Léon Bourgeois — Wikipédia

Léon Bourgeois
Illustration.
Léon Bourgeois en 1917.
Fonctions
Président du Sénat français

(3 ans, 1 mois et 8 jours)
Élection
Réélection

Prédécesseur Antonin Dubost
Successeur Gaston Doumergue
Ministre d'État

(2 mois et 1 jour)
Président Raymond Poincaré
Président du Conseil Paul Painlevé
Gouvernement Painlevé I

(1 an, 1 mois et 13 jours)
Président Raymond Poincaré
Président du Conseil Aristide Briand
Gouvernement Briand V
Président de la Chambre des députés

(1 an, 7 mois et 6 jours)
Élection
Réélection
Législature VIIIe (Troisième République)
Prédécesseur Paul Deschanel
Successeur Henri Brisson
Ministre des Affaires étrangères

(1 mois et 1 jour)
Président Félix Faure
Président du Conseil Lui-même
Gouvernement Bourgeois
Prédécesseur Marcellin Berthelot
Successeur Gabriel Hanotaux
Président du Conseil des ministres

(5 mois et 21 jours)
Président Félix Faure
Gouvernement Bourgeois
Législature VIe (Troisième République)
Prédécesseur Alexandre Ribot
Successeur Jules Méline
Ministre de l'Intérieur

(4 mois et 27 jours)
Président Félix Faure
Président du Conseil Lui-même
Gouvernement Bourgeois
Prédécesseur Georges Leygues
Successeur Ferdinand Sarrien
Biographie
Nom de naissance Léon Victor Auguste Bourgeois
Date de naissance
Lieu de naissance Paris (France)
Date de décès (à 74 ans)
Lieu de décès Oger (France)
Sépulture Cimetière de l'Ouest de Châlons-en-Champagne[N 1]
Nationalité Française
Parti politique Parti radical
Prix Nobel de la Paix 1920
Président du Conseil des ministres français

Léon Bourgeois, né le à Paris et mort le au château d’Oger (Marne), est un homme d'État français.

Issu d'une famille modeste et républicaine, Léon Bourgeois commence sa carrière dans l'administration, qu'il quitte après son élection à la Chambre des députés en . Radical, il exerce ensuite plusieurs fonctions ministérielles.

En 1895, il est nommé président du Conseil des ministres, formant le premier gouvernement radical homogène, avec le soutien des républicains modérés. Il démissionne six mois après son investiture, en raison de la contestation de sa politique par le Sénat.

Législateur aguerri, il est l'un des rares hommes politiques à avoir présidé les deux chambres du Parlement français. Il est considéré comme l'inspirateur et le théoricien du solidarisme.

En 1920, il devient président du premier Conseil de la Société des Nations, ainsi que lauréat du prix Nobel de la paix.

Biographie[modifier | modifier le code]

Famille et études[modifier | modifier le code]

Léon Bourgeois est né au 12 rue Saint-Louis-en-l'Île, à Paris.

Léon Bourgeois est le fils de Marie Victor Bourgeois, horloger, et Augustine Euphrosine Élise Hinoult. Il naît le au 12 rue Saint-Louis-en-l'Île, à Paris. Il grandit dans une famille républicaine et commence ses études à l’institution Massin[1]. Il entre en 1859 au lycée Charlemagne, dont il préside l'association des élèves. Après l’obtention de son baccalauréat ès lettres et ès sciences, il entre à la faculté de droit de Paris. Il se porte volontaire en 1870 pour défendre Paris. Brigadier-fourrier dans la légion d’artillerie, il est deux fois médaillé[réf. nécessaire] pour la défense du fort de l'Est. À la fin de la guerre, il reprend ses études[2]. À vingt et un ans, il obtient sa licence de droit avec une thèse sur l’« acte public »[3]. Léon Bourgeois a de multiples centres d’intérêt : la philosophie, l’art. Il se passionne notamment pour le sanskrit[2]. En 1875, il rejoint le cabinet de l'avocat Albert Christophle ; la même année, il accède au poste de secrétaire de la conférence du stage[3]. Il soutient sa thèse de doctorat — sur les chemins de fer à voie étroite et sur accotements — le [4].

