Plan XVII — Wikipédia

Peinture représentant un train de mobilisés à quai, avec des civils les saluant.
Albert Herter, Le Départ des poilus, , 1926, peinture de douze mètres sur cinq, exposée dans le hall Alsace de la gare de Paris-Est.

Le plan XVII est un plan militaire de l'Armée française préparé en 1913, applicable à partir du et mis en œuvre le 2 août de la même année, au déclenchement de la Première Guerre mondiale. Il doit son nom au fait d'être le 17e depuis la fin de la guerre franco-allemande de 1870.

Il s'agit d'un plan de mobilisation et de concentration des forces françaises. Il prévoit l'augmentation massive des effectifs grâce à l'arrivée des réservistes (la mobilisation), puis le transport par chemin de fer des troupes (la concentration), sous la protection des unités frontalières (la couverture). La majeure partie du corps de bataille est envoyée le long des frontières franco-belge et franco-allemande (de Givet à Belfort), avec une variante pour faire face à une invasion de la Belgique par les armées allemandes. Les autres puissances militaires ont leur plan équivalent ; le plus connu est le plan allemand, surnommé le « plan Schlieffen ».

Le plan est mis en œuvre sous les ordres du commandant en chef français, le général Joffre. Il implique des offensives françaises en Haute-Alsace (à partir du ), sur le plateau lorrain (à partir du ) et dans l'Ardenne belge (à partir du ), toutes vouées à l'échec.

La planification française de 1871 à 1914[modifier | modifier le code]

Principes de la planification[modifier | modifier le code]

Les défaites lors de la guerre franco-allemande de 1870 entraînent une refonte complète de l'Armée française, en imitant le modèle prussien, avec d'abord le passage à la conscription en 1872 (loi Cissey)[1], puis la création de 19 « régions de corps d'armée » (chacune fournissant un corps d'armée dès le temps de paix)[2] en 1873. Cette armée de conscrits nécessite une sérieuse planification pour la mettre sur le pied de guerre. Le « plan de mobilisation et de concentration » désigne l'ensemble des documents prévoyant le transport, le déploiement et l'organisation de cette armée[3] (la marine de guerre n'est pas concernée par le plan, mis à part pour le transport maritime). Le plan ne prévoit pas le détail des opérations qui doivent suivre, mais il est établi en fonction d'elles et les détermine[4]. Le plan est régulièrement mis à jour, variant en fonction des différentes lois sur le recrutement (qui déterminent les effectifs), des commandants en chef successifs (qui sont plus ou moins offensifs), de la situation internationale (qui détermine les adversaires probables) et des renseignements sur le dispositif adverse (fournis par le 2e bureau)[5].

Après le début de la mobilisation, le déploiement des troupes (appelé « concentration ») doit se faire essentiellement par chemin de fer, d'où la création de la Commission supérieure des chemins de fer qui travaille avec les différentes compagnies ferroviaires pour adapter le réseau aux besoins militaires. Les grandes lignes des plans successifs sont arrêtées au sein de l'État-Major de l'Armée par le bureau des opérations (3e bureau) ainsi que par le bureau des chemins de fer (4e bureau), puis validées par le Conseil supérieur de la guerre, avant d'être transmises aux bureaux militaires affectés à chaque compagnie ferroviaire (bureaux dirigés par les commissaires techniques des réseaux)[6], qui se chargent des études de détail et de la rédaction des documents à envoyer à chaque unité[7] (livrets de marche et fiches itinéraires)[8], le tout entrant en fonction au printemps.

Ces plans prévoient dans le détail le transport ferroviaire (et maritime dans le cas des unités de l'armée d'Afrique) des différentes unités. Chacune se voit attribuer une date de départ à partir de celle du début de la mobilisation (par exemple le 7e jour) de son ou de ses lieux de garnison (certains régiments sont dispersés entre plusieurs casernes) : les premières troupes à partir sont celles affectées à la couverture, puis vient le tour des unités d'active, ensuite de la réserve pour finir par la territoriale et la logistique. Les corps d'armée, dispersés sur l'ensemble du territoire, sont affectés chacun à une ligne ferroviaire pour les déployer (« concentrer ») dans l'Est de la France, les regroupant finalement en un petit nombre d'armées.

