Radio télévision libre des Mille Collines — Wikipédia

Radio télévision libre des Mille Collines

Présentation
Pays Drapeau du Rwanda Rwanda
Siège social Kigali
Propriétaire Une cinquantaine d'actionnaires de l'Akazu
Langue Kinyarwanda, Français
Historique
Création avril 1993
Disparition 31 juillet 1994
Diffusion hertzienne
Diffusion câble et Internet

La Radio télévision libre des Mille Collines (RTLM) est une station de radio privée rwandaise, qui a émis du au . Le média devient l'un des instruments de propagande en diffusant sans discontinuer sur les ondes durant trois mois des discours incitant à l'exécution du génocide des Tutsi en 1994.

Histoire[modifier | modifier le code]

Création[modifier | modifier le code]

Au début des années 1990, les canaux de communication radiophoniques sont restreints incluant principalement la station publique Radio Rwanda et Radio Muhabura, la station du FPR (Front patriotique rwandais). En 1992, Radio Rwanda tombe aux mains d'extrémistes Hutu qui diffusent une propagande haineuse[1]. Sur ordre de Ferdinand Nahimana, Radio Rwanda diffuse une fausse information : les Tutsi auraient prétendument établi une liste de personnalités hutues à abattre[2]. Cette fake news provoque les massacres du Bugesera. À cause de son rôle dans ces massacres, Ferdinand Nahimana est congédié de Radio Rwanda, sans autre sanction[3]. Par la suite, il fonde la Radio télévision libre des mille collines (RTLM). Les premières réunions préparatoires à la Radio télévision libre des Mille Collines, réunissant des proches du président Habyarimana, ont lieu en [4]. Ils créent la RTLM en . Félicien Kabuga participe au financement du média en collaboration avec la Fondation Konrad-Adenauer pour un budget total de 3 millions de francs français soit plus de 450 000 euros[5],[6]. La RTLM compte une cinquantaine d'actionnaires, tous membres de l'Akazu un groupe de Hutu radicaux dirigé par Agathe Habyarimana, la femme du président[7].

L'organisation est dirigée par Ferdinand Nahimana. Le secrétaire du comité exécutif, et considéré comme le numéro 2[4], est Jean Bosco Barayagwiza.

Elle a pour but de proposer une alternative à Radio Rwanda, la radio d'État, qui, depuis avril 1992, avait pris ses distances avec le parti du Président, le MRND[8]. Elle cherche à diffuser l'idéologie du Hutu Power, en réponse à l'influence grandissante que prenait la radio du Front patriotique rwandais[9].

Dans un contexte culturel où l'oralité prédomine, la radio est le média le plus puissant au Rwanda, la télévision et la presse écrite étant moins accessibles (et le taux d'illettrisme étant élevé dans certaines zones). Le taux d'équipement de la population est alors d'un poste de radio pour 10 à 15 personnes[10].

Elle est installée en face du palais présidentiel[11] et commence à émettre le , d'abord sur la région de Kigali, puis progressivement sur l'ensemble du Rwanda et le nord du Burundi[4]. Les animateurs s'expriment principalement en kinyarwanda, mais aussi en français[12]. Contrairement à ce que son nom indique, elle n'a pas de chaîne de télévision associée.

Concept[modifier | modifier le code]

La RTLM cherche en particulier à séduire les jeunes avec une tonalité conviviale qui rompt avec le style suranné de Radio Rwanda, beaucoup d'ironie et des satires humoristiques, entrecoupées de musique zaïroise entraînante[13]. Elle diffuse aussi régulièrement la musique de Simon Bikindi, dont les textes incitent à la haine contre les Tutsi[7].

Les animateurs jouent subtilement des animosités et frustrations des Hutu à l'encontre des Tutsi et répandent une propagande virulente contre les Tutsi, les Hutu modérés, les Belges et la Mission des Nations unies pour l'assistance au Rwanda (MINUAR). Les incitations claires au génocide, telles que « Tuez tous les cafards », ne commencent cependant qu'en même temps que celui-ci.

La RTLM connaît un important succès populaire, en particulier chez les jeunes, et crée ainsi une atmosphère hostile aux Tutsi qui prépare le terrain au génocide.

Équipe[modifier | modifier le code]

L'équipe compte une dizaine de personnes. Le directeur opérationnel est Phocas Habimana (Ferdinand Nahimana ayant autorité mais n'étant que rarement présent dans les locaux)[14]. Le rédacteur en chef est Gaspard Gahigi[15].

