Réalisme fantastique — Wikipédia

Le réalisme fantastique est un mouvement de contre-culture des années 1960, relayé par la revue Planète. Il se présente comme un courant de pensée et de recherche à vocation scientifique, ayant pour objet l'étude de domaines considérés comme exclus à tort par la science officielle : phénomènes paranormaux, alchimie, civilisations disparues, etc. Ses adeptes estiment parfois que le cerveau humain disposerait de pouvoirs sous-exploités, et que l'humanité a peut-être établi des contacts avec des extraterrestres, notamment sous d'anciennes civilisations disparues.

Un courant de pensée[modifier | modifier le code]

Frans Hellens, à qui Jacques Bergier attribue le terme de "Réalisme fantastique".

L'acte fondateur du réalisme fantastique fut le livre de Jacques Bergier et Louis Pauwels intitulé Le Matin des magiciens, publié en octobre 1960. C'est dans la préface de cet ouvrage qu'en apparaît le nom pour le grand public[1] (en fait le terme était déjà présent un an plus tôt, dans l'article Pour un Réalisme fantastique de Bergier pour la revue "Fiction" numéro 63, p. 141-142). À l'origine de ce courant, l'ingénieur chimiste et écrivain, doté d'une grande culture, se posait en héritier intellectuel de Charles Hoy Fort, qui avait entrepris de recenser et d'expliquer divers phénomènes inexpliqués, et dont il a préfacé l'édition française du Livre des damnés. Bergier réussit à gagner à sa cause le journaliste Louis Pauwels (futur directeur du Figaro Magazine), qu'il a rencontré en 1954 et qui venait de publier un livre consacré au penseur ésotérique Georges Gurdjieff.

Contrairement aux auteurs classiques qui s'orientaient vers une approche fantastique du récit comme Balzac[2],[3], Maupassant, Goethe ou E.T.A. Hoffmann, les théoriciens du « réalisme fantastique » s'attachaient à démontrer l'influence du surréel sur le réel et non à l'illustrer par le biais de fictions. Dans leur ouvrage fondateur, Pauwels et Bergier soulignaient d'ailleurs que le terme « fantastique » devait être compris avec une autre définition : « On définit généralement le fantastique comme une violation des lois naturelles, comme l’apparition de l’impossible. Pour nous, ce n’est pas cela du tout. Le fantastique est une manifestation des lois naturelles, un effet du contact avec la réalité quand celle-ci est perçue directement et non pas filtrée par le voile du sommeil intellectuel, par les habitudes, les préjugés, les conformismes. »[4]

Les idées du réalisme fantastique sont inspirées par de nombreux auteurs cités dans Le Matin des magiciens : penseurs ésotériques ou mystiques et essayistes (Georges Ivanovitch Gurdjieff, Charles Hoy Fort, Pierre Teilhard de Chardin), personnalités scientifiques (l'anthropologue Loren Eiseley, le biologiste J. B. S. Haldane), écrivains de science-fiction (John Buchan, H. P. Lovecraft, Arthur C. Clarke, Walter M. Miller), conteurs (Jorge Luis Borges), etc.

Si le sociologue Jean-Bruno Renard n'établit pas un lien direct entre le réalisme fantastique et le New Age[5], le philosophe Wouter Hanegraaff et le sociologue Damien Karbovnik y voient une certaine mitoyenneté[6],[7].

La revue Planète[modifier | modifier le code]

Une mosaïque de Georges Mathieu (1959), qui se réclame du réalisme fantastique.

Le succès inattendu et rapide du Matin des magiciens[8] incita ses auteurs à créer en mars 1961 une revue consacrée entièrement au réalisme fantastique : la revue Planète, qui dépassera les 100 000 exemplaires par numéro.

La publication de cette revue va créer l'environnement favorable à l'émergence d'un mouvement culturel regroupant d'autres auteurs et des artistes comme Pierre Clayette, Monasterio, Triffez, Jean Gourmelin et Claude Verlinde. D'autres peintres sont revendiqués par les tenants du réalisme fantastique, comme Carel Willink[9] ou Escher[10].