Plans antérieurs au plan XVII[modifier | modifier le code]

L'Armée française, qui se réorganise au début de la Troisième République, établit et révise régulièrement son plan de mobilisation destiné à la mettre en ordre de bataille pour affronter la menace aux frontières : l'État-Major élabore successivement seize plans entre 1875 et 1914, soit un tous les deux ans[9].

Le passage d'un plan au suivant est déterminé par l'évolution des menaces (probabilité d'une guerre avec tel ou tel État voisin), un changement d'attitude (stratégie défensive ou offensive), l'augmentation des effectifs (création de régiments et développement de la réserve), la production d'armements (plus modernes et nombreux), la construction de fortifications (le système Séré de Rivières, puis sa modernisation), la modification de la couverture (de plus en plus renforcée) et l'amélioration du réseau ferroviaire (déplacements plus massifs et rapides). La principale menace reconnue étant l'Armée allemande ; les deux États s'espionnent mutuellement (mais le secret des plans est conservé), se livrent une course aux armements et réagissent rapidement au développement de leur adversaire[5].

Les premiers plans, du no I de 1875 au no VII de 1884, sont défensifs : l'initiative est laissée aux forces allemandes, les armées françaises intervenant seulement en contre-offensive en s'appuyant sur les fortifications toutes neuves du système Séré de Rivières[10]. La remise en cause des forts maçonnées et surtout le début des tensions germano-russes permettent à l'État-Major de l'armée d'être un peu plus audacieuse, les plans nos VIII à XIII de 1887 à 1895 envisagent une prudente offensive en Lorraine[11]. Puis, malgré l'alliance franco-russe, les plans nos XIV à XVI de 1898 à 1909 reviennent à une posture défensive par manque de confiance dans les unités de réservistes, laissées dans un premier temps en arrière[12]. En 1911, la proposition du général Michel d'amalgamer la réserve à l'active (pour pouvoir se déployer jusqu'à la mer du Nord) est refusée par les autres officiers-généraux, son propre état-major[13] et par le gouvernement, qui remplace Michel par Joffre le [14]. L'État-Major de l'armée modifie ensuite à la marge le plan XVI, avec les variantes no 1 de et no 2 d'[15].

Entre-temps, la situation évolue : la rencontre à Paris du avec les représentants du War Office britannique permet d'espérer le soutien de la British Army ; la réunion à Saint-Pétersbourg du 18/[n 1] avec les chefs de l'État-Major général russe voit la promesse mutuelle de passer à l'offensive dès le 15e jour de mobilisation ; l'attitude pacifique italienne permet d'affecter ailleurs l'armée des Alpes[16]. Dès le , Joffre prévoit d'être offensif : il s'agit d'organiser « l'offensive française et non la parade et la riposte à une offensive allemande[17]. » L'étude du général Demange à l'automne 1912, très défensive[18], est rejetée. En 1913, l'augmentation des crédits militaires et des effectifs permet la création d'unités d'active (pas moins de 28 régiments), ce qui permet de créer dès le temps de paix une division d'infanterie (la 43e DI), deux divisions de cavalerie (les 9e et 10e DC) ainsi qu'un corps d'armée (le 21e CA) et de prévoir la formation de trois divisions de réserve (les 23e, 24e et 25e DR) et de trois divisions territoriales supplémentaires par rapport au plan XVI de 1909[19]. Cela entraîne une refonte du déploiement : un 17e plan de mobilisation et de concentration est donc préparé pour tenir compte de ces évolutions[20].

Plan XVII de 1914[modifier | modifier le code]

Photographie en buste d'un officier moustachu portant un képi à feuilles de chêne, un dolman à brandebourgs et quatre décorations.
Le chef d'État-Major général de l'Armée (et généralissime désigné) est en 1913-1914 le général Joseph Joffre, issu du génie et spécialiste du transport ferroviaire.

Le plan de mobilisation et de concentration XVII de l'Armée française est préparé sous forme d'ébauche générale (ce document est appelé Bases du plan XVII)[21] par l'État-Major au début de l'année 1913, sous l'autorité du chef de l'État-Major général, ce dernier le présentant devant le Conseil supérieur de la guerre qui le valide lors de la séance du  ; le ministre de la Guerre Eugène Étienne l'accepte le [22], puis les différents documents sont préparés et envoyés aux unités à la fin de l'hiver (par exemple les généraux désignés comme commandants d'armée se voient adresser le une directive[23] par le général Émile Belin, major-général de l'État-Major en remplacement d'Édouard de Castelnau[24]). Toutes les brigades de gendarmerie doivent mettre à jour leur journal de mobilisation (conservé au coffre-fort) et convoquer individuellement tous les réservistes pour procéder à l'échange de leur fascicule de mobilisation annexé au livret militaire[25] ; ces distributions sont réalisées essentiellement de mars à , avec des exceptions qui ont attendu fin juillet[26].