Le , il se marie avec Virginie Marguerite Sellier, une Châlonnaise née cinq jours après lui. Son beau-père, Jules Auguste Eugène Sellier, est propriétaire-vigneron à Oger dans la Marne[4]. La femme de Léon Bourgeois, rencontrée par l'intermédiaire de l'avocat et président du conseil général de la Marne Désiré Médéric Leblond[5], est issue d'une famille plus fortunée que lui. Ils auront deux enfants : Georges, né le , et Hélène, née le [4].

Carrière administrative[modifier | modifier le code]

Débuts dans l'administration[modifier | modifier le code]

En 1876, il préfère l’administration au métier d’avocat et intègre le ministère des Travaux publics, comme sous-chef du contentieux. C’est alors que Albert Christophle en est le ministre. Après la démission du ministère Simon, le président Mac Mahon nomme un gouvernement de droite dirigé par Albert de Broglie[6]. De nombreux fonctionnaires sont alors révoqués au sein des ministères pour « républicanisme », Léon Bourgeois fait partie de ceux-ci. Lors des élections législatives qui suivent, il aurait fait campagne pour Albert Christophle dans l’Orne (dans la circonscription de Domfront)[7].

Lorsque les républicains reviennent au pouvoir, Léon Bourgeois demande au ministère de l’Intérieur — par le biais de Christophle — à devenir secrétaire général de préfecture. Avec l’aide des relations de sa belle-famille et de Désiré Leblond[5], on lui trouve en un poste à Châlons-sur-Marne, d’où est originaire sa femme, auprès du préfet de la Marne Paul Duphenieux[8]. Soutenu à nouveau par Désiré Leblond, mais aussi par Eugène Courmeaux[N 2],[5] et l’ensemble du conseil général, dont son beau-père fut membre[5], il est nommé sous-préfet de Reims par Ernest Constans le [9]. À ce poste, il pacifie les relations tendues entre la municipalité rémoise et la préfecture[10]. Durant l’été 1882, il est initié à la loge maçonnique « la Sincérité », membre du Grand Orient de France. Il devient après deux mois compagnon et maître. Cette ascension rapide est probablement due à sa nomination dans le Tarn où il ne devait pas être un simple apprenti[11].

Préfet du Tarn[modifier | modifier le code]

Le , il est officiellement nommé préfet du Tarn par Armand Fallières[10]. Dans le Tarn, il fait d’abord face aux catholiques tarnais opposés au manuel scolaire Éléments d’éducation civique et morale de Gabriel Compayré, qui défend le mariage civil. Le clergé menace de ne pas communier les enfants utilisant ce manuel et l’ouvrage est mis à l’Index par le Vatican. En , Léon Bourgeois retire leur salaire à cinq prêtres et limoge le maire de Lavaur. De plus en plus d’enfants quittent l’école publique et Bourgeois révoque d’autres maires et prêtres. En , un compromis est finalement trouvé entre le gouvernement et le clergé. Certains trouvent Bourgeois trop favorable aux républicains et il s’estimera plus tard « [avoir] été battu » lors de cet épisode[12].

Au mois de , une grève des mineurs éclate à Carmaux, dans le Tarn. La direction demande aux forces de l’ordre d’intervenir, mais Léon Bourgeois s’y oppose trouvant cette solution comme disproportionnée. Il juge qu’elle entraînerait une déception vis-à-vis de la République parmi les mineurs et les pousserait vers le socialisme[13]. Préférant le dialogue et le droit à la force[14], il se place alors comme médiateur entre les ouvriers et les propriétaires des mines. Après quatre tentatives d’accord ayant échoué, Léon Bourgeois se rend à Paris pour rencontrer le conseil d’administration des mines, fait « insolite »[13] pour l’époque. Voyant que la direction ne fera plus de concessions, il encourage les ouvriers à reprendre le travail après six semaines de grève. Il assiste à l’assemblée générale des grévistes, qui suivent son conseil et le remercient de son aide, malgré la faible augmentation des salaires. Pour son rôle pacificateur, les parlementaires du Tarn demandent que lui soit remise la Légion d’honneur, dans une lettre du adressée au ministre de l’Intérieur Pierre Waldeck-Rousseau[13]. Le , il est nommé par décret chevalier de la Légion d’honneur[15] et est décoré le à Paris[16].

Retour à Paris[modifier | modifier le code]

Léon Bourgeois, collection Félix Potin (vers 1900).

