Tazmamart — Wikipédia

Tazmamart
(ar) سجن تازمامرت
Image de l'établissement
Localisation
Pays Drapeau du Maroc Maroc
Coordonnées 32° 16′ 32″ nord, 4° 20′ 14″ ouest
Géolocalisation sur la carte : Maroc
(Voir situation sur carte : Maroc)
Tazmamart
Architecture et patrimoine
Construction
Démolition
Installations
Type prison
Fonctionnement
Date d'ouverture 1972
Date de fermeture 1991

Tazmamart (arabe : سجن تازمامرت), ou Tazmamert, était une prison secrète pour prisonniers politiques à l'est du Maroc dans l'Atlas. Réputée pour ses conditions d'incarcération inhumaines, elle se trouvait dans une zone désertique près d'Er-Rich, entre Errachidia et Midelt, dans la région de Meknès-Tafilalet.

Surnommée « l'Alcatraz marocain », on raconte qu'il était impossible de s'en évader à cause du désert très aride qui l'entourait. La ville la plus proche, Errachidia, se trouvait à 50 km. Entre 1972 et 1991, sous les ordres de Hassan II, Tazmamart est devenue un symbole d'oppression dans l'histoire politique du Maroc contemporain durant les années de plomb, entre le début des années 1970 jusqu'à la fin des années 1990.

D’après les rescapés de cette prison, son directeur s’appelait Mohamed el Kadi. Ce dernier n’a jamais été jugé ni même entendu pour ce qu’il a fait subir et infligé aux détenus.

Histoire[modifier | modifier le code]

La prison de Tazmamart fut construite entre 1972[1] et 1973, juste après le coup d'état de Skhirat contre le roi Hassan II du Maroc, le , ainsi que l'échec de la tentative du général Oufkir dans le seconde tentative de coup d'État militaire contre Hassan II, connue sous le nom « coup d'État des aviateurs », le . À la suite de dernière tentative de putsh, 58 officiers et sous-officiers des Forces armées royales furent envoyés à la prison centrale de Kénitra avant de rejoindre plus tard à Tazmamart.

Durant les années 1980, des allégations surgirent sur l'existence d'une prison appelée « Tazmamart ». Les autorités marocaines (makhzen) nièrent l'ensemble de ces allégations. Il fallut attendre jusqu'en 1990, avec la publication du livre Notre ami le roi par le journaliste et écrivain français Gilles Perrault, pour que le sujet atteigne un niveau politique.

Le , sous la pression des témoignages publics de Christine Daure-Serfaty (écrivaine française et veuve d'Abraham Serfaty qui s'est illustrée pour la défense des droits des victimes du roi Hassan II durant les années de plomb), Abdelkader Ababou (frère des colonels Ababou, à ne pas confondre avec son homonyme artiste de théâtre[2], cf. « Famille Ababou »), Abdelghani Ababou (fils du lieutenant colonel Mohamed Ababou) ou encore de la famille Manouzi[3], soutenus par des groupes internationaux de défense des droits de l'Homme, le roi Hassan II décida de fermer la prison et de relâcher les derniers détenus. Certains s'enfuirent à l'étranger, d'autres restèrent au Maroc, mais furent dissuadés d'aborder publiquement leur expérience de Tazmamart[4].

L'Instance équité et réconciliation (IER), organisme marocain mis en place le 12 avril 2004 par le roi Mohammed VI, qui a pour but de réconcilier le peuple marocain avec son passé durant les années de plomb sous le règne du roi Hassan II, finit d'établir les faits et de fournir reconnaissance ainsi que réparations aux familles des victimes dans le cadre d'un mouvement plus large d'ouverture politique et d'apaisement des mémoires voulu par le nouveau souverain (limogeage de Driss el Basri, retour de la famille Ben Barka[5]...).

Conditions de détention[modifier | modifier le code]

La durée des peines infligées n'a jamais été respectée et les détenus y étaient en principe enfermés jusqu'à leur mort. Selon d'anciens détenus et associations de droits de l'homme, les conditions de détention à Tazmamart étaient extrêmement dures. Y sévissaient torture et mauvais traitements, les conditions effroyables de vie dans la prison étaient les plus grandes menaces sur la vie des détenus.

Les prisonniers étaient enfermés 24 heures sur 24 dans des cellules étroites, sans lumière, avec peu de protection contre la chaleur ou le froid. Il n'y avait pas de traitement contre les dommages causés par la torture ou les maladies (type tuberculose). Les rations de nourriture étaient minimales. Les contacts n'étaient pas permis. Il y eut aussi des allégations d'exécutions[6]. En tout, 35 prisonniers décédèrent, soit plus de la moitié des personnes incarcérées à Tazmamart durant les dix-huit ans d'existence du bagne[7], avant que la prison soit finalement fermée en 1991.

