Grande Roumanie historique — Wikipédia

Grande Roumanie
(ro) România Mare

1918–1940

Drapeau
Drapeau du royaume de Roumanie.
Blason
Armoiries du royaume de Roumanie (1921-1947).
Devise en latin : Nihil sine Deo (« Rien sans Dieu »)
Hymne Trăiască Regele
Description de l'image Romania1939physical.jpg.
Histoire et événements
1913 annexion de la Dobroudja du Sud
1918 union au Vieux Royaume de la Bessarabie, de la Bucovine, de la Transylvanie, du Maramureș, de la Crișana et du Banat
1920 ratification des traités reconnaissant ces rattachements
1940 démembrement au profit de l'URSS, de la Hongrie et de la Bulgarie.

La Grande Roumanie (România Mare) est le nom informel donné au royaume de Roumanie dans sa plus grande extension territoriale, soit 295 049 km2, pendant l'« entre-deux-guerres » qui sépare la Première Guerre mondiale de la Seconde Guerre mondiale.

Définitions[modifier | modifier le code]

La « Grande Roumanie » concrétise territorialement les aspirations à l'unité de tous les Roumains, formulées durant la renaissance culturelle roumaine à partir de la fin du XVIIIe siècle et réalisées par étapes au cours d'un processus d'unification politique et territoriale comparable à l'unité allemande ou à l'unité italienne, commencé en 1859 par l'union des principautés danubiennes et achevé le grâce à l'effondrement des Empires austro-hongrois et russe[1].

La « Grande Roumanie » est, en Roumanie, considérée comme l'aboutissement d'un processus d'émancipation des Roumains en tant que groupe social et linguistique, numériquement majoritaire sur ce territoire, mais auparavant socialement dominé et en grande partie soumis au servage durant des siècles : l'hymne officiel de la Roumanie est Deșteaptă-te, române! (« Éveille-toi, Roumain! »)[2].

En revanche, dans les États voisins, héritiers des Empires austro-hongrois et russe (respectivement la Hongrie et l'URSS) ou bien lésés par l'agrandissement de la Roumanie (Ukraine occidentale, Bulgarie) l'extension de l'État roumain est considérée comme une « occupation impérialiste » des territoires où leurs ressortissants étaient désormais minoritaires (mais localement majoritaires dans certaines régions comme le pays sicule). Ces états voisins revendiquèrent la restitution des territoires en question par le biais d'une « révision » des traités des années 1918-1920[3] (Versailles, Saint-Germain en Laye, Trianon et Neuilly), tous signés en France qui, pendant l'« entre-deux-guerres », fut la protectrice de la « Petite Entente » formée par la Roumanie, la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie[4],[5].

Connotations actuelles[modifier | modifier le code]

Ayant perdu des territoires après 1945, la Roumanie compte depuis lors 237 499 km2, soit 57 550 km2 de moins que la « Grande Roumanie ». La majeure partie du territoire perdu l'a été au profit de l'URSS et forme, depuis 1991, un deuxième état de langue et de culture roumaine, la république de Moldavie. Une partie, minoritaire, de ses habitants Roumains souhaiteraient une union politique des deux états pour reformer une « grande Roumanie » qui ne serait plus celle de l'« entre-deux-guerres » mais s'inscrirait dans leurs frontières actuelles[6] ; toutefois la majorité des Roumains s'accommode depuis trente ans de l'existence de deux états[7], mais dans un cadre de préférence européen, comme en témoignent les nombreuses manifestations de rue, les déclarations des dirigeants des deux pays, les relations entre la Moldavie et la Roumanie, les accords bilatéraux, les relations entre la Moldavie et l'Union européenne, l'accord d'association entre la Moldavie et l'Union européenne, l'eurorégion Siret-Prut-Nistre et plus récemment la procédure d'adhésion de la Moldavie à l'Union européenne[8],[9].