En raison de la maladie de son père qui décédera peu après, il demande en à se rapprocher de la capitale. Lucien Pasquier, un ancien collègue, l’appuie pour le poste de secrétaire général de la Seine, qu’il avait lui-même décliné en raison de problèmes de santé. Trois jours après sa nomination, il entre en fonction le . À ce poste, il entretient des relations tendues avec le préfet Eugène Poubelle[17]. Le , il est nommé préfet de la Haute-Garonne[18] et prend ses fonctions le  ; il le reste jusqu’en [19]. Il refuse d’être candidat aux législatives dans la Marne ainsi qu’une proposition de fonction à Annam. Il est ensuite affecté en tant que directeur du personnel et du secrétariat au sein du ministère de l’Intérieur à Paris ; moins d’un mois plus tard, il prend le poste de directeur des affaires départementales[18].

En , il devient assistant du président du Conseil René Goblet, sur le budget, en tant que conseiller d’État extraordinaire[18]. Il est promu officier de la Légion d’honneur par un décret du [20]. Il la reçoit de Louis Herbette le [21]. Celui-ci lui propose le poste de préfet de police de Paris, mais il estime la fonction comme étant la « plus antipathique ». Il rejoint finalement la préfecture de police au mois de novembre, après la démission d’Arthur Gragnon à la suite du scandale des décorations[22]. Cette affaire pousse également à la démission le président Jules Grévy et des manifestations ont lieu dans la capitale en parallèle de l’élection présidentielle. Léon Bourgeois y fait maintenir l’ordre « sans effusion de sang », mais son travail affecte sa santé[23].

Parcours politique[modifier | modifier le code]

Ascension[modifier | modifier le code]

À nouveau sollicité par les radicaux et les opportunistes marnais pour être député, Léon Bourgeois est candidat pour l’élection partielle du , due à l’élection au Sénat de Camille Margaine[23]. Opposé au cumul des fonctions, il promet renoncer à son poste de préfet de police s’il est élu. Atteint d’un « grave embarras gastro-intestinal » et toujours préfet, il effectue peu de déplacements dans le département[24]. Les conservateurs ne lui opposent pas de candidat : ils estiment qu’à un an des élections et qu’étant minoritaires, un élu de plus ne changerait pas leur situation. Ils recommandent le vote blanc ou nul. Certains estiment qu’ils veulent laisser le champ libre au général Boulanger qui se présente dans plusieurs départements dont la Marne[25]. Critiqué par Le Journal de la Marne[25], Léon Bourgeois insiste sur sa relative implantation locale : sur les cinq ans passés dans l’administration marnaise, mais aussi sur le prestige de sa belle-famille châlonnaise[26]. Il est élu avec 48 050 voix, soit 65 % des suffrages, contre 16 167 au général Boulanger ; 9 695 bulletins portent sur d’autres noms[27].

Membre du groupe de la Gauche radicale, il est nommé sous-secrétaire d’État dans le gouvernement Charles Floquet (1888-1889) puis, élu député de Châlons-sur-Marne en septembre 1889, occupe, à partir de 1890, des postes ministériels importants. Il est réélu à Châlons-sur-Marne en 1893, 1898 et 1902.

Président de la Chambre[modifier | modifier le code]

Léon Bourgeois lors de son installation à la Chambre des députés (Le Petit Journal, supplément illustré).

À la suite de la victoire du Bloc des gauches aux élections législatives de 1902, Léon Bourgeois refuse de succéder à Pierre Waldeck-Rousseau à la présidence du Conseil. Il brigue cependant le perchoir de la Chambre des députés. Le , au moment de l'élection du président provisoire de l'assemblée, il l’emporte par 303 voix contre 267 pour le sortant Paul Deschanel[28]. Cinq jours plus tard, il est confirmé lors de l'élection du président définitif[29].

Réélu l’année suivante, il ne brigue pas un troisième mandat, le , pour raisons familiales[30]. Le radical Henri Brisson lui succède.

Le , les congressistes du Parti républicain, radical et radical-socialiste le nomment par acclamation membre du comité exécutif de cette formation politique[31].

Possible candidat à l’Élysée[modifier | modifier le code]

À la fin de l'année 1912, la succession d'Armand Fallières à la présidence de la République se prépare. Si les prétendants à la magistrature suprême ne manquent pas, Léon Bourgeois fait partie des favoris dans la course à l’Élysée. Dans ses mémoires, le président du Conseil d’alors, Raymond Poincaré, voit en Bourgeois un « républicain résolu, patriote éprouvé » ayant a priori toutes les qualités requises pour cette haute fonction, et se dit persuadé qu'il serait « impossible de trouver meilleur président » que lui[32]. Mais, en dépit de la pression de ses partisans, Léon Bourgeois refuse de se présenter à l’élection présidentielle de 1913 en raison d’ennuis de santé.