Si le plan de couverture est exécutable dès fin (à la suite de la création du 21e corps)[27], les plans de mobilisation et de concentration deviennent applicables en remplacement des plans antérieurs le [28] ; l'ensemble (comprenant le plan de renseignement) est approuvé par le général Joseph Joffre le . Il est prévu que chaque unité de l'armée doit passer par trois temps : sa mobilisation, puis sa concentration et enfin sa participation aux opérations.

Rapports de force[modifier | modifier le code]

Parmi les puissances européennes, le plan reconnaît l'Allemagne comme le principal adversaire probable de la France. Pour l'Italie, « tout porte à croire qu'elle restera, au début, sur l'expectative, et se tiendra prête à intervenir, après les premiers événements, du côté où elle se sentira en mesure de satisfaire ses désirs de conquête »[29]. L'Autriche-Hongrie est estimée comme incapable d'intervenir contre la France : elle est supposée affronter des adversaires dans les Balkans et sur sa frontière avec la Russie[30]. L'Espagne n'a plus guère les moyens d'être agressive. La Russie est l'alliée de la France par la convention militaire du (ratifiée par Alexandre III le et par le gouvernement français le )[n 1]. Quant au Royaume-Uni, il n'est plus vu comme un adversaire probable depuis l'« Entente cordiale », laissant même espérer un soutien. La Belgique et la Suisse sont strictement neutres.

En face, l'Armée allemande aligne 25 corps d'armée en temps de paix, complétés par des corps de réserve en cas de mobilisation que l'État-Major estime aux alentours d'une quinzaine[32]. Le déploiement allemand est supposé massif le long des frontières occidentales de l'empire (estimé par le 2e bureau à 20 corps d'active, dont six en couverture, dix corps de réserve, huit divisions de cavalerie et huit divisions de réserve)[33], avec peu de troupes laissées à l'Est, malgré la puissance de l'Armée russe (qui dispose dès le temps de paix de 37 corps d'armée et est capable d'aligner 150 divisions en cas de guerre). Pour contrer une attaque brusquée (lors des premiers jours du conflit, voire sans déclaration de guerre comme l'ont fait les Japonais à Port-Arthur en 1904), il faut prévoir un dispositif de « couverture » pour protéger la concentration, en avant des fortifications du Nord-Est. Comme la flotte de guerre française est surclassée par l'allemande, il est prévu de la concentrer en Méditerranée ; un débarquement côtier étant donc possible, il faut maintenir des divisions le long du littoral. Enfin, le passage des forces allemandes par le territoire de la Belgique[n 2] ou de la Suisse est envisagé, que ce soit avec l'autorisation de ces États ou non, ce qui impose d'étendre le déploiement aux frontières avec ces deux États.

De la part de l'Armée russe, l'État-Major français espère beaucoup. Elle a des effectifs pléthoriques avec ses 150 divisions mobilisables (114 d'infanterie et 36 de cavalerie), mais sa mobilisation nécessite trois mois[34]. Par la convention de 1894, les Russes se sont engagés qu'en cas de guerre avec seulement l'Allemagne ils attaqueraient celle-ci avec toutes leurs forces ; en cas de guerre avec l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie, 800 000 Russes seraient déployés face à la première, le reste des troupes face à la seconde[35]. Joffre fait deux visites à Saint-Pétersbourg, en et en [36], recevant comme promesse du général Jilinski (chef de l'État-Major général) que la Russie lancerait sa première offensive dès le 15e jour après le début de la mobilisation, en utilisant ses troupes d'active[37].

Le soutien du Royaume-Uni est incertain, mais des négociations sont menées entre état-major, préparant une cobelligérance. Sur le plan naval, la puissante Royal Navy prendrait en charge la mer du Nord et la Manche, tandis que la Marine nationale se concentrerait en Méditerranée. Sur le plan terrestre, la petite mais professionnelle British Army ne dispose que de six divisions d'infanterie et une de cavalerie, dont tout ou partie peut être envoyé dans le Nord de la France[38].

