationnée sous le commandement du jeune maréchal Zhang Xueliang. Le plan consiste à voir l'explosion attirer l'attention des troupes chinoises, puis à leur faire porter le chapeau afin de donner un prétexte à une invasion formelle japonaise. Aussi, afin de rendre le sabotage plus convaincant en tant qu'une attaque chinoise sur un objectif de transport japonais, et ainsi masquer leur intervention sous les traits d'une mesure légitime de protection d'un chemin de fer d'importance industrielle et économique, les Japonais nomment le site Liutaogou (chinois : 柳條"溝), ou Liutiaoqiao (chinois : 柳條"橋), ce qui signifie tranchée de Liutiao et pont de Liutiao, alors qu'en réalité le site est uniquement une section de voie ferrée sur une portion de terre plane. Un tel choix de l'emplacement de l'explosion devait permettre de faire des dégâts minimes (et donc d'effectuer des réparations minimales), à l'inverse des conséquences du choix d'un véritable pont.

Il semble que l'initiative directe soit venue de deux officiers, le colonel Seishirō Itagaki et le lieutenant-colonel Kanji Ishiwara du régiment Shimamoto[réf. nécessaire], chargés de garder le chemin de fer, et que des sapeurs aient placé les explosifs sous les rails[2]. À environ 22 h 20, le , la charge détone. L'explosion est mineure, et seule une section de 1,5 mètre sur l'un des côtés de la voie est endommagée. En fait, un train en provenance de Changchun passe par le site même de l'explosion sans aucun problème, et parvient à Mukden à 22 h 30.

Conséquences[modifier | modifier le code]

Carte du Mandchoukouo.

Immédiatement après l'explosion, les Japonais cernèrent la garnison chinoise toute proche, et attaquèrent les troupes qui y étaient cantonnées, sous prétexte que toute propriété du Japon devait être protégée des assauts des troupes chinoises.

« Il est hors de doute que le gouvernement japonais, mis devant le fait accompli, était impuissant […]. Le Premier ministre expliqua au souverain qu'il avait ordonné à l'armée du Guandong de regagner ses bases »[3]. De son côté, le ministre de la Guerre, Minami, envoya « un télégramme à Mukden dans lequel il approuvait l'action […] mais souhaitait aussi que l'affaire ne prît pas d'autre ampleur »[3]. « Les activistes de l'armée du Guandong décidèrent de passer outre, et ce fut de leur propre initiative qu'ils lancèrent l'offensive contre Chanchun le 20 » du mois[3], déclenchant l'invasion de la Mandchourie. Les militaires l'avaient emporté sur le pouvoir civil, une situation qui annonçait la pression grandissante des militaires sur les civils au cours des années trente (assassinat du Premier ministre en 1932, tentative de coup d'État du 26/02/1936), jusqu'à la Seconde Guerre mondiale.

En quelques jours, les trois provinces du Heilongjiang, du Jilin et du Liaoning (où se situe Mukden) sont prises par les Japonais. Le , une conférence du gouvernement chinois se met en place. La faction de Guangzhou du Kuomintang y insiste pour que Chiang Kaï-shek démissionne, vu la débâcle en Mandchourie et le manque de résistance sérieuse des troupes chinoises. Chiang démissionne le . Sun Ke, le fils de Sun Yat-sen, devient président de la république de Chine, et fait le vœu de défendre Jinzhou, une autre ville du Liaoning, rapidement perdue en .

« S'il ne fait aucun doute que les conspirateurs lancèrent l'incident de leur propre initiative, le gouvernement nippon, et l'empereur en personne, ne devaient pas tarder à considérer la nouvelle situation en Mandchourie avec sérénité »[3], et à reprendre à leur compte les conséquences de l'invasion de la Mandchourie. Le , l'État du Mandchoukouo est proclamé sur le territoire de la Mandchourie avec Hsinking comme capitale. S'il est indépendant pour la forme, il est sur le fond un protectorat japonais[3]. Les acteurs de l'opération furent promus, démontrant que si les conspirateurs militaires avaient agi de leur propre initiative, ils l'avaient fait dans un contexte japonais plus vaste, favorable à une politique de puissance sur le continent asiatique[3].

L'empire du Japon poursuivit sa politique expansionniste en Chine, déclenchant en 1937 la seconde guerre sino-japonaise puis en 1939 une attaque ratée contre la Mongolie pro-soviétique lors de la bataille de Khalkhin Gol.

Le gouvernement du Mandchoukouo demeura en place, sous administration japonaise jusqu'au , quelques jours après le déclenchement de l'invasion soviétique de la Mandchourie.

