Sœurs Mirabal — Wikipédia

Les sœurs Mirabal, Patria, Minerva et María Teresa, sont héroïnes et martyres de la lutte contre le dictateur Rafael Trujillo, qui dirige la République dominicaine de 1930 à 1961 assassinées le le 25 novembre 1960. On les surnommait aussi les sœurs « Mariposas » (Papillons).

Introduction[modifier | modifier le code]

Filles de Mercedes Reyes Camilo dite « Chea » et d'Enrique Mirabal, de riches commerçants dominicains, elles sont nées à Ojo de Agua, dans la commune de Salcedo, qui appartenait alors à la province d'Espaillat. Patria Mercedes, l'aînée, est née le , peu de temps avant que les troupes interventionnistes des États-Unis ne quittent le pays, la seconde fut baptisée María Argentina Minerva, née le , et la troisième, Antonia María Teresa, a vu le jour le .

Elles ont effectué leurs études primaires à Ojo de Agua. Plus tard, en 1938, Patria, Minerva et leur seconde sœur, Bélgica Adela dite « Dedé » (née le , décédée le ), sont parties étudier au collège de la Inmaculada Concepción, à La Vega. María Teresa âgée d'à peine trois ans, resta à la maison. Des quatre sœurs, Minerva (comme en témoignent ceux qui l'ont connue dès l'enfance) avait une intelligence prodigieuse et une sensibilité spirituelle remarquable. Elle dévorait les livres sur la littérature et la poésie et sur son temps libre, s'exerçait à la peinture. Les quatre sœurs Mirabal étaient très belles, mais la beauté de Minerva était légendaire. Dans le collège où elle étudia, et où elle fut diplômée avec des notes excellentes en 1946, elle prit part à diverses œuvres théâtrales ainsi qu'à d'autres activités culturelles où elle se plaisait à prendre la parole. Elle deviendra la première femme Doctorante en droit du pays en 1957[1][réf. à confirmer].

Le tournant de leur destin[modifier | modifier le code]

En , Minerva et ses parents sont invités par les autorités provinciales à une fête à Santiago, au Palais du Gouvernement, en l'honneur du dictateur Trujillo. C'est le début d'un tournant tragique pour toute la famille : Trujillo est attiré par la beauté de Minerva Mirabal[2]. À ce moment, elle fréquentait déjà un jeune dirigeant communiste du nom de Pericles Franco, un des fondateurs du Parti socialiste populaire, incarcéré plusieurs fois pour raisons politiques, et avec lequel elle entretenait une amitié tellement intime que beaucoup soupçonnaient que la relation était plus qu'amicale. Peu de temps après que Trujillo a posé ses yeux sur Minerva, la famille Mirabal reçoit de nouveau, vers la mi-août, une autre invitation du gouvernement, à l'inauguration de l'hôtel Montaña, à Jarabacoa. À cette occasion le dictateur et son fils, Ramfis, dansent avec Minerva. Trujillo lui manifeste alors son attirance, conduite qui déplaît fortement à la jeune fille.

Le , Trujillo organise une nouvelle fête à laquelle il invite à nouveau la famille Mirabal, la fête devant se dérouler à Villa Borinquen, maison de campagne du tyran située dans les alentours de San Cristóbal. L'invitation est apportée à la famille, par le Gouverneur de Moca en personne, Antonio De La Maza et le Sénateur de la province, Juan B. Rojas, signal clair de l'intérêt que portait Trujillo à Minerva. La mère de celle-ci s'oppose à ce qu'elle s'y rende, mais après avoir examiné les implications d'un tel refus, la famille décide d'y aller en groupe : la mère, le père et outre Patria, Minerva et Dedé, les conjoints respectifs de la première et de la troisième, Pedro González et Jaime Fernández. Nouvelle tentative de Trujillo et nouveau refus de Minerva, qui demande cette fois-ci de laisser aussi tranquille le jeune Pericles Franco, demande qui ennuya profondément le dictateur. Mais le pire est que, après cet incident, la famille tout entière s'enfuit précipitamment, déclenchant inexorablement la colère du dictateur, qui vit en cet acte une attitude irrévérencieuse envers sa personne.

Quelques jours plus tard, Enrique Mirabal, qui sur le conseil du gouverneur de Moca, avait envoyé un télégramme d'excuse à Trujillo, est arrêté et conduit en prison. Un peu plus tard, Minerva est arrêtée ainsi que plusieurs de ses amies : Enma Rodríguez, Violeta Martínez et Brunilda Soñé. Les prisonnières sont interrogées pendant plusieurs semaines sur les supposées relations de Minerva avec des membres du Parti Socialiste Populaire, et particulièrement, avec le dirigeant communiste Pericles Franco. À partir de ce moment, la famille Mirabal, mais surtout Minerva et son entourage, sont sous étroite surveillance, et Trujillo est informé en permanence de toutes ses activités. Le père est soumis à des humiliations graves et à des incarcérations et brutalités menant à la fragilisation de son cœur, puis son décès[3].