Vis-à-vis de la Belgique, l'État-Major attend d'elle surtout l'autorisation de passer sur son territoire, car le franchissement de la frontière sans son autorisation rendrait impossible le soutien britannique. La neutralité interdit aux militaires belges et suisses de préparer une collaboration avec les puissances voisines et les oblige à disposer leurs troupes sur la défensive contre tous leurs voisins. Le plan français n'évoque les six divisions belges que pour mémoire, ayant plus de considération pour les capacités de l'Armée suisse (six grosses divisions à trois brigades chacune)[39]. Les fortifications belges (autour de Liège, de Namur et d'Anvers) ne sont pas évoquées, car les Français estiment que les forces allemandes ne dépasseront pas la ligne Sambre et Meuse :

« Pour envahir la Belgique, nos adversaires ne disposeront tout au plus que de dix corps d'armée […] Eh bien général, voici un double décimètre, veuillez mesurer la distance qui sépare Malmedy de Lille et calculer le développement dangereux pour leurs troupes d'un mouvement aussi excentrique par rapport à leur ligne d'invasion. Ce serait une grave imprudence de leur part ! Mais ils ne commettront pas cette faute et nous n'aurons pas cette chance-là ! »

— Castelnau (sous-chef de l'État-Major de 1911 à 1913) au général Lebas (gouverneur de Lille)[40].

Mobilisation[modifier | modifier le code]

La mobilisation désigne la mise sur le pied de guerre de l'armée, que ce soit par augmentation des effectifs des unités déjà existantes en temps de paix (les unités de l'active), ou par création de formations (les unités de la réserve et de la territoriale)[41].

Active[modifier | modifier le code]

Carte de France, avec l'emplacement des places fortes du Nord-Est.
En 1914, le territoire français (métropole et Algérie) est subdivisé en 21 régions militaires. Carte de l'organisation en 1907, avec les fortifications, les limites des 19 régions militaires métropolitaines de l'époque (il manque la 21e région, créée en 1913) et du réseau ferroviaire.

L'« active » désigne les hommes sous l'uniforme en temps de paix, qu'ils fassent leur service militaire (de leurs 21 à leurs 23 ans) ou qu'ils soient des professionnels (nombreux au sein du corps des officiers, des troupes coloniales et de la Légion étrangère), ainsi que les unités composées majoritairement de ces militaires[42], en opposition à la réserve et à la territoriale qui ne sont levées qu'à l'occasion de la mobilisation ou d'entraînements de courtes périodes. L'État-Major français bénéficie d'une augmentation (à sa demande) des moyens mis à sa disposition dès le temps de paix, grâce à une série de textes législatifs renforçant les effectifs de l'armée, ces textes étant appliqués progressivement :

  • la loi des cadres de l'infanterie du créant dix régiments d'infanterie (portant les unités d'active à 173 RI, 12 d'infanterie coloniale, 12 de tirailleurs, 4 de zouaves et 31 BCP)[n 3], portant l'effectif par compagnie à 140 hommes (200 dans les corps frontaliers, toutes poussées à 250 lors de la mobilisation) et augmentant le nombre d'officiers d'active pour encadrer la réserve[43] ;
  • le décret du créant huit régiments de tirailleurs et deux de zouaves[44] ;
  • la loi des cadres de la cavalerie du , créant quatre régiments (portant les unités à 12 de cuirassiers, 32 de dragons, 23 de chasseurs, 14 de hussards, 6 de chasseurs d'Afrique et 4 de spahis)[n 4] ; chaque corps d'armée doit avoir un régiment en soutien, le reste formant dix divisions[45] ;
  • la loi du (loi Barthou, ou « loi des Trois ans ») portant à trois ans le service militaire (la classe 1912 est incorporée en octobre, la classe 1913 en novembre)[45] ;
  • le décret du créant le 21e corps à Épinal[46] et la 43e division à Saint-Dié (permettant de renforcer la couverture) ;
  • la loi du créant cinq régiments d'artillerie lourde (destinés aux armées, équipés avec des obusiers de 120 mm Baquet et de 155 mm Rimailho) et 14 batteries à cheval (portant le total à 30 batteries, regroupées en dix groupes destinés aux divisions de cavalerie, équipées avec des canons de 75 mm)[n 5].