Controverse[modifier | modifier le code]

Les opinions divergent encore aujourd'hui quant à la nationalité de ceux qui ont déposé la bombe à Mukden. L'exposition consacrée à l'incident du 18 septembre de Mukden, présentée par les Chinois dans la ville, montre que la bombe aurait été déclenchée par les Japonais. Le musée du sanctuaire de Yasukuni, à Tokyo, soutient quant à lui que les Chinois sont responsables de l'attentat. L'encyclopédie Columbia déclare que la vérité est inconnue. Cela dit, de nombreux éléments semblent accuser l'armée japonaise du Guandong. Alors que la plupart des membres de cette armée ont démenti avoir posé la bombe, le major Hanaya a confessé que les Japonais avaient bien mis le plan au point et déposé la bombe.

Commémoration[modifier | modifier le code]

Portail du mémorial du 18-Septembre à Shenyang (anciennement Mukden en mandchou).

Le gouvernement de la république populaire de Chine a déclaré le 18 septembre « jour national d'Humiliation ». Le gouvernement de la RPC a ouvert à Shenyang un mémorial qui abrite une exposition historique sur l'incident de Mukden, inaugurée le . L'exposition mêle quelques pièces historiques, notamment des affiches et des documents, à une reconstitution pédagogique et spectaculaire de l'événement, de l'occupation japonaise qui a suivi, de la résistance des partisans chinois, et de la libération finale. La dernière salle est consacrée à la réconciliation du Japon et de la Chine. Le Premier ministre japonais Ryūtarō Hashimoto a visité le musée en 1997. C'est une des principales attractions touristiques de la ville de Shenyang.

Rapport Lytton[modifier | modifier le code]

Voici un extrait significatif du rapport de la commission Lytton sur cet incident :

Traduction :

« Des sentiments tendus existaient indubitablement entre les armées japonaise et chinoise. Les Japonais, comme il fut expliqué à la Commission, avaient de toute évidence un plan méticuleusement préparé en vue de possibles hostilités entre eux et les Chinois. Dans la nuit du 18 au , ce plan fut mis en œuvre avec rapidité et précision. Les Chinois, conformément aux instructions référencées en page 69, n'avaient pas de plan pour attaquer les troupes japonaises, ni pour mettre en danger la vie ou la propriété de citoyens japonais à ces moments et lieux particuliers. Ils ne firent pas d'attaques concertées ou autorisées envers les forces japonaises et furent surpris par l'attaque japonaise et les opérations qui en découlèrent. Une explosion s'est indubitablement produite sur ou à proximité de la voie ferrée entre 22 heures et 22 heures 30 le , mais les dommages, si dommages il y eut, sur la voie ferrée n'ont pas empêché l'arrivée à l'heure du train venant de Changchun, et ne furent pas suffisants en eux-mêmes pour justifier une action militaire. Les opérations militaires des troupes japonaises pendant cette nuit, décrites précédemment, ne peuvent pas être regardées comme des mesures de légitime défense. En disant cela, la Commission n'exclut pas l'hypothèse que les officiers sur les lieux aient pensé qu'ils agissaient en légitime défense ».

Culture populaire[modifier | modifier le code]

L'incident est mis en scène dans un album de Tintin, le Lotus bleu. L'action est transposée à Shanghai : l'attentat y est organisé par l'agent japonais Mitsuhirato, et exécuté par des gangsters occidentaux. L'album raconte la propagande japonaise, l'invasion de la Mandchourie, et ce qui s'est passé à la Société des Nations.

Le mangaka Osamu Tezuka fait également référence à l'incident de Mandchourie à plusieurs reprises dans sa série en quatre volets L'Histoire des trois Adolf.

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. (en) Edward Behr, The Last Emperor, New York, Bantam Books, , 180 p. (ISBN 0-553-34474-9).
  2. (en) « Chronology of major international events from 1931 through 1943, with ostensible reasons advanced for the occurrence thereof », dans Events leading up to world war II, Washington, United States Government printing office, 78th Congress, 2d Session, (lire en ligne) « An explosion undoubtedly occurred on or near the railroad between 10 and 10:30 p.m. on September 18th, but the damage, if any, to the railroad did not in fact prevent the punctual arrival of the south-bound train from Changchun, and was not in itself sufficient to justify military action. The military operations of the Japanese troops during this night, ... cannot be regarded as measures of legitimate self-defence..." [Opinion of Commission of Enquiry], ibid., p. 71 ».
  3. a b c d e et f Anne Lumet, Le Pacte : Les Relations russo-japonaises à l'épreuve des incidents de frontière, Publibook, , 610 p. (ISBN 978-2-7483-0361-2, lire en ligne), p. 198-202

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Dans la fiction

Livre en français

  • Bruno Birolli, Ishiwara, l'homme qui déclencha la guerre. Arte Éditions et Armand Colin (). Ce livre raconte la préparation, le déroulement et les conséquences de l'incident de Mukden.