Parmi ses animateurs vedettes, on trouve Valérie Bemeriki[9], le Belge Georges Ruggiu[15], Gaspard Gahigi [16], Noël Hitimana[17] et Kantano Habimana[18].

Il est estimé que ce dernier, animateur extrêmement populaire, a bénéficié d'environ un tiers du temps d'antenne de la radio, Valérie Bemeriki en ayant eu 17 %, Georges Ruggiu 8 % et Noël Hitimana 5 %[19].

Parmi les autres animateurs à l'antenne de Radio Mille Collines, on trouve Emmanuel Mbilizi, Emmanuel Nkomati, Emmanuel Rucogoza et Pérpétue Bimenya[4].

Pendant le génocide[modifier | modifier le code]

Dans les jours qui précèdent le début du génocide, il est annoncé à l'antenne de la radio que « le 4 ou le 5, il va se passer un petit quelque chose [...] une petite chose est prévue. Cette petite chose va continuer les jours suivants… Hohoho ! ». Le génocide débute finalement le , immédiatement après que l'avion du président Habyarimana a été abattu, vers 20 h 30. Radio Mille Collines diffuse des appels aux meurtres d'une manière explicite[20] et des listes de personnes à exécuter dès 21 h, laissant penser que la radio était un instrument de la planification du génocide[7].

Au cours du génocide, la RTLM encourage les tueries dans la bonne humeur[21], indiquant les endroits où des Tutsi se cachent, donnant des noms de personnes à abattre, galvanisant les miliciens pour qu'ils attrapent et découpent les inyenzi et « remplissent les fosses ». Inyenzi, un mot kinyarwanda qui signifie « cafard », « cancrelat », est alors utilisé pour désigner les Tutsi[22].

Kantano Habimana va jusqu'à se rendre sur les barrages constitués par les miliciens afin de les interviewer[19].

Le , une bombe est lancée sur les locaux de la radio. Noël Hitimana est sérieusement touché à une jambe, dont il sera amputé. Il ne reviendra pas à l'antenne[17].

Au cours du génocide, le commandant de la Mission des Nations unies pour l'assistance au Rwanda (MINUAR), Roméo Dallaire, et d'autres parties prenantes, demandent que les technologies de brouillage soient utilisées pour bloquer Radio Mille Collines, mais les États-Unis auraient refusé[23],[24].

La RTLM est surnommée « Radio Machette » par le Front patriotique rwandais[15]. Elle est aussi parfois surnommée « Radio Télévision La Mort »[25].

Fin du génocide et de la RTLM[modifier | modifier le code]

Les animateurs de la radio fuient Kigali le lorsque le FPR entre dans la capitale[15], mettant fin au génocide et provoquant un exode massif de hutus vers le Zaïre.

La RTLM continue pourtant d'émettre via des équipements mobiles jusqu'au . Elle continue pendant cette période d'être écoutée par les Hutu qui fuient le Rwanda pour se réfugier au Zaïre dans la « zone humanitaire sûre », ce qui crée une polémique[26].

Postérité[modifier | modifier le code]

Rôle dans le génocide[modifier | modifier le code]

L'historien Jacques Semelin estime que « c'est la première fois qu'un média de masse appelle au meurtre », la RTLM n'ayant pas eu d'équivalent lors d'autres génocides[27].

De nombreux observateurs considèrent que la RTLM a joué un rôle capital dans le génocide[7],[28],[9]. Une étude du Quarterly Journal of Economics estime qu'environ 10 % des crimes commis lors du génocide sont le résultat des messages diffusés sur Radio Mille Collines. Les violences ont été plus importantes dans les zones où la radio était bien réceptionnée[29]. En revanche, une autre étude remet ces résultats en question[30].

Condamnations[modifier | modifier le code]

Trois des associés de la radio, Jean Bosco Barayagwiza, Ferdinand Nahimana et Hassan Ngeze (ancien rédacteur en chef du journal extrémiste Kangura), ont été condamnés en 2003, pour génocide et incitation au génocide, par le Tribunal pénal international pour le Rwanda[31], à des peines respectives de 35, 30 et 35 ans.

L'animatrice Valérie Bemeriki a également été condamnée, à perpétuité, pour planification de génocide[9],[32].

Georges Ruggiu a été condamné en 2000 à douze années de réclusion[33].

Kantano Habimana est mort de maladie en 1995[15].

Noël Hitimana est probablement mort en prison en 2002 ou plus tôt.