Responsabilités ministérielles[modifier | modifier le code]

En , soit quelques semaines après son élection, Léon Bourgeois devient sous-secrétaire d'État à l'Intérieur du gouvernement Floquet. Débute alors une longue carrière gouvernementale. Le cabinet Floquet tombe en . Un an plus tard, il est nommé ministre de l'Intérieur au sein du ministère Tirard. Il se voit ensuite attribué le portefeuille de l'Instruction publique et des Beaux-arts sous les cabinets de Freycinet et Loubet. Dès , il occupe le poste de ministre de la Justice au sein des deux premiers gouvernements Ribot[33].

Portrait de Léon Bourgeois paru dans L'Artiste en 1897.

Le , Léon Bourgeois accède à la présidence du Conseil. Son gouvernement est pour la première fois composé de ministres exclusivement radicaux. Sept de ses ministres sont, tout comme lui, francs-maçons. Il désire instaurer une politique de solidarité, issue du programme radical, dont l'organisation des retraites ouvrières. Cependant, il rencontre une forte opposition sur sa droite. La Chambre s'oppose à son projet d'impôt général sur le revenu ainsi que celui sur les associations, prélude à une séparation des Églises et de l'État, et le Sénat rejette ce qu'il considère comme une « inquisition fiscale ». Il démissionne le , à la suite du refus du Sénat de lui apporter des crédits pour l'expédition de Madagascar[34]. En réalité, les sénateurs ont sanctionné le refus du ministre des Finances, Paul Doumer, de retirer le projet d’impôt sur le revenu[35]. Léon Bourgeois sera ainsi l'un des rares présidents du Conseil à se retirer face au Sénat[36],[33].

Sa carrière au sein du gouvernement ne s'arrête pas pour autant. Il redevient ministre de l'Instruction publique et des Beaux-arts dans le second cabinet Brisson de 1898. En 1906, il est ministère des Affaires étrangères du gouvernement Sarrien. En 1912, il devient ministre du Travail et de la Prévoyance sociale du cabinet Poincaré. À l'aube de la Première Guerre mondiale, il retrouve son ministère des Affaires étrangères (cabinet Ribot). Il est par la suite ministre d’État sous le gouvernement Briand en 1915, puis à nouveau ministre du Travail et de la Prévoyance sociale dans le cabinet Ribot de 1917 puis une deuxième fois ministre d’État, cette fois-ci en tant que membre du comité de guerre, dans le ministère Painlevé à l'automne 1917[33].

Élu sénateur de la Marne en 1905, il joue un rôle important dans le vote de la loi sur les Retraites ouvrières et paysannes en 1910. Ministre des Affaires étrangères, il représente la France à la conférence d'Algésiras (1906) réunie à la suite de la crise de Tanger. Son activité diplomatique prépare la création de la Société des Nations, dont il est le premier président en 1919 et où il est en faveur du Principe de l'égalité des races[37]. Cette volonté de réguler les relations entre États lui vaut le prix Nobel de la paix en 1920.

Président du Sénat[modifier | modifier le code]

Photo en noir et blanc d’un rassemblement d'individus, avec au centre de l’image deux hommes qui échangent : l’un a une moustache et des cheveux blancs, l’autre présente une chevelure et une barbe grisonnantes et porte des lorgnons
Léon Bourgeois félicitant Paul Deschanel pour son élection à l’Élysée (château de Versailles, ).

Le , à l'issue du second tour de scrutin, Léon Bourgeois est élu président du Sénat par 147 voix contre 125 pour le président sortant de la chambre haute, Antonin Dubost. C'est la première fois, sous la IIIe République, qu'un homme aura été appelé, durant sa carrière publique, à présider les travaux des deux chambres du Parlement que sont la Chambre des députés et le Sénat, puisque Bourgeois présida la chambre basse entre 1902 et 1904. Après cette élection, Léon Bourgeois avait estimé, dans un bref discours inaugural, que son élection consacrait « le représentant de la France au conseil de la Société des nations », auquel ses collègues avaient donné « un surcroît de force et d'autorité ».