Dans les médias, le terme « grande Roumanie » est utilisé soit dans un sens historique et politiquement assez neutre, en référence à la période de l'« entre-deux-guerres », soit dans un sens nationaliste par des partis d'extrême droite comme le Parti de la Grande Roumanie (PRM) et la Nouvelle Droite (ND) formés par d'anciens apparatchiks anti-européens et pro-russes devenus identitaires et affiliés à des partis européens comme l'Union pour l'Europe des nations ou Identité et démocratie[10].

En roumain, les enseignants, les chercheurs, les politiques et plus particulièrement les géographes et les historiens préfèrent utiliser pour la Roumanie de l'« entre-deux-guerres » le terme de România întregită, dont l'équivalent français est approximativement le syntagme « Roumanie unitaire » ou « complète » (întregită signifie littéralement « complétée »). La « Roumanie complète » est plus petite que la « Grande Roumanie » historique car elle n'inclut pas la Dobroudja du Sud majoritairement peuplée de Turcs et de Bulgares, qui n'a pas rejoint la Roumanie de son plein gré et à l'issue d'un vote, comme les autres régions historiques de ce pays (principautés danubiennes, Bessarabie, Bucovine et Transylvanie, à majorité roumaine). En effet, la Dobroudja du Sud bulgare a été enlevée à la Bulgarie à l'issue d'une campagne militaire voulue en 1913 par l'état-major roumain, contre l'avis du Parlement, au détriment d'un pays jusque-là ami (Roumains et Bulgares avaient lutté ensemble pour leur indépendance lors de la guerre russo-turque de 1877-1878).

Constitution de la « Grande Roumanie »[modifier | modifier le code]

Le processus débuta par l'union en 1859, sous les auspices du Traité de Paris, des principautés roumaines de Valachie et de Moldavie occidentale (la Moldavie septentrionale ayant été annexée par l'Autriche en 1775 et nommée Bucovine, tandis que l'orientale avait été annexée par la Russie en 1812 et nommée Bessarabie). Cette première union forma ce qu'on a appelé en Roumanie le « Vieux Royaume », bien qu'initialement il se soit agi d'une principauté encore vassale de l'Empire ottoman (1859-1878) puis indépendante (1878) avant d'être érigée en royaume (1881), avec un territoire de 120 732 km2. Celui-ci est augmenté en 1913 (à l'issue de la deuxième guerre balkanique) des 7 412 km2 de la Dobroudja du Sud prise à la Bulgarie. Les Roumains du « Vieux Royaume » sont traditionnellement appelés Regățeni (« du royaume ») par différence des Ardeleni (« transylvains ») qui eux, étaient avant 1918 sujets du Kaiser austro-hongrois, et des Basarabeni (« bessarabiens »), sujets du Tzar de « toutes les Russies ».

En Bessarabie la République démocratique moldave (44 422 km2) a proclamé son indépendance vis-à-vis de la Russie le par un vote de son « Soviet du Pays » (Sfatul Țării, à majorité menchévique), puis voté son union avec la Roumanie le . La Bucovine, pays moldave devenu autrichien en 1775, vota son union avec la Roumanie le par un vote de son Conseil provincial. Enfin, en Transylvanie, une Proclamation de l'Union fut votée par les députés des Roumains de Transylvanie, du Maramureș, de la Crișanie et du Banat à Alba Iulia le (aujourd'hui fête nationale). Ainsi, fin 1918, grâce à l'effondrement de l'Empire russe et à la défaite des empires centraux à la fin de la Première Guerre mondiale, le royaume de Roumanie atteint 295 049 km2 : il est alors appelé « Grande Roumanie ». Lors de chacun de ces votes, certains représentants des populations non-roumaines s'opposèrent à l'union du territoire concerné avec la Roumanie, mais ils étaient minoritaires même au sein de leur groupe, notamment en raison de la peur du bolchevisme, qu'il fut hongrois ou russe[11].