La revue Planète met par ailleurs en avant plusieurs artistes qu'elle assimile au mouvement du réalisme fantastique, comme Jean Gourmelin, Pierre-Yves Trémois, Roland Topor, Pierre Clayette et Soulages[réf. nécessaire], ainsi que des photographes comme Édouard Boubat ou Lucien Clergue. En , le peintre Mathieu publie dans la revue un article intitulé « Je vous rejoins ». En 1973, les éditions OPTA publient un livre d’art consacré aux peintres du réalisme fantastique[11] et en 1980, Jean-Louis M. Monod fait paraître Du surréel au fantastique - 13 peintres européens contemporains[12], un recueil de textes sur ces artistes, publiés auparavant dans Brès, l'édition néerlandaise de Planète entre 1973 et 1980.

Pour prolonger l'effet de mouvement et rallier le public aux idées du réalisme fantastique, Bergier et Pauwels imaginèrent les « Conférences Planète », qui se déroulaient à travers la France, dans différents pays d'Europe, au Québec et au Mexique et jusqu'en Argentine, avec la participation de J.L. Borges. Des « Dîners-débats Planète », des séjours culturels (Cefalù...) et des séries de spectacles (danses africaines vaudou...) furent aussi lancés sous l'égide de la revue.

Discographie[modifier | modifier le code]

  • Les conférences Planète - Introduction au réalisme fantastique par Louis Pauwels à l'Odéon théâtre de France, 1963, présentation de Jean-Louis Barrault, Club national du disque - le club des jeunesses de France (33T CND).

Bibliographie[modifier | modifier le code]

(Hors références infra)

  • À signaler les Cahiers du Chêne d'or, huit numéros ésotériques mensuels entre 1962 à 1963 chapeautés par l'alchimiste Serge Hutin, réimprimés dix ans plus tard comme Cahiers du réalisme fantastique en deux volumes.
  • Vienne et le réalisme fantastique - Hundertwasser, Claude Garino, éd. Idéa, 1976.
  • Altdorfer, et le réalisme fantastique dans l'art allemand, Jacqueline Guillaud, sous la direction de Maurice Guillaud, éd. Centre culturel du Marais, 1984.
  • La condition surhumaine (écrit entre 1970 et 1975 essentiellement par Bergier, actuellement déposé au fond Louis Pauwels de la BNF, et prévu pour étoffer un éventuel manuel de l'embellisement de la vie avec Pauwels sous forme de pentalogie, suite à l'Homme éternel paru le 1er janvier 1971)[13].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. « Nous avons découvert un point de vue nouveau et riche en possibilités (…) du côté de l’ultra-conscience et de la veille supérieure. Nous avons baptisé l’école à laquelle nous nous sommes mis le réalisme fantastique. », Louis Pauwels et Jacques Bergier, Le Matin des magiciens, p. 21
  2. « Balzac regroupait sous le terme « philosophique » un système d'idées mêlant : l'ésotérisme, l'occultisme, les facultés visionnaires, l'intuition prophétique, l'action métapsychique dont il pousse l'effet dans le sens du réalisme fantastique, nous serions presque tentés de dire : de la science-fiction ». Raymond Abellio, préface à Louis Lambert (volume comprenant également Les Proscrits, Jésus-Christ en Flandre), p. 8, Gallimard, Folio Classique, 1980.
  3. « La poétique balzacienne relève d’une sorte de réalisme fantastique dont Dickens a de son côté donné des exemples comparables ». Histoire et roman dans Les Paysans de Balzac, par Pierre Macherey, in Socio-critique, édition dirigée par Claude Duchet, Nathan, 1979, p. 137-146
  4. Louis Pauwels et Jacques Bergier, Le Matin des magiciens, p. 13
  5. Jean-Bruno Renard, « Le Mouvement Planète : un épisode important de l'histoire culturelle française », Politica Hermetica, no 10,‎ , p. 152-174
  6. (en) Wouter J. Hanegraaff, New Age religion and Western culture : esotericism in the mirror of secular thought, E.J. Brill, (ISBN 90-04-10695-2, 978-90-04-10695-6 et 90-04-10696-0, OCLC 156299505)
  7. Damien Karbovnik, « L’échec d’une « religion » New Age : l’exemple des Ateliers Planète », Revue de l’histoire des religions, no 238,‎ , p. 515–545 (ISSN 0035-1423, DOI 10.4000/rhr.11278, lire en ligne, consulté le )
  8. Ventes francophones cumulées : 2 000 000 d'exemplaires
  9. Planète, no 3, 1962
  10. Planète, no 8, p. 61
  11. Le réalisme fantastique, 40 peintres européens de l'imaginaire (Max Ernst, Raymond Moretti, Salvador Dali, Félix Labisse, Leonor Fini, Gourmelin, Druillet...)
  12. Jean-Louis M. Monod (préface de Marcel Schneider), Du surréel au fantastique - 13 peintres européens contemporains, éd. Alain Lefeuvre (Nice)
  13. La Condition surhumaine, une réalité fantastique Isabelle Mette et Damien Karbovnik, Revue de la BNF 2017/1 (no 54), pages 150 à 159.