La création du protectorat français au Maroc occupe depuis 1912 de nombreuses unités de l'armée d'Afrique[n 6], donc le 19e corps dans sa totalité ne peut plus être envoyé en métropole ; en compensation, les divisions de Constantine et d'Alger doivent fournir chacune une division d'infanterie lors de la mobilisation, qui prendront les numéros 37 et 38. La création de la 44e division d'infanterie est prévue à partir d'unités d'active des 14e et 15e régions militaires stationnées dans les Alpes et libérées en cas de neutralité italienne[19].

Divisions d'active en [47]
Régions militaires
(corps d'armée)
Sièges des régions Divisions stationnées en temps de paix
GMP Paris 1re DC (Paris), 7e DC (Melun) et 1re DIC (Paris)
Ire Lille 1re DI (Lille) et 2e (Arras) DI
IIe Amiens 3e DI (Amiens), 4e DI (Mézières) et 4e DC (Sedan)
IIIe Rouen 5e DI (Rouen) et 6e DI (Paris)
IVe Le Mans 7e DI (Paris) et 8e DI (Le Mans)
Ve Orléans 9e DI (Orléans) et 10e DI (Paris)
VIe Châlons-sur-Marne 12e DI (Reims), 40e DI (Saint-Mihiel), 42e DI (Verdun), 3e DC (Compiègne) et 5e DC (Reims)
VIIe Besançon 14e DI (Belfort), 41e DI (Remiremont) et 8e DC (Dole)
VIIIe Bourges 15e DI (Dijon) et 16e DI (Bourges)
IXe Tours 17e DI (Châteauroux), 18e DI (Angers) et 9e DC (Tours)
Xe Rennes 19e DI (Rennes) et 20e DI (Saint-Servan)
XIe Nantes 21e DI (Nantes), 22e DI (Vannes) et 3e DIC (Brest)
XIIe Limoges 23e DI (Angoulême) et 24e DI (Périgueux)
XIIIe Clermont-Ferrand 25e DI (Saint-Étienne) et 26e DI (Clermont-Ferrand)
XIVe Lyon 27e DI (Grenoble), 28e DI (Chambéry) et 6e DC (Lyon)
XVe Marseille 29e DI (Nice), 30e DI (Avignon) et 2e DIC (Toulon)
XVIe Montpellier 31e DI (Montpellier) et 32e DI (Perpignan)
XVIIe Toulouse 33e DI (Montauban), 34e DI (Toulouse) et 10e DC (Montauban)
XVIIIe Bordeaux 35e DI (Bordeaux) et 36e DI (Bayonne)
XIXe Alger divisions d'Alger, d'Oran et de Constantine
XXe Nancy 11e DI (Nancy), 39e DI (Toul) et 2e DC (Lunéville)
XXIe Épinal 13e DI (Chaumont) et 43e DI (Saint-Dié)

Réserve et territoriale[modifier | modifier le code]

soldat barbu embrassant sa femme et son fils.
Victor Prouvé, Les adieux d'un réserviste ou Pour la Patrie, 1887. Cet homme porte au col le numéro du 26e RI, en garnison à Nancy de 1887 à 1917.

La « réserve » désigne au début du XXe siècle des unités composées majoritairement d'hommes encore jeunes (de 24 à 34 ans) ayant terminé leur service militaire et ayant été rendus à la vie civile (appelés « réservistes »), mais rappelés pour une courte période d'entraînement ou lors d'une mobilisation[48]. En plus des réservistes qui complètent les unités d'active, le plan XVII prévoit de lever lors de la mobilisation des régiments et bataillons « de réserve » (anciennement appelés « régiments régionaux » et « régiments de place »), composés essentiellement avec des réservistes encadrés par un petit « cadre d'active ».

Le recours aux réservistes est au centre de nombreux débats politiques, notamment lors du débat sur la loi des Trois ans : alors que la gauche y est favorable, une grande partie du commandement militaire, autour du général de Castelnau, soutenue par la droite du Parlement, exprime des doutes sur leur valeur tactique. Le député Paul Bénazet déclare : « Comment voulez-vous que, dans l'ouragan de la bataille, l'homme marié ne songe pas à la femme et aux enfants dont il est le soutien ? ». Ils constituent pourtant un apport essentiel lorsque le conflit s'inscrira dans la durée[49].