Trois jours seulement après son élection, il doit présider le Congrès de Versailles qui doit élire le onzième président de la République française ; après avoir présidé le scrutin, c'est à Bourgeois qu'il revient de proclamer Paul Deschanel élu chef de l'État. Après la démission, le 21 septembre suivant, du président de la République pour des raisons de santé, il préside à nouveau le Congrès qui élit Alexandre Millerand à la magistrature suprême.

Le , Bourgeois est confortablement réélu à la présidence du Sénat, par 224 voix, sans adversaire. Un an plus tard, le , c'est également sans concurrent qu'il est reconduit à cette fonction, par 207 suffrages.

Progressivement affaibli par une cécité partielle, il renonce au « plateau » le bien qu'il ait été réélu le 9 janvier précédent, avec 217 voix sans adversaire ; c'est Gaston Doumergue qui lui succède. La présidence de la chambre haute était la plus haute fonction de la IIIe République qui lui ait été confiée de sa carrière. Le , Léon Bourgeois, âgé de 74 ans, s'éteint au château d'Oger.

Doctrine[modifier | modifier le code]

Radicalisme et solidarisme[modifier | modifier le code]

Son diplôme de Nobel de la Paix en 1920, musée des beaux-arts et d'archéologie de Châlons-en-Champagne.

On tient Léon Bourgeois pour l'un des théoriciens du radicalisme, et notamment de sa doctrine sociale. Son programme politique, le « solidarisme », se voulait une « synthèse » entre le libéralisme et le socialisme, mais qui leur serait « supérieure »[38]. Sa doctrine s'opposait à la fois au laisser-faire prôné par les libéraux et au collectivisme des socialistes[39], dont la montée dans l'opinion, et surtout chez les ouvriers, inquiétait les radicaux[36].

Dans son ouvrage Solidarité, publié pour la première fois en 1896, il présente la solidarité comme le principe central de sa doctrine ; une solidarité aussi bien entre les hommes qu'entre les générations. Pour lui, « l'individu isolé n'existe pas ». Les hommes sont interdépendants et ont tous une dette envers la société, qui leur a permis de s'épanouir. Mais puisqu'ils ne disposent pas des mêmes avantages, cette dette ne peut être la même pour tous. Pour Léon Bourgeois et les solidaristes, un « quasi-contrat » est passé à la naissance entre les hommes, dont ils héritent des droits et des devoirs, qui évoluent selon la réussite[39]. Ce contrat est la reconnaissance d'une dette vis-à-vis de la société, qui nous a éduqués, mais aussi vis-à-vis des générations futures à qui l'on doit le progrès humain. L'homme n'est réellement libre que lorsqu'il se sera acquitté de cette dette[36]. Il expose cette idée de « devoir social » dans La Revue nouvelle.[réf. nécessaire]

La philosophie de la solidarité, selon Bourgeois, peut seule favoriser la construction d’une République de la main tendue contre le poing fermé, de la mutualité « règle suprême de la vie commune » contre la charité réduite à une « pitié agissante »[40]. Le solidarisme se montre ainsi favorable au mutualisme et à la prévoyance sociale[39], que l’État doit encourager[36]. C’est au nom de la solidarité que Léon Bourgeois défendit le principe de l’impôt sur les successions, sur les revenus et la mise en place d'une retraite pour les travailleurs[40].

Il est difficile de classer le solidarisme dans un courant de pensée plus large. Certains, à l'image de Serge Audier, considèrent sa doctrine comme appartenant au « socialisme libéral » ; il se réfère notamment à un échange entre Geogres Renard, directeur de La Revue socialiste, et Léon Bourgeois où ce dernier affirmait être un « socialiste libéral, le plus libéral des socialistes »[41]. Pour d'autres, telle Janet Horne, il s'agit davantage d'un « libéralisme social » puisque Léon Bourgeois était étranger à l'idée de lutte des classes et se prononçait en faveur de la paix sociale[39].

Durant l'entre-deux-guerres, le solidarisme a un impact important sur la pensée politique. Célestin Bouglé, par exemple, publie Le Solidarisme en 1924. Il y rappelle l'opposition des solidaristes à l'abolition de la propriété privée et à la lutte des classes ; mais également la nécessité que l’État intervienne pour corriger la question sociale, qui n'est pas que morale. Néanmoins, après la Seconde Guerre mondiale, l'effondrement du radicalisme entraîne la disparition du solidarisme ; même s'il est parfois considéré comme un précurseur de l’État providence[36].

Rapports à la guerre[modifier | modifier le code]

Léon Bourgeois prononçant un discours devant des poilus (Nesle, 1917).

