Rafle de Marseille — Wikipédia

Rafle de Marseille
Déportation de Juifs, gare d'Arenc, Marseille, 24 janvier 1943.
Déportation de Juifs, gare d'Arenc, Marseille, .

Type Rafle (Shoah en France)
Pays Drapeau de la France France
Localisation Marseille
Coordonnées 43° 17′ 47″ nord, 5° 22′ 12″ est
Organisateur Drapeau de l'Allemagne nazie Reich allemand
Drapeau de l'État français État français
Date , et
Participant(s) SIPO-SD, Wehrmacht, police nationale française
Revendications La justice française via le pôle du parquet de Paris ouvre un dossier pour crime contre l'humanité le
Répression
Arrestations 6 000 personnes arrêtées
1 642 personnes déportées

Géolocalisation sur la carte : France
(Voir situation sur carte : France)
Rafle de Marseille
Géolocalisation sur la carte : Marseille
(Voir situation sur carte : Marseille)
Rafle de Marseille

La rafle de Marseille s’est déroulée dans le Vieux-Port les 22, 23 et . Accompagnés de la police nationale, dirigée par René Bousquet, les Allemands organisent alors une rafle de près de 6 000 personnes. 1 642 personnes sont déportées, dont 782 Juifs (3 977 personnes sont relâchées)[1]. Le quartier est vidé de ses habitants avant destruction : environ 20 000 personnes sont évacuées de leur logement[2],[3]. Le général SS Carl Oberg, responsable de la police allemande en France, fait le voyage depuis Paris, et transmet à Bousquet les consignes venant de Heinrich Himmler.

Contexte historique[modifier | modifier le code]

À la suite de l'invasion allemande de la zone libre (opération Anton), les troupes allemandes occupent Marseille à partir du . Plusieurs attentats touchent les forces allemandes, dont deux attentats le tuant des officiers et soldats allemands[4]. Des opérations de représailles sont décidées par l'autorité allemande, et confirmées par la directive secrète de Heinrich Himmler du [4] imposant :

  • l'arrestation des criminels de Marseille et leur déportation vers l'Allemagne, avec « un chiffre rond de 8 000 personnes[5] environ » ;
  • la destruction du « quartier criminel » ;
  • la participation de la police française et de la « garde mobile de réserve » à ces opérations.

L’opération allemande vise à remodeler le quartier du Vieux-Port, dont les ruelles sont considérées comme dangereuses par les autorités allemandes. En outre, selon les consignes d’Himmler, la population raflée doit être évacuée vers des camps de concentration de la zone nord (particulièrement à Compiègne), tandis que le quartier doit être fouillé par la police allemande, aidée de ses homologues français, puis les immeubles dynamités.

Déroulement de la rafle[modifier | modifier le code]

Évacuation du Vieux-Port.

Côté français, la rafle est placée sous l'autorité de René Bousquet, secrétaire général de la police du régime de Vichy, Antoine Lemoine, préfet régional de Marseille, et Maurice de Rodellec du Porzic, intendant de police de Marseille (directeur des services de police de la ville de Marseille depuis le ).

Côté allemand, la rafle est encadrée par Carl Oberg (chef supérieur de la SS et de la Police pour la France), Bernhard Griese (SS et policier régulier allemand), Rolf Mühler (chef du commandement de la police de sécurité et de sûreté) et Hans-Gustav Felber (Wehrmacht).

Mandaté par Laval, René Bousquet demande le un répit d’une semaine afin de mieux organiser l’opération et de faire venir des renforts policiers. De plus, alors que les nazis se préparaient à se cantonner aux limites du 1er arrondissement, Bousquet propose d’élargir l’opération à toute la ville. Selon l’historien Maurice Rajsfus, il demande ainsi la complète liberté d’agir pour la police française, qu’il obtient de Carl Oberg.

Selon l’historien Jacques Delarue, deux cents inspecteurs venus de Paris et ailleurs, quinze compagnies de GMR et des escadrons de gendarmerie et de gardes mobiles sont descendus à Marseille. En tout, « douze mille policiers environ se trouvaient concentrés à Marseille »[6]. Le , le Vieux-Port est complètement bouclé. La ville est fouillée maison par maison, mis à part les quartiers résidentiels, durant 36 heures. « Au total, à la suite des dizaines de milliers de contrôles, près de 2 000 Marseillais […] se retrouveront dans les trains de la mort. » écrit ainsi Maurice Rajsfus. 1 500 immeubles sont détruits.

Bilan humain de l'opération « Tiger » (estimations) : 1 642 transferts vers le camp de Royallieu à Compiègne le . Le 10 mars 1943, 786 Juifs (dont 570 de nationalité française) sont envoyés au camp de Drancy puis déportés à Sobibor (Convoi 52 et 53 des 23 et 25 mars 1943 : aucun survivant pour le convoi du 23 mars et 5 pour le convoi du 25 mars)[7]. 600 « suspects » sont déportés à Sachsenhausen.