Un régiment d'infanterie de réserve est créé au sein du dépôt de chacun des régiments d'infanterie (le nouveau portant le numéro de l'ancien augmenté de 200), tandis qu'un bataillon supplémentaire est créé au dépôt de chacun des bataillons de chasseurs à pied (le nouveau portant le numéro de l'ancien augmenté de 40). Les régiments de réserve ne sont désormais plus prévus comme les régiments d'active avec trois bataillons, mais avec seulement deux pour améliorer leur encadrement (officiers et sous-officiers plus nombreux). Il n'a pas de création de nouveaux régiments dans la cavalerie ou le génie, mais d'une part une augmentation des effectifs, avec d'autre part la création dans les régiments de cavalerie d'un 5e et d'un 6e escadrons et dans le génie de plusieurs nouvelles compagnies et détachements. Ces unités de réserve sont affectées soit à la constitution de divisions de réserve (le plan XVI prévoyait de créer 22 DR, le plan XVII 25)[50], soit au renforcement des corps d'armée, à raison d'un régiment de réserve (remplacé par deux bataillons de chasseurs à pied dans les zones forestières) par division.

La « territoriale » désigne alors des unités composées majoritairement des hommes les plus âgés (de 35 à 48 ans). En cas de mobilisation ou lors des courtes périodes d'entrainement, des régiments d'infanterie territoriale, des escadrons territoriaux de cavalerie, des groupes territoriaux d'artillerie et des bataillons territoriaux du génie sont créés[51]. Plusieurs de ces unités doivent être regroupées pour former douze divisions d'infanterie territoriale (DIT), qui peuvent être soit des divisions territoriales de campagne (huit DTC), soit de place (quatre DTP, avec peu de mobilité)[52].

Divisions créées en cas de mobilisation[47]
Régions
militaires
Sièges des régions Divisions d'active Divisions de réserve Divisions de territoriale
Ire Lille - 51e DR (Arras) -
IIe Amiens - 52e DR (Mézières) 81e DTC (Amiens)
IIIe Rouen - 53e DR (Rouen) 82e DTC (Rouen)
IVe Le Mans - 54e DR (Le Mans) 83e DTP (Chartres) et 84e DTC (Laval)
Ve Orléans - 55e DR (Orléans) -
VIe Châlons - 56e (Châlons), 69e (Reims) et 72e DR (Verdun) -
VIIe Besançon - 57e DR (Belfort) -
VIIIe Bourges - 58e DR (Dijon) -
IXe Tours - 59e DR (Angers) 85e (Châteauroux) et 86e DTP (Angers)
Xe Rennes - 60e DR (Rennes) 87e DTC (Saint-Servan)
XIe Nantes - 61e DR (Vannes) 88e DTC (Nantes)
XIIe Limoges - 62e DR (Angoulême) 89e DTP (Angoulême)
XIIIe Clermont-Ferrand - 63e DR (Clermont-Ferrand) -
XIVe Lyon 44e DI (Lyon) 64e (Grenoble) et 74e DR (Chambéry) -
XVe Marseille - 65e (Nice) et 75e DR (Avignon) -
XVIe Montpellier - 66e DR (Montpellier) 90e DTC (Perpignan)
XVIIe Toulouse - 67e DR (Montauban) 91e DTC (Toulouse)
XVIIIe Bordeaux - 68e DR (Bordeaux) 92e DTC (Bordeaux)
XIXe Alger 37e (Philippeville) et 38e DI (Alger) - -
XXe Nancy - 70e (Neufchâteau) et 73e DR (Toul) -
XXIe Épinal - 71e DR (Épinal) -

Moyens mobilisés[modifier | modifier le code]

Les forces armées françaises doivent augmenter massivement lors de la mobilisation pour se mettre sur le pied de guerre. En métropole, le nombre d'unités (en dehors de celles restant aux dépôts) doit passer selon le plan :

  • de 598 bataillons d'infanterie à 1 525 (642 d'active, 406 de réserve et 410 de territoriale), d'environ 1 100 hommes (regroupés en quatre compagnies de 254 fantassins) ;
  • de 300 escadrons de cavalerie à 545 (316 d'active, 176 de réserve et 37 de territoriale) d'environ 120 hommes (en quatre pelotons de 30 cavaliers) ;
  • de 816 batteries d'artillerie à 1 468 (1 042 d'active, 265 de réserve et 161 de territoriale), chacune de quatre canons (un groupe est en général composé de trois batteries) ;
  • de 189 compagnies et détachements du génie à 508[53].
Photo noir et blanc montrant des boulangers tirant du four un pain cuit.
Essai de fours à pain mobiles par l'armée à Argenteuil en mai 1914 : il faut nourrir plus de 3 millions d'hommes.