L'union de la Bucovine et de la Bessarabie avec la Roumanie fut ratifiée à l'occasion de la Conférence de la Paix qui a abouti au traité de Versailles en 1919. Mais l'URSS ne reconnut pas ces traités et revendiqua la Bessarabie durant tout l'« entre-deux-guerres ». La Bucovine a vu sa décision reconnue par la ratification du traité de Saint-Germain. L'union de la Transylvanie, du Maramureș, de la Crișanie et du Banat avec le Vieux Royaume fut ratifiée par le traité de Trianon en 1920 qui reconnut la souveraineté de la Roumanie sur ces régions et confirma la frontière entre la nouvelle Hongrie indépendante et la Roumanie, tracée en 1919 par la commission internationale « Lord » où le géographe français Emmanuel de Martonne joua un rôle déterminant[12].

Population[modifier | modifier le code]

Le territoire de la « Grande Roumanie » historique est aujourd'hui partagé entre la Roumanie (80 %), la république de Moldavie (11 %), l'Ukraine (6 %) et la Bulgarie (3 %). Il comprend par ordre d'importance (de l'« entre-deux-guerres ») les villes de Bucarest, Chișinău, Constanța, Bălți, Cluj, Iași, Galați, Cernăuți, Sibiu, Timișoara, Brașov, Craiova, Ploiești, Arad, Pitești, Oradea, Tulcea, Bacău, Brăila, Silistra, Cetatea Albă, Suceava, Reni, Balcic

Sur ce territoire, la population se compose au XXIe siècle (recensements roumains, moldaves et ukrainiens) de Roumains/moldaves roumanophones (70,5 %), Magyars (7,5 %), Russes et Lipovènes (4,3 %), Ukrainiens, Ruthènes et Houtsoules (3,2 %), Roms (2,5 %), Allemands (2,1 %), Bulgares (2 %), Gagaouzes (2 %), Carashovènes, Croates et Serbes (1,6 %), Juifs (1 %), Turcs et Tatars (1 %), Grecs (0,5 %), Slovaques et Tchèques (0,3 %), Polonais (0,2 %), et autres (Arméniens, Albanais, Aroumains… ensemble 1,3 %).

Démantèlement[modifier | modifier le code]

La « Grande Roumanie » dure presque 22 ans. Le les Alliés garantissent ses frontières, mais le la France s'effondre et la Grande-Bretagne reste seule en lice, en position difficile. Une semaine plus tard l'URSS, alors liée à l'Allemagne nazie par le pacte Hitler-Staline, intime à la Roumanie un ultimatum de 48 heures pour évacuer les territoires de l'ex-République démocratique moldave et la moitié nord de la Bucovine, soit 50 135 km2 peuplés de 3 150 793 personnes (15 % du territoire et 16 % de la population roumaine) que l'Armée rouge envahit et occupe à partir du . L'ambassadeur allemand à Bucarest, Wilhelm Fabricius (de), ayant « vivement conseillé » au gouvernement roumain de céder. Deux mois après, le « diktat de Vienne » enjoint à la Roumanie de céder, le , la moitié nord de la Transylvanie à la Hongrie horthyste, soit 43 492 km2 peuplés de 2 603 589 personnes (14 % du territoire et 13 % de la population, dont 40 % sont, dans ce territoire, magyars). Enfin, les accords de Craiova signés le , restituent la Dobroudja du Sud à la Bulgarie, soit 7 412 km2 peuplés de 407 352 personnes (2,5 % du territoire et 2 % de la population)[13]. La Roumanie ne retrouvera jamais son territoire d'avant la Seconde Guerre mondiale, dont l'étendue n'a pu atteindre 295 049 km2 qu'en raison de l'effondrement, initialement imprévisible, de deux empires engagés dans des camps opposés durant la Première Guerre mondiale : l'Autriche-Hongrie et la Russie[14].