Naissance du mouvement antitrujillista[modifier | modifier le code]

Minerva, en vacances à Jarabacoa en 1954, rencontre Manuel Aurelio Tavares Justo dit « Manolo », étudiant de droit, qu'elle épouse en novembre de l'année suivante, malgré les pressions de Trujillo. Sa sœur María Teresa épouse Leandro Guzmán, un étudiant de la même université.

Le climat social de la fin des années 1950 était particulier en l'Amérique latine, à la suite des chutes successives :

Ces renversements ont ouvert les vannes de la démocratie dans ces pays, et levé l'espoir de changements profonds sur tout le continent.

La République dominicaine n'a pas échappé à cette réalité. Et il n'est pas accidentel qu'en janvier 1959 lors d'une réunion familiale dans la résidence de Guido D'Alessandro, neveu de Manolo, on trouvât aussi Minerva, María Teresa, Leandro Guzmán et d'autres, passant en revue la situation politique dans les Caraïbes, et très particulièrement la situation cubaine après le triomphe de Castro, l'héroïne examina pour la première fois la possibilité d'organiser un mouvement pour évincer Trujillo du pouvoir.

D'autre part, l'expédition armée du 14 juin en provenance de Cuba, écrasée par la dictature, influença profondément la conscience de la jeunesse dominicaine, à tel point que le nouveau mouvement politique antitrujillista choisit de s'appeler "Mouvement du ". Son assemblée constitutive à Mao le , dans l'hacienda de Conrado Bogaert, regroupa des délégués de nombreux pays, mais seulement deux femmes : Minerva et Dulce María Tejada Gómez. Minerva participa activement en intervenant à plusieurs occasions. Pour présider le Mouvement du 14-Juin, furent choisis : Manolo Tavares Justo, président, Pipe Faxas, secrétaire général et l'ingénieur Leandro Guzmán, comme trésorier.

Fin du Mouvement du 14-Juin[modifier | modifier le code]

Mais quelques jours après le succès de l'Assemblée de Mao, les membres du Mouvement du 14-Juin furent quasi tous dénoncés aux services secrets du tyran Trujillo. L'action des agents répressifs fut immédiate. À la fin de ce même mois de janvier, plus d'une centaine de membres avaient été arrêtés et emprisonnés, subissant des tortures incroyables en prison où beaucoup perdirent la vie. En plus de Minerva, furent saisies simultanément d'autres femmes dont Tomasina Cabral, Fe Violette Gélinotte, Miriam Morales et Asela Morel.

Il est important de signaler que la majorité des personnes arrêtées étaient de la bourgeoisie, dont certaines des familles avaient des liens très étroits avec Trujillo et ses proches, ce qui créa un climat de tension nationale suprêmement défavorable au gouvernement. Ainsi, même l'Église catholique, après avoir soutenu le tyran pendant une trentaine d'années mais sentant le vent tourner, se mit à le dénoncer publiquement et condamna son action, au moyen d'une lettre pastorale. Une telle situation obligea, apparemment, Trujillo à remettre en liberté les femmes détenues, le , et le mois suivant, des dizaines de jeunes hommes qui avaient été emprisonnés sous de simples soupçons. Toutefois, Tavares Justo, Leandro Guzmán, Pedro González (qui avait épousé Patria Mercedes Mirabal auparavant), et les autres dirigeants d'importance du mouvement, restèrent emprisonnés.

Mais ensuite, la dictature bascula dans une phase répressive générale proche de la folie (en ces jours Trujillo ordonna l'assassinat de Rómulo Betancourt, Président du Venezuela). En , l'Organisation des États américains (OEA), en réunion de Chanceliers, à San José au Costa Rica, condamna le gouvernement dominicain à des sanctions économiques, pour la tentative d'assassinat du président du Venezuela. En même temps, il fut décidé qu'une commission de cet organisme international visiterait la République dominicaine pour établir un rapport sur la situation du pays.

Assassinat des Sœurs Mirabal[modifier | modifier le code]

Lors des visites hebdomadaires à leurs maris respectifs, Manolo et Leandro, à la prison de Puerto Plata, les sœurs Mirabal évoquèrent le fait que des bruits circulaient, à Salcedo, sur la possibilité qu'elles pourraient être les victimes d'un « accident de la route », un classique qu'utilisait le régime quand il ordonnait la disparition d'un adversaire important, avec l'intention de dissimuler le crime. Ce qui préoccupa fortement les dirigeants du Mouvement du 14-Juin, et Manolo suggéra alors que cessent les voyages, et qu'elles restent à Puerto Plata, pour éviter de transiter par la route.