Les 43 divisions d'infanterie, les trois divisions d'infanterie coloniale (la 1re DIC doit être fractionnée lors de la mobilisation) et les dix divisions de cavalerie du temps de paix passent à leur effectif du temps de guerre (18 000 hommes pour une DI et 5 250 pour une DC), et sont dans le même temps renforcées par trois autres divisions d'active (les 37e et 38e d'Afrique, ainsi que la 44e des Alpes), 25 divisions de réserve (chacune de 18 000 hommes) et 12 divisions de territoriale (chacune de 15 000 hommes). L'ensemble de ces 95 divisions représente une force de 1 681 100 hommes, auxquels se rajoutent les garnisons (821 400), les dépôts (680 000), les garde-voies (210 000), les éléments d'armée (187 500) et les troupes dispersées aux colonies[54]. Ce sont 3 580 000 hommes qui sont concernés par la mobilisation. S'y rajoutent différents services, tels que les unités aéronautiques, ou le service automobile[55].

Chaque division d'infanterie est composée de deux brigades d'infanterie à deux régiments, plus un escadron de cavalerie, un régiment d'artillerie (à trois groupes) et une compagnie du génie. Chaque division de cavalerie est composée de trois brigades à deux régiments, plus un groupe cycliste, un groupe d'artillerie et un détachement de sapeurs cyclistes. Chaque corps d'armée est composé de deux divisions d'infanterie (sauf le 6e corps à trois divisions) avec en prime des unités non-endivisionnées à raison d'un régiment de cavalerie (à quatre escadrons), d'un régiment d'artillerie (à quatre groupes) et d'un bataillon du génie (à quatre compagnies)[56].

Concentration[modifier | modifier le code]

La « concentration » désigne le transport et le déploiement des différentes troupes[57], dont l'organisation et les zones de concentration dépendent de leurs missions ; ces missions établies par l'État-Major dépendent elles de la topographie (le relief et les massifs forestiers), du réseau ferroviaire, du contexte diplomatique (l'attitude des États voisins), de la volonté plus ou moins offensive du commandant français et des intentions prêtées aux adversaires.

Organisation[modifier | modifier le code]

Photo noir et blanc de quatre généraux portant képi.
Les grandes manœuvres de l'Est en 1912 : les généraux Castelnau et Joffre avec deux arbitres (brassard blanc à la manche). Les brigades, divisions et corps d'armée ne sont regroupés en temps de paix qu'à l'occasion des manœuvres d'automne.

Le plan prévoit l'envoi sur le théâtre d'opérations du Nord-Est de la quasi-totalité des unités d'active, pour faire jeu égal avec celles allemandes. L'État-Major appréhende l'emploi des unités de réserve : « Sans doute on ne saurait dans aucun cas assimiler des unités de réserve à des unités actives. C'est à ces dernières unités que le commandement fera surtout appel pour l'exécution des manœuvres offensives dont dépend le succès des opérations, comptant sur leur instruction meilleure, sur leur entrainement supérieur et sur la solidarité des liens tactiques qui unissent tous leurs éléments »[58]. Le plan XVII renforce l'encadrement de la réserve (avec quelques officiers d'active) et prévoit de les déployer en arrière pour prendre le temps d'améliorer leur cohésion.

Tous les corps d'armée (20 plus le corps colonial) se trouvant en métropole doivent être regroupés au sein de cinq armées déployées dans l'Est, celles-ci renforcées par sept divisions de cavalerie[59]. Trois divisions de cavalerie sont prévues pour former un corps de cavalerie sur le flanc gauche, tandis que la majorité des divisions de réserve est regroupée par trois au sein de quatre « groupes de divisions de réserve » (GDR). L'armée des Alpes, chargée de la surveillance de la frontière italienne, doit être surtout composée des divisions de réserve locales. Quant aux divisions territoriales, elles doivent être affectées à la défense du camp retranché de Paris, ainsi qu'à l'observation des littoraux (en cas de débarquement ennemi) et de la frontière espagnole (de part et d'autre des Pyrénées). Quelques unités sont laissées en réserve générale : le commandant en chef doit ainsi disposer des 37e, 38e et 44e DI (qui peuvent être envoyées sur Laon, Besançon ou Châlons)[60], tandis que le ministre de la Guerre conserve le contrôle de la 67e DR (qui doit se concentrer au camp de Mailly) ainsi que des 61e et 62e DR (dans l'agglomération parisienne)[61].