Il restait marqué par son expérience de 1870, il se voulait humaniste et pacifiste, mais se sentait impliqué par la direction de la défense du territoire. Il fut actif comme membre du comité de guerre, comme président du groupe parlementaire des départements envahis, au sein de la commission des dommages de guerre du Sénat, comme vice-président de la commission sénatoriale de l’armée, mais aussi vice-président de la commission sénatoriale des Affaires étrangères et enfin président de la commission sénatoriale d’Alsace-Lorraine. Il s'intéresse au droit international comme membre de la commission interministérielle de droit maritime. Il est un défenseur des Nations et états civilisés contre les états prédateurs. C'est dans cette optique qu'il fut amené à militer pour une SDN universelle. Il siège à la commission de l'Armée du Sénat lors de la Première Guerre mondiale.

Franc-maçonnerie[modifier | modifier le code]

Il fut par ailleurs un membre influent du Grand Orient de France. Initié le au sein de la loge maçonnique « La Sincérité » sise à Reims, il s'affilie en à « La Bienfaisance chalonnaise »[42].

Sionisme[modifier | modifier le code]

Léon Bourgeois exprime son soutien au sionisme, déclarant à ce sujet : « Le sionisme ! Certes j'en suis au courant. On devrait l'encourager, le soutenir. […] Être sioniste, cela signifie faire face à l’antisémitisme[43]. »

Sculpteur[modifier | modifier le code]

Dès son enfance, Léon Bourgeois se passionne pour les arts[2]. Il était sculpteur et a laissé quelques œuvres dont le buste de sa fille[44]. Une salle non permanente du musée des beaux-arts et d'archéologie de Châlons-en-Champagne lui est consacrée, on peut découvrir des souvenirs, dont son diplôme du prix Nobel.

Le musée Alfred-Canel à Pont-Audemer possède également une de ses sculptures, intitulée Une marchande de volaille à Cernay, d'après une peinture d'E. Dameron.

Par ailleurs, il est l'un des membres d'honneur de la Société Nationale des Beaux-Arts en 1913[45].


Liste des fonctions[modifier | modifier le code]

Portrait de Léon Bourgeois (non daté).

Son parcours public est riche de postes et titres prestigieux :

Il fut aussi, de 1907 à 1922, le premier président de la Société des Amis du Muséum national d'histoire naturelle[46]. Il fut aussi président de l'Alliance d'hygiène sociale[47].

Publications[modifier | modifier le code]

Honneurs[modifier | modifier le code]

Photographie d'une statue de Léon Bourgeois (Châlons-sur-Marne, 1942) aujourd'hui disparue.

L'importance de son implication dans la vie publique fit que de nombreux hommages lui furent rendus comme :

  • Un monument commémoratif avec une statue assise en bronze, sculpté par Horace Daillion avait été érigé en 1933 à Châlons-en-Champagne mais a été refondu lors de l'occupation allemande[48]. La statue de bronze est fondue en 1942, dans le cadre de la mobilisation des métaux non ferreux. Son socle, enlevé en 1969 pour faire un parking, est brisé et déposé sur une pelouse de l'hôpital de Châlons.
  • Une plaque, apposée sur l'immeuble de sa naissance, a été dévoilée en par Bruno Juilliard, 1er adjoint de la Mairie de Paris, et Daniel Keller Grand Maître et Président du Conseil de l'Ordre du Grand Orient de France.
  • Des voies places ou rues : une voie du 7e arrondissement de Paris ouverte en 1907 en bordure du Champ-de-Mars a reçu le nom d’allée Léon-Bourgeois par arrêté du , Marseille, Rennes, Toulon, Palaiseau, Châlons-en-Champagne, Reims, Limoges, Castres, Clermont-Ferrand, Luxeuil-les-Bains, Saint-Nazaire, Suresnes, Mulhouse, Saint-Etienne, Valence, Bron, Oullins.
  • Des écoles.