La préfecture des Bouches-du-Rhône publie un communiqué le  :

« Pour des raisons d’ordre militaire et afin de garantir la sécurité de la population, les autorités militaires allemandes ont notifié à l’administration française l’ordre de procéder immédiatement à l’évacuation du quartier nord du Vieux-Port. Pour des motifs de sécurité intérieure, l’administration française avait, de son côté, décidé d’effectuer une vaste opération de police afin de débarrasser Marseille de certains éléments dont l’activité faisait peser de grands risques sur la population. L’administration française s’est efforcée d’éviter que puissent être confondues ces deux opérations. De très importantes forces de police ont procédé dans la ville à de multiples perquisitions. Des quartiers entiers ont été cernés et des vérifications d’identité ont été faites. Plus de 6 000 individus ont été arrêtés et 40 000 identités ont été vérifiées[8]. »

Le Petit Marseillais du ajoute :

« Précisons que les opérations d’évacuation du quartier nord du Vieux-Port ont été effectuées exclusivement par la police française et qu’elles n’ont donné lieu à aucun incident[8]. »

Pendant la rafle, René Bousquet (en col de fourrure, le 2e en partant de la droite) entouré par, de gauche à droite, Bernhard Griese (en manteau de cuir), Antoine Lemoine, Rolf Mühler (derrière Lemoine) et Pierre Barraud, à l'hôtel de ville de Marseille le [9].

Une photo, prise lors de cette opération et connue depuis le début des années 1970, montre Bousquet souriant, posant en compagnie du SS-Sturmbannführer Bernhard Griese, de Rolf Mühler, chef local de la SiPo et du SD, d'Antoine Lemoine, préfet régional et de Pierre Barraud, préfet délégué à l’administration préfectorale de Marseille[10].

Les et , la rafle s'est étendue au quartier de l'Opéra où vivaient de nombreuses familles juives, en raison de la proximité avec la grande synagogue de la rue Breteuil. Deux cent cinquante familles ont été raflées, tôt le matin, avec une brutalité inouïe, les gens emmenés dans la tenue dans laquelle ils étaient au moment où les policiers ont franchi la porte, sans bagage ni objet personnel ; les familles ont été séparées dès le moment de l'arrestation, et ne se sont jamais retrouvées. Ce quartier était aussi celui de la pègre et du grand banditisme, dont les truands employés par la Gestapo, ce qui peut expliquer la violence des sbires.

Jacques Delarue, un jeune gardien de la paix assiste à l'évacuation et témoigne : « Le spectacle de ces familles, soudain misérables, avait quelque chose de vraiment poignant. Les vieillards et les enfants pleuraient et grelottaient dans le matin glacial. Tout ce monde, surchargé de paquets hétéroclites s'interpellait, interrogeait les agents, cherchant à comprendre les causes du malheur qui les frappait si brutalement[5] ».

Images de la rafle[modifier | modifier le code]

Images de la réunion préparatoire du 23 janvier 1943 à la Mairie[modifier | modifier le code]

Images de la déportation à la gare d'Arenc[modifier | modifier le code]

Images de la montée dans les wagons à la gare d'Arenc[modifier | modifier le code]

La destruction du quartier nord du Vieux-Port[modifier | modifier le code]

Destruction du quartier du Vieux-Port janvier 1943
Destruction des immeubles.
Avant le dynamitage vue depuis le pont transbordeur.

À la suite de la rafle, à partir du , les troupes du génie allemand interviennent. Ils détruisent à l'explosif 1 200 immeubles, tout le quartier, soit l'équivalent de 14 hectares qui sont réduits en poussières et en gravats[5].

Louis Gillet écrit le dans la revue municipale[4] :

« Suburre obscène, un des cloaques les plus impurs, où s'amasse l'écume de la Méditerranée […] C'est l'empire du péché et de la mort. Ces quartiers patriciens abandonnés à la canaille, la misère et la honte, quel moyen de les vider de leur pus et les régénérer. »

L'aménagement du quartier s'étendant sur la rive nord du Vieux-Port est critiqué dès le XVIIIe siècle[réf. nécessaire]. Plusieurs projets de rénovation ont été ébauchés au fil des siècles. Durant la guerre, un plan d’urbanisme est préparé par des architectes acquis à la cause de la « Révolution nationale » mise en œuvre par le régime de Vichy. Les premiers travaux ont débuté à l'automne 1942. Précédemment, déjà, un quartier entier avait été rasé au début du XXe siècle, le « terrain de derrière la Bourse », laissé à l'état de terrain vague pendant cinquante ans. Dans le cas du quartier du Vieux-Port, la reconstruction n'a été achevée qu'en 1956. Les motivations d'assainissement et d'urbanisme ont servi à masquer une gigantesque entreprise de spoliation et de spéculation.