Révélations publiques par d'anciens détenus[modifier | modifier le code]

Certains des anciens détenus de Tazmamart ont écrit des livres sur leur détention, de dix-huit ans :

  • Ahmed Marzouki décrit dans son livre Tazmamart, Cellule 10, l'un des plus gros succès d'édition que le Maroc ait jamais connus[8], les conditions terribles de sa détention. Il a repris son témoignage dans une émission à la chaîne Al Jazeera en 2009.
  • Ali Bourequat, Dans les jardins secrets du roi du Maroc.
  • Midhat Bourequat, Mort vivant.
  • en 2004, Salah et Aïda Hachad ont également rédigé, avec l'aide d'Abdelhak Serhane, leurs mémoires dans un ouvrage intitulé Kabazal, les Emmurés de Tazmamart : Mémoires de Salah et Aïda Hachad, où ils font le récit de leur combat à l'intérieur et à l'extérieur de Tazmamart[9] (voir le roman de Tahar Ben Jelloun).
  • en 2000, Mohamed Raiss a publié en arabe, au Maroc, le récit de son expérience au bagne de Tazmamart.
  • en 2011, la version française des mémoires de Mohamed Raiss sur Tazmamart a paru sous le titre « De Skhirat à Tazmamart - Retour du bout de l'Enfer » (Éditions Afrique Orient, Casablanca).

Les cinquante-huit bagnards de Tazmamart[modifier | modifier le code]

Bâtiment Cellule Nom Grade Peine Remarque
1[8]
1 Benaïssa Rachdi Sergent 3 ans Décédé le .
2 Mohamed Lghalou Lieutenant 20 ans Décédé le .
3 Abdellatif Belkébir Capitaine 4 ans
4 Abdelali Moudine Sefrioui Lieutenant 5 ans
5 Abdellah Aaguaou Sergent 3 ans
6 Tigani Benradouane Lieutenant 5 ans Décédé le .
7 Mohamed Sajjâi Sergent 3 ans Décédé le .
8 Mohamed Afyaoui 3 ans
9 Adeblkarim Saoudi Sous–lieutenant 4 ans
10 Ahmed Marzouki (Marzak) Sous-lieutenant 5 ans
11 Driss Chberreq Sous-lieutenant 3 ans
12 Mohamed Al Zemmouri Lieutenant 20 ans
13 Ahmed Bouhida Sergent 3 ans
14 Mohamed Raïss Aspirant Perpétuité
15 M’barek Touil Lieutenant 20 ans
16 Mohamed Monsit Lieutenant 12 ans
17 Jamel Bezzazi Capitaine 10 ans
18 Moufaddal Magouti Adjudant-chef 20 ans
19 Abderrahman Sedki Sous-lieutenant 3 ans
20 Lahssen Ousséad Sergent 3 ans
21 Larbi Aziane Sergent 3 ans Décédé le . Cette cellule a été occupée par le sergent chef Driss Dghoughi, venu du deuxième bâtiment en 1981.
22 Akka Majdoub Sergent 3 ans
23 Jilali Dik Adjudant–chef 5 ans Décédé le .
24 Mohamed Bouamalat Sergent 3 ans
25 Mohamed Moujahid Sous-lieutenant 4 ans
26 Mimoune Al-Fagouri Sergent 3 ans Suicidé le .
27 Mohamed Ghalloul Capitaine 5 ans
28 Moha Betty Sergent 3 ans décédé en .
29 Salah Hachad Capitaine 20 ans
2[8] ... Akka Harrouch[10],[11],[12] Adjudant-chef Perpétuité ou 20 ans Tué le 23 juillet 1975 sur la plage de Témara après son évasion de la prison de Kénitra, et donc avant d'être envoyé à Tazmamart
Mohamed Chemsi Lieutenant 3 ans Première victime à Tazmamart, décédé le
30 Amarouch Kouiyen Adjudant 10 ans Décédé le .
44 M'hamed Boulmakoul Adjudant-chef 5 ans Décédé le .
45 Mahjoub lyakidi Sous-lieutenant 20 ans Décédé le , le même jour que l’adjudant Amarouch.
46 Abdelkarim Chaoui Sergent 3 ans Il a été transféré au bâtiment 1 en 1981 après l’arrivée des frères Bouriquat.
47 Ahmed Rijali Sergent 3 ans Il sera transféré au bâtiment 1 en 1981.
48 Mohamed Kinate Sergent 3 ans Décédé le .
49 Abdellah Fraoui Sergent 3ans Transféré au bâtiment 1 en 1981, il est retourné en 1983 où il est mort la même année.
50 Abdelaziz Daoudi Sous-lieutenant 18 ans
51 Thami Abousni Sergent 3 ans Décédé le .
52 Skiba Bouchaib Sergent 3 ans Décédé le .
53 Mohamed Abdessadki (Manolo) Sergent-chef 5 ans Décédé en 1983.
54 Lamine Rachid Adjudant-chef 3 ans Décédé en 1984.
55 Moha Boutou Sous-lieutenant 3 ans Décédé le .
56 Mohamed El Kouri Sous-lieutenant 12 ans Décédé le .
57 Driss Bahbah Sergent 3 ans Décédé en 1976.
58 Boujemaâ Azendour 5 ans Décédé en 1986.
59 Abdelaziz Binebine Sous-lieutenant 10 ans Condamné pour avoir participé à tentative de coup d'État de Skhirat, il y restera 18 années[13]
60 Abdessalam Haifi Lieutenant 20 ans Décédé en .
61 Abdelaziz Ababou Sergent-chef 5 ans Décédé le .
62 Abdessalam Rabhi Sergent 3 ans Décédé à la cellule 1 du bâtiment 1 le après avoir transféré du bâtiment 2 en .
63 Mohamed El Ayadi Adjudant 3 ans Décédé le .
64 Rabah El Battioui Sergent 3 ans Décédé le .
65 Kacem Kasraoui Sergent 3 ans Décédé le .
66 Allal Mouhaj Sergent 3 ans Décédé le .
67 Allal Al Hadane Sergent 3 ans Décédé dès les premières années de son incarcération.
68 Jamel Bezzazi Sergent-chef 3 ans
69 Ghani Achour Sergent-chef Perpétuité
70 Abdelhamid Ben Doro Capitaine 10 ans Dernière victime à Tazmamart, décédé le .