Distinctions[modifier | modifier le code]

Notes et références[modifier | modifier le code]

Notes[modifier | modifier le code]

  1. Les cendres de Léon Bourgeois sont déposées au cimetière de l'ouest de Châlons-en-Champagne. Une salle lui est dédiée au musée des Beaux-Arts de la ville.
  2. Homme politique et bibliothécaire influent dans le département avec qui il entretenait une correspondance

Références[modifier | modifier le code]

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  3. a et b Sorlot 2005, p. 15
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  6. Sorlot 2005, p. 17
  7. Sorlot 2005, p. 18
  8. Sorlot 2005, p. 19
  9. Sorlot 2005, p. 21
  10. a et b Sorlot 2005, p. 22
  11. Paul Guillaume, « La Franc-maçonnerie à Reims (1740-2000) », Thèse de doctorat, Université de Reims Champagne-Ardenne, 2001, p. 333
  12. Sorlot 2005, p. 23-24
  13. a b et c Sorlot 2005, p. 25-27
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  18. a b et c Sorlot 2005, p. 29
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  20. « Nomination comme officier de la Légion d’honneur, dossier Léonore de Léon Bourgeois », sur Ministère de la Culture (consulté le )
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  26. Alexandre Niess, « Parlementaires et élus locaux de la Marne sous la Troisième République : esquisse prosopographique », dans Jean Garrigues, Éric Anceau, Frédéric Attal, Noëlline Castagnez, Noëlle Dauphin, Sabine Jansen et Olivier Tort (dir.), Actes du 57e congrès de la CIHAE : Assemblées et parlements dans le monde, du Moyen Âge à nos jours, Paris, Assemblée nationale, (lire en ligne), p. 287-290
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  40. a et b Audier 2007
  41. Audier 2007, p. 18
  42. Daniel Ligou, Dictionnaire de la franc-maçonnerie, Paris, Presses universitaires de France, , 5e éd. (1re éd. 1986), 1 376 p. (ISBN 2-13-055094-0), « Bourgeois (Leon) », p. 163Voir et modifier les données sur Wikidata .
  43. « L\'Echo Sioniste. Vol. 1 n° 1 (5 septembre 1899) », sur bibliotheque-numerique-aiu.org (consulté le ).
  44. Jean-Paul Barbier Des Châlonnais célèbres illustres et mémorables, 2000.
  45. Paul-Arnaud Herissey, Catalogue de la Société Nationale des Beaux-Arts
  46. Yves Laissus, « Cent ans d'histoire », 1907-2007 - Les Amis du Muséum, spécial centenaire, septembre 2007, supplément du bulletin « Les Amis du Muséum d'Histoire Naturelle » n° 230 de juin 2007, ISSN 1161-9104
  47. « Congrès / Alliance d'hygiène sociale Alliance d hygiène sociale », sur Gallica (consulté le )
  48. "Heurs et malheurs du monument Léon Bourgeois" de Bruno Malthet, in Etudes Marnaises, SACSAM, année 2019, tome CXXXIV
  49. son dossier sur LEONORE
  50. la liste de la donation faite par son fils

Voir aussi[modifier | modifier le code]

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Sources[modifier | modifier le code]

Une partie des archives de Léon Bourgeois est conservée aux archives diplomatiques dans la sous-série 29PAAP. Des papiers personnels sont également conservés aux archives départementales de la Marne.

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Document utilisé pour la rédaction de l’article : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

  • Denis Demko, Léon Bourgeois : Philosophe de la solidarité, Paris, Éditions Maçonniques de France, , 159 p. (ISBN 2-84721-012-1)
  • Marc Sorlot (préf. Bruno Bourg-Broc), Léon Bourgeois : Un moraliste en politique, Paris, Bruno Leprince, , 358 p. (ISBN 2-909634-96-5). Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
  • Serge Audier, Léon Bourgeois : Fonder la solidarité, Paris, Éditions Michalon, coll. « Le bien commun », , 125 p. (ISBN 978-2-84186-430-0 et 2-84186-430-8)
  • Alexandre Niess et Maurice Vaïsse (dir.), Léon Bourgeois : Du solidarisme à la Société des Nations, Langres, Dominique Guéniot, , 151 p. (ISBN 2-87825-355-8)
  • Benoît Yvert (dir.), Premiers ministres et présidents du Conseil : Histoire et dictionnaire raisonné des chefs du gouvernement en France (1815-2007), Paris, Perrin, , 916 p. (ISBN 978-2-262-02687-5)
  • Alexandre Niess, Synthétiser une vision sociale au long cours Léon Bourgeis et ses discours, dans : Études Marnaises, éd SACSAM, 2014, Tome CXXIX, p.271-286.
  • « Léon Bourgeois », dans le Dictionnaire des parlementaires français (1889-1940), sous la direction de Jean Jolly, PUF, 1960 [détail de l’édition]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]