Lors du procès par la cour d’assises de Seine-Saint-Denis en 2014, Pascal Simbikangwa comparaît pour complicité de génocide et de crimes contre l'humanité. Il admet une raison politique en participant à la création de la RTLM afin de diffuser les opinions politiques des partisans du président hutu Juvénal Habyarimana et également pour un intérêt financier[34]. Valérie Bemeriki témoigne contre Pascal Simbikangwa, qu'elle décrit comme l'un des planificateurs du génocide en venant régulièrement à la RTLM pour s'entretenir avec le directeur de la station et qu'il soutenait les miliciens pendant les massacres en leur donnant des armes, instructions et encouragements[35],[36]. Il est condamné à vingt cinq années de réclusion criminelle au titre de la « compétence universelle ». En 2016, sa peine est confirmée par la cour d'appel de Bobigny[37].

Félicien Kabuga est arrêté en France en [38].

Dans la culture populaire[modifier | modifier le code]

Une pièce de théâtre, Hate Radio, de Milo Rau, créée en 2012, s'inspire de Radio Mille Collines[18],[39],[40].

Sources et liens[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Joseph Bemba, Justice internationale et liberté d'expression : les médias face aux crimes internationaux, Paris, L'Harmattan, 2008, p. 47-110 (ISBN 978-2-296-06066-1)
  • Jean-Pierre Chrétien (dir.), Rwanda : les médias du génocide, Paris, Karthala, 1995 (en particulier « De Radio Rwanda à la RTML », p. 63-82) (ISBN 2-86537-621-4) (rapport d'une mission envoyée au Rwanda en à la demande de l'UNESCO)
  • Jean-Pierre Chrétien et Marcel Kabanda, Rwanda, racisme et idéologie. L’idéologie hamitique, Paris, Belin, 2013, 379 p. (en particulier chapitres 8 et 9)
  • Jean-François Dupaquier, Politiques, militaires et mercenaires français au Rwanda - Chronique d'une désinformation, Paris, Karthala, 2014, 480 p.
  • Joséphine Tuvuzimpundu, Dans la tourmente rwandaise : étude lexico-sémantique du discours de la Radiotélévision libre des Mille Collines (RTLM), [-], thèse de doctorat de linguistique, université Michel de Montaigne-Bordeaux III, 578 p.

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. (en) Gregory S. Gordon, Atrocity Speech Law: Foundation, Fragmentation, Fruition, Oxford University Press, (ISBN 978-0-19-061270-2), p. 50
  2. « Massacres au Rwanda Alors que le pays s'ouvre timidement à la démocratie, de nouvelles violences ont éclaté entre les Hutus _ au pouvoir _ et les Tutsis », Le Monde,‎ (lire en ligne).
  3. Mission d’information sur le Rwanda, « Rapport d'information n°1271 », sur assemblee-nationale.fr, , p. 97-98. [PDF]
  4. a b c et d « Ferdinand Nahimana, historien et politique », sur France Génocide Tutsi
  5. « Enquête sur le financement du génocide au Rwanda : Félicien Kabuga, le grand argentier des massacres », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le ) :

    « Le président Habyarimana est le premier actionnaire de la société. Associé à deux intellectuels proches du pouvoir, M. Kabuga finance l’opération en constituant un tour de table d’une cinquantaine de gros donateurs, pour la plupart membres de l’Akazu. Alphonse Higaniro et sa femme en font partie. M. Kabuga sollicite aussi le soutien de la Fondation Konrad-Adenauer, un satellite de l’Internationale démocrate-chrétienne, affiliée à la CDU, le parti démocrate-chrétien allemand. Le budget s’élève à 3 millions de francs français (plus de 450 000 euros). Très vite, la RTLM, sa musique moderne et le ton déluré de ses animateurs deviennent populaires dans les campagnes rwandaises, où le discours haineux contre les Tutsi monte en puissance. »

  6. « Au Rwanda, les funestes échos de Radio-Mille Collines », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le ) :

    « Félicien Kabuga, considéré comme le grand argentier du génocide, est au cœur du financement de ce média. Dans le tour de table, il y a aussi Jean Bosco Barayagwiza, fondateur de la Coalition pour la défense de la République, un parti radical hutu, et Ferdinand Nahimana, un universitaire originaire de la même région que le président Habyarimana. Félicien Kabuga sollicite également le soutien de la Fondation Konrad-Adenauer, un think tank associé à la CDU, le parti démocrate-chrétien allemand. Le budget total s’élève à 3 millions de francs français, soit plus de 450 000 euros. »