Atlas[modifier | modifier le code]

Références[modifier | modifier le code]

  1. Philippe Boulanger, Petre Otu, Şerban Filip Cioculescu, Cécile Folschweiller, Pierre-Louis Buzzi, Traian Sandu, Carl Bouchard, Frédéric Dallaire, Marie Hassler, Florin Ţurcanu, Catherine Horel, Octavian D. Țîcu, Blagovest Njagulov, Jean-Claude Dubois, François Lesavre, Jean-Noël Grandhomme et Patrice Lamy : « La naissance de la Grande Roumanie », in : Ana-Maria Gîrleanu-Guichard et Jean-Noël Grandhomme (dir.), Recherches n°29, 2022, [1] - [2].
  2. Recherches n°29, 2022.
  3. Dans un article intitulé La vérité, le mensonge et la loi : Paul Rateau, « La vérité, le mensonge et la loi », Les Temps Modernes, vol. n° 645-646, no 4,‎ , p. 26-58 (ISSN 0040-3075 et 2272-9356, DOI 10.3917/ltm.645.0026, lire en ligne, consulté le ), Paul Rateau soutient que, sous couvert de révision historique, peuvent se cacher des tentatives de falsification des faits. La diffusion dans l’espace public de ces récits « alternatifs », en réalité mensongers, tendent, selon Paul Rateau, à faire accepter ces derniers comme des opinions valables et respectables. Il écrit « si le menteur ne parvient pas à faire passer son mensonge pour la vérité, si la mystification échoue, il cherchera au moins à le faire reconnaître comme une position, une interprétation, un point de vue particulier, soutenables et défendables au nom de la liberté d’opinion et d’expression. »
  4. Matthieu Boisdron, « La France et le pacte d'assistance mutuelle de la Petite Entente (juin 1936-avril 1937) », pages 283-305 dans Krisztián Bene et Eva Oszetzky (dir.), Újlatin kultúrák vonzásában - Újlatin filológia n° 5, éd. Pécsi Tudományegyetem, Francia Tanszék (« Université de Pécs, Département de français) » 2012 - [3]
  5. Jean-Philippe Namont, « La Petite Entente, un moyen d’intégration de l’Europe centrale » dans le Bulletin de l’Institut Pierre Renouvin n° 30 de l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne, octobre 2009 - [4].
  6. Nicolas Trifon, « La Langue roumaine au cœur de la problématique de reconstruction nationale de la république de Moldavie », in Wanda Dressler (éd.), Le Second Printemps des nations, p. 257-281, Bruylant, Bruxelles, 1999 ; « Retour sur une trouvaille stalinienne, la langue moldave », dans Au sud de l'Est n° 3, éd. Non-lieu, Paris 2007
  7. Alain Ruzé, La Moldova entre la Roumanie et la Russie : de Pierre le Grand à Boris Eltsine, L'Harmattan, coll. « Pays de l'Est », Paris et Montréal 1997, (ISBN 978-2-7384-6018-9).
  8. Jean-François Soulet, Histoire comparée des États communistes de 1945 à nos jours, Armand Colin, coll. « U », 1996.
  9. Jean Nouzille, La Moldavie : histoire tragique d'une région européenne, Éditions Bieler, Huningue 2004, (ISBN 978-2-951-83030-1) et (ISBN 978-2-9520012-1-2), OCLC 491831496).
  10. Stéphane François, Réflexions sur le mouvement “Identitaire”, 3 mars 2009 - [5].
  11. Pierre Renouvin, « La Crise européenne et la Première Guerre mondiale » dans la Revue belge de philologie et d'histoire, tome 14, fasc. 2, 1935.
  12. Traian Sandu, Histoire de la Roumanie, éd. Perrin, Paris 2008.
  13. Nicolette Frank, La Roumanie dans l’engrenage, éd. Elsevier-Sequoia, Paris 1977.
  14. Traian Sandu, Op. cit., p. 265.

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]