Suites[modifier | modifier le code]

À la Libération[modifier | modifier le code]

Maurice de Rodellec du Porzic, officier de marine et intendant de police de Marseille (directeur des services de police de la ville de Marseille depuis le ) est arrêté à la Libération pour sa participation à la destruction du vieux port et aux rafles de . Libéré le , il est réintégré dans la Marine comme officier en , avec pleine reconnaissance de ses droits à la retraite[11]. Un de ses fils, Ivan de Rodellec du Porzic, engagé dans la Légion des volontaires français contre le bolchevisme (LVF) a disparu sur le front de l'Est.

Crime contre l'humanité[modifier | modifier le code]

La justice française via le pôle du parquet de Paris ouvre un dossier pour crime contre l'humanité le [12],[13].

Stèle commémorant la rafle de Marseille des 22, 23 et 24 janvier 1943 érigée dans le jardin de l'Église Notre-Dame-des-Accoules

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. « Janvier 1943, les rafles de Marseille », sur jewishtraces.org, (consulté le ).
  2. « A Marseille, la rafle oubliée du Vieux-Port », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  3. Chloé Leprince, « Rafle à Marseille en 1943 : un quartier rasé et le petit rire de Pétain », France Culture,‎ (lire en ligne, consulté le )
  4. a b et c Follorou et Nouzille, Les Parrains corses, 2004, p. 47-48.
  5. a b et c David Korn-Brzoza, « La police de Vichy », France 3,‎ (lire en ligne [vidéo], consulté le )
  6. Delarue 1971, p. 262.
  7. « Les rafles de janvier 1943 », sur ares-assoc.net (consulté le )
  8. a et b Rajsfus 1995, p. 213.
  9. (en) Donna F. Ryan, The Holocaust & the Jews of Marseille: The Enforcement of Anti-Semitic Policies in Vichy France, Urbana, University of Illinois Press, 1996, planche suivant la p. 180 (ISBN 978-0-252-06530-9).
  10. Rajsfus 1995, p. 215.
  11. Société des Membres de la Légion d'Honneur Finistère Nord.
  12. AFP, « La justice enquête pour «crimes contre l’humanité» sur une rafle de 1943 à Marseille », Le Figaro,‎ (lire en ligne)
  13. Jean-Baptiste Mouttet, « Marseille, 1943: autopsie d’un crime contre les quartiers populaires | Panoramiques », sur Mediapart (consulté le )

Annexes[modifier | modifier le code]

Sur les autres projets Wikimedia :

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Le Patriote résistant, nos 578 et 579, .
  • Jacques Delarue, Trafics et crimes sous l’Occupation, Le Livre de poche, .
  • Gérard Guicheteau, Marseille 1943, la fin du Vieux-Port, éditions Le Provençal, 1973.
  • Ahlrich Meyer, Marseille 1942-1944. Le regard de l’occupant, photographies de propagande de la Wehrmacht (édition bilingue), Bremen, Éditions Temmen, 1999.
  • Robert Mencherini (dir.), Provence-Auschwitz. De l’internement des étrangers à la déportation des Juifs 1939-1944, Aix-en-Provence, éd. PUP, 2007.
  • Christian Oppetit (dir.), Marseille, Vichy et les nazis, Marseille, Amicale des déportés d’Auschwitz et des camps de Haute-Silésie, 1993.
  • Maurice Rajsfus, La Police de Vichy : Les forces de l’ordre françaises au service de la Gestapo, 1940/44, Le Cherche midi, .
  • Anne Sportiolo, « Le Vieux-Port de Marseille », L'Histoire, no 16, .
  • Jean Contrucci, Histoire de Marseille illustrée, Le Pérégrinateur éditeur, 2007.
  • Renée Dray-Bensousan, Les Juifs à Marseille 1939-1944, Éditions les Belles Lettres, 2004.
  • Maurice Gouiran, Train Bleu, Train Noir, Éditions Jigal, .
  • Donna F. Ryan - The Holocaust & the Jews of Marseille: the enforcement of anti-Semitic policies in Vichy France. University of Illinois Press (). (ISBN 0252065301 et 978-0252065309)

Filmographie[modifier | modifier le code]

  • Marseille, , Opération Sultan, documentaire de Jean-Pierre Carlon, France 3 Méditerranée–Productions du Lagon, 2004, 52 min.
  • Et le Vieux Port fut condamné, docufiction TV de Jean Dasque, ORTF, 1973, 48 min.

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Lien externe[modifier | modifier le code]