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Politica Hermetica, no 10, 1996, p. 152 à 174 (éd. L'Âge de l'Homme). Article du sociologue Jean-Bruno Renard, « Le mouvement Planète : un épisode important de l'histoire culturelle française ».
  • Fiction no 104, . Article de Sartene G. : « Réalisme fantastique ou fantastique idéalisme ? (à propos de Planète) ».
  • Brès no 85, Nov.-, « Du surréel au fantastique… Pessimisme ou optimisme ? » (Wachters wat is er van de nacht ?)
  • Arts et Spectacles, hebdomadaire du 27/02/1963. Article de Jean d'Ormesson : « Voici le temps des mystificateurs ».
  • Yves Galifret et al., Le Crépuscule des Magiciens. Le réalisme fantastique contre la culture, éd. de l'Union Rationaliste, 1965.
  • Mircea Eliade, « Modes culturelles et histoire des religions ». Article de 1965, repris lors d'un cours à l'université de Chicago en 1967, et dans Occultisme, sorcellerie et modes culturelles, éd. Gallimard, 1978.
  • Michel Winock, Chronique des années soixante, éd. du Seuil, 1987, p. 74 à 77: « Le phénomène Planète ».
  • Claire Besson, Dorothée Chaoui-Derieux et Bruno Desachy, « Bonne fouille ne saurait mentir ? », Terrain, no 57 « Mentir »,‎ , p. 48-65 (DOI 10.4000/terrain.14315, lire en ligne).
  • Nicholas Goodrick-Clarke (trad. de l'anglais par Patrick Jauffrineau et Bernard Dubant, préf. Rohan Butler), Les racines occultes du nazisme : les aryosophistes en Autriche et en Allemagne, 1830-1935 [« The Occult Roots of Nazism : The Ariosophists of Austria and Germany, 1890-1935 »], Puiseaux, Pardès, coll. « Rix », , XI-343 p. (ISBN 2-86714-069-2, présentation en ligne).
    Réédition : Nicholas Goodrick-Clarke (trad. de l'anglais par Armand Seguin), Les racines occultes du nazisme : les sectes secrètes aryennes et leur influence sur l'idéologie nazie [« The Occult Roots of Nazism : Secret Aryan Cults and their Influence on Nazi Ideology »], Rosières-en-Haye, Camion blanc, coll. « Camion noir » (no CN41), , 507 p. (ISBN 978-2-35779-054-4).
  • Pierre Lagrange, « Renaissance d'un ésotérisme occidental (1945-1960) », dans Claudie Voisenat et Pierre Lagrange (dir.) (préf. Daniel Fabre), L'ésotérisme contemporain et ses lecteurs : entre savoirs, croyances et fictions, Paris, Bibliothèque publique d'information, Centre Pompidou, coll. « Études et recherche / Bibliothèque publique d'information », , 407 p. (ISBN 2-84246-092-8, lire en ligne), p. 45-96.
  • Roger Lapointe, « Des mutants parmi nous », Revue européenne des sciences sociales, Genève, Librairie Droz, t. 28, no 87 « Les intellectuels : déclin ou essor : VIe colloque annuel du groupe d'étude « Pratiques sociales et théories » »,‎ , p. 75-88 (JSTOR 40369892).
  • Michel Meurger, Lovecraft et la S.-F., vol. 1, Amiens, Encrage, coll. « Travaux », , 190 p. (ISBN 2-906389-31-5, présentation en ligne sur le site NooSFere), « "Anticipation rétrograde" : primitivisme et occultisme dans la réception lovecraftienne en France de 1953 à 1957 », p. 13-40.
  • Isabelle Gourmelin, L'expression artistique du réalisme fantastique au sein de Planète, revue des années soixante, projet de thèse présenté pour l'année de D.E.A. en Histoire de l'Art sous la direction de Madame José Vovelle, Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, .
  • Grégory Gutierez, Le discours du réalisme fantastique : la revue Planète, Mémoire de Maîtrise de Lettres Modernes Spécialisées, Université Sorbonne - Paris IV, UFR de Langue Française, 1997-1998, 133 p (lire en ligne)

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]