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Ali Bourequat (1998), Dans les jardins secrets du roi du Maroc, Maurice Publishers.
  • Ahmed Marzouki (2000), Tazmamart Cellule 10, Éditions Paris Méditerranée ; Casablanca : Tarik Éditions (ISBN 2070419916).
  • Tahar Ben Jelloun (2001), Cette aveuglante absence de lumière, Éditions du Seuil and New Press (ISBN 1565847237), roman inspiré de témoignages.
  • Christine Daure-Serfaty (2002), Tazmamart, Une prison de la mort au Maroc (ISBN 2234024722).
  • Liliane Dayot (1999), Maroc Amnésie Internationale [1], Éditions Paris Méditerranée.
  • Abdelhak Serhane, Salah et Aïda Hachad, Kabazal, Les Emmurés de Tazmamart : mémoires de Salah et Aïda Hachad, Tarik Éditions, Casablanca, 2004 (ISBN 9954-419-144).
  • Mohamed Raiss, De Skhirat à Tazmamart, Éditions Afrique Orient, Casablanca, 2011 (ISBN 9981-25-252-2).
  • Vivre à Tazmamart, film documentaire réalisé par Davy Zylberfajn, distribué par Cauri films en 2005.
  • Aziz Binebine : Tazmamort.

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. (en) Political Authority in Crisis: Mohammed VI's Morocco
  2. « Décès. Le dramaturge Abdelkader Ababou sera inhumé ce mardi », sur Le360.ma (consulté le )
  3. Christine Daure-Serfaty, Tazmamart: Une prison de la mort au Maroc, (Stock) réédition numérique FeniXX, (ISBN 978-2-7062-8092-4, lire en ligne)
  4. (en) Morocco Country Report on Human Rights Practices for 1997
  5. Encyclopædia Universalis, « 9-27 novembre 1999 - Maroc. Limogeage de Driss Basri et retour de la famille Ben Barka - Événement », sur Encyclopædia Universalis (consulté le )
  6. (en) Tazmamart: Fort-Militaire-Secret du Maroc. Conséquences d'un internement du 18 Années
  7. (en) HUMAN RIGHTS DEVELOPMENTS: Morocco
  8. a b et c Ahmed Marzouki : Tazmamart cellule 10
  9. Moroccan writer wins top prize
  10. Alain Martinet, Avocat, « El Manouzi Houcine » Accès libre [doc], sur maroc réalité, (consulté le )
  11. « Maroc: les familles réclament les corps des détenus morts à Tazmamart » Accès libre, sur Libération, publié le 15 mars 1996 à 2h42 (consulté le )
  12. Forum avec débats, « adjudant chef AKKA », ven 14 aoû 2009 - 0:58 début de conversation (consulté le )
  13. Biographie d'Aziz Binebine

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Marie Pierre, « Médias : Hassan II, Tazmamart et la télé française », Zamane, Casablanca, no 13,‎ , p. 92-95 (lire en ligne)

Lien externe[modifier | modifier le code]