Mais cette recommandation arriva trop tard. L'assassinat des sœurs Mirabal avait déjà été ordonné et les exécuteurs se trouvaient déjà à Puerto Plata : Ciríaco de la Rosa, Ramón Emilio Rojas Lora, Alfonso Cruz Valerio et Emilio Estraba Malleta, tous membres du Servicio de Inteligencia Militar de Trujillo. Le dernier, Emilio, d'origine cubaine, avait rendu les mêmes services à la dictature de Batista.

Le , Patria, Minerva et María Tereza Mirabal quittèrent Puerto Plata à bord d'une jeep, en direction de leur maison, mais elles furent arrêtées par un autre véhicule à coups de rafales de balles. Amenées loin de la route, dans un endroit discret, elles furent assassinées à la machette. Leur chauffeur, Rufino de La Cruz, perdit lui aussi la vie. Leurs cadavres furent replacés dans la jeep qui les transportait, pour être ensuite jetés du haut d'un précipice qui bordait la route[4].

De nos jours[modifier | modifier le code]

Plaque commémorative, située au 2 rue de Prony à Paris.
  • Un musée en leur mémoire est situé à Ojo de Agua, Salcedo.
  • Un billet de 200 pesos imprimé et distribué depuis 2007 porte l'effigie des trois sœurs assassinées.
  • Un téléfilm a été réalisé en 2001, In the Time of the Butterflies par Mariano Barroso basé sur la biographie de Julia Alvarez, avec entre autres Salma Hayek et Edward James Olmos.
  • Le , par sa résolution 54/134, l'Assemblée générale des Nations unies a proclamé le Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, et a invité les gouvernements, les organisations internationales et les organisations non gouvernementales à organiser ce jour-là des activités conçues pour sensibiliser l'opinion au problème. Les militants en faveur des droits des femmes ont choisi en 1981 la date du comme journée de lutte contre la violence, en mémoire des trois sœurs Mirabal, militantes dominicaines brutalement assassinées sur les ordres du chef de l'État, Rafael Trujillo[5].
  • Le 21 novembre 2007, par décision de la Chambre des députés des la République dominicaine, leur province natale de Salcedo prend le nom d'Hermanas Mirabal (« Sœurs Mirabal » en français) en hommage aux sœurs Mirabal, qui ont fait le sacrifice ultime pour leur pays en abandonnant une vie privilégiée pour lutter contre le puissant dictateur dominicain, Rafael Trujillo[6],[7].

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Essais et biographies[modifier | modifier le code]

  • Julia Alvarez, Au Temps des papillons (éd. Métailié, traduit de l'anglais par Daniel Lemoine).
  • Elena Favilli, Francesca Cavallo, Jessica Shapiro (trad). Histoire du soir pour filles rebelles. 100 destins de femmes extraordinaires.Les Arènes, 2019 - (ISBN 978-2-35204-678-3). p.146.
  • Ludivine Tomasso et Jean Albert, Le 25 novembre, non à la violence contre les femmes, (lire en ligne)
  • « Las Mariposas », dans Pénélope Bagieu, Culottées 1 - Des femmes qui ne font que ce qu'elles veulent, Gallimard, (ISBN 9782070601387) (bande dessinée)

Romans[modifier | modifier le code]

  • Élise Fontenaille, Les trois sœurs et le dictateur[8], collection DoAdo, Rouergue, 2013 - roman jeunesse

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Pénélope Bagieu, Culottées : des femmes qui ne font que ce qu'elles veulent. 1 (ISBN 978-2-07-060138-7 et 2-07-060138-2, OCLC 960192089, lire en ligne)
  2. Lise Joannes, « Las Mariposas / Les sœurs Mirabal », sur 4.ac-nancy-metz.fr (consulté le )
  3. Swali Guillemant, « Las Mariposas : les sœurs Mirabal qui luttèrent contre la dictature », sur cultea.fr, (consulté le )
  4. « Les sœurs Mirabal, opposantes à la dictature », sur histoireparlesfemmes.com, (consulté le )
  5. Malika El Kettani, « Les sœurs Mirabal et la violence à l’égard des femmes », Le courrier de l'Atlas : l'actualité du Maghreb en Europe,‎ (lire en ligne, consulté le )
  6. (es) Cámara de Diputados de la República Dominicana, « Proyecto de Ley mediante el cual se modifica el nombre de la provincia Salcedo a provincia Hermanas Mirabal » [PDF] (consulté le )
  7. (es) Diario Libre, « Provincia Salcedo pasa a llamarse "Hermanas Mirabal" » [archive du ] (consulté le )
  8. « Interviews des lauréats du Prix NRP 2014-2015 », sur nrp-college.nathan.fr (consulté le )

Liens externes[modifier | modifier le code]