  7. a b c et d « Au Rwanda, les funestes échos de Radio-Mille Collines », Le Monde,‎ (lire en ligne, consulté le )
  8. HRW, FIDH, Aucun témoin ne doit survivre, Karthala (1999), p.84-86
  9. a b c et d « Génocide rwandais : une journaliste de Radio mille collines témoigne », Le Monde,‎ (lire en ligne, consulté le )
  10. « Radio "R.T.L.M." - Vidéo dailymotion », sur Dailymotion (consulté le )
  11. « Radio Mille Collines le média génocidaire du 07 avril 2014 - France Inter », sur www.franceinter.fr (consulté le )
  12. « 7. La radio de la haine », sur Cairn.info, Complicités de génocide (2010), pages 125 à 131 (consulté le )
  13. HRW, FIDH, Aucun témoin ne doit survivre, Karthala (1999), p.87
  14. Hervé Deguine, Un idéologue du génocide rwandais: Enquête sur Ferdinand Nahimana, Fayard/Mille et une nuits
  15. a b c d et e « Georges Ruggiu, une voix du génocide. Animateur radio au Rwanda, ce Belge attisait la haine interethnique. », sur Libération.fr, (consulté le )
  16. « RFI - Rwanda - Les « médias de la haine » en procès », sur www1.rfi.fr (consulté le )
  17. a et b « Cinq ans après le génocide des tutsis au Rwanda (4/4) : Le temps du pardon », sur France Culture (consulté le )
  18. a et b « Mille Collines, la radio de la haine », La Croix,‎ (ISSN 0242-6056, lire en ligne, consulté le )
  19. a et b (en) « The Media and the Rwanda Genocide », sur IDRC - International Development Research Centre (consulté le )
  20. « La veuve noire du Rwanda », sur Politique Magazine, (consulté le ) : « Chers auditeurs, bonjour. Soyez enragés. C’est à nous de nous débarrasser de cette sale race. Réjouissons-nous, les cafards sont exterminés et restons surtout unis contre la vermine »
  21. Institut National de l’Audiovisuel- Ina.fr, « 1994 La radio rwandaise des Mille collines : le génocide en chantant », sur Ina.fr (consulté le )
  22. Benjamin Sehene et Liesel Couvreur-Schiffer, Le piège ethnique, Éditions Dagorno, 1999, p. 21 (ISBN 9782910019549)
  23. (en) Information Intervention: When Switching Channels Isn't Enough, Foreign Affairs, novembre-décembre 1997, Vol. 76 Issue 6, p. 15.
  24. (en) Bystanders to Genocide, The Atlantic, septembre 2001, p. 8.
  25. « Mille Collines au Rwanda : archives sonores d'un génocide 1 », sur France Culture (consulté le )
  26. Hervé Deguine & Robert Ménard, « Les extrémistes de « Radio Machette » », sur Le Monde diplomatique, (consulté le )
  27. « Procès Rwanda : actionnaire de radio Mille collines ? L'accusé minimise encore - Page 2 », sur Le Point, (consulté le )
  28. « Wayback Machine », sur web.archive.org, (consulté le )
  29. (en) David Yanagizawa-Drott, « Propaganda and Conflict: Evidence from the Rwandan Genocide », The Quarterly Journal of Economics, vol. 129, no 4,‎ , p. 1947–1994 (ISSN 0033-5533, DOI 10.1093/qje/qju020, lire en ligne, consulté le )
  30. (en) « Did Radio RTLM Really Contribute Meaningfully to the Rwandan Genocide?: Using Qualitative Information to Improve Causal Inference from Measures of Media Availability », sur Taylor & Francis Online, Civil Wars, (consulté le )
  31. Nahimana, Ferdinand, sur le site du portail judiciaire de La Haye, p. 329
  32. « Génocide au Rwanda: une journaliste de la radio RTLM condamnée à la perpétuité », Le Parisien, (consulté le )
  33. « Georges Ruggiu », sur TRIAL International (consulté le )
  34. Le Point magazine, « Procès Rwanda: actionnaire de radio Mille collines? L'accusé minimise encore - Page 2 », sur Le Point, (consulté le )
  35. « Procès du génocide au Rwanda: le témoignage gênant d'une journaliste », sur BFMTV (consulté le )
  36. « Génocide rwandais : une journaliste de Radio mille collines témoigne », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  37. « Génocide des Tutsis: la condamnation de Pascal Simbikangwa confirmée en appel », sur Licra - Antiraciste depuis 1927, (consulté le )
  38. Le Figaro avec Reuters et AFP, « Génocide au Rwanda : la France annonce l'arrestation de Félicien Kabuga, en cavale depuis 25 ans », Le Figaro,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  39. « Hate radio: la voix du génocide au Rwanda », sur Slate Afrique (consulté le )
  40. Hate Radio, Dossier de presse (lire en ligne)