Plusieurs commandements sont attribués dès le temps de paix : le chef de l'État-Major général de l'Armée (Joffre) est le commandant en chef (« généralissime ») désigné, les commandants d'armée, de GDR et du corps de cavalerie sont choisis parmi les autres membres du Conseil supérieur de la guerre (Archinard, Michel, Laffon de Ladébat, Langle de Cary, Dubail, Sordet, Ruffey, Castelnau, Lanrezac, d'Amade, Belin et Ébener)[62], tandis que les commandants des corps d'armée et des divisions d'active sont déjà en place. Il reste à nommer les commandants des divisions de réserve et de territoriale. Le déploiement, la chaîne de commandement, la coopération interarmes et la tactique sont testés régulièrement à presque toutes les échelles (corps, divisions et brigades) lors des grandes manœuvres annuelles, en automne. Par exemple du 3 au , les manœuvres de cavalerie au camp de Sissonne voient la réunion de trois divisions de cavalerie sous les ordres du général Sordet, reconstituant ainsi temporairement le futur corps de cavalerie[63]. Quant aux membres de l'État-Major de l'Armée et ceux de l'École de guerre, ils s'entraînent en participant à deux exercices chaque année, l'un en hiver sur carte, l'autre au printemps sur le terrain (« voyage d'état-major »[n 7], à Bar-le-Duc en 1912, Auxerre en 1913 et Saint-Quentin en 1914)[64].

Déploiement français prévu par le plan XVII[65]
Commandants
désignés
Zones de
concentration
Composition :
corps et divisions
Effectifs Missions
1re armée
(armée de Dole)
Augustin Dubail autour de Remiremont et Charmes cinq corps (7e, 8e, 13e, 14e et 21e), soit dix DI, plus les 6e et 8e DC 266 452 h. attaquer vers Mulhouse et Sarrebourg
2e armée
(armée de Dijon)
Édouard de Castelnau[n 8] autour de Pont-Saint-Vincent et Neufchâteau cinq corps (9e, 15e, 16e, 18e et 20e), soit dix DI, plus les 2e et 10e DC 323 445 h. attaquer vers Morhange
3e armée
(armée de Châlons)
Pierre Ruffey autour de Saint-Mihiel et Verdun trois corps (4e, 5e et 6e), soit sept DI, plus la 7e DC 237 257 h. surveiller la place de Metz
4e armée (armée de Fontainebleau) Fernand de Langle de Cary autour de Saint-Dizier et Bar-le-Duc trois corps (12e, 17e et CAC), soit six DI, plus la 9e DC 159 588 h. en réserve sur l'Argonne
5e armée
(armée de Paris)
Charles Lanrezac[n 9] d'Hirson à Dun-sur-Meuse cinq corps (1er, 2e, 3e, 10e et 11e), soit dix DI, plus la 4e DC et les 52e et 60e DR 299 350 h. surveiller la frontière belge dans le massif ardennais
Corps de cavalerie André Sordet autour de Mézières 1re, 3e et 5e DC 15 750 h. s'avancer dans l'Ardenne en cas d'invasion de la Belgique
1er groupe de
divisions de réserve
Louis Archinard autour de Luxeuil, Vesoul et Montbéliard 58e, 63e et 66e DR 54 000 h. surveiller la frontière suisse et servir de réserve derrière la 1re armée
2e groupe de
divisions de réserve
Léon Durand sur le Grand Couronné de Nancy 59e, 68e et 70e DR 54 000 h. servir de réserve derrière la 2e armée
3e groupe de
divisions de réserve
Paul Durand sur les Hauts de Meuse 54e, 55e et 56e DR 54 000 h. servir de réserve derrière la 3e armée
4e groupe de
divisions de réserve
Mardochée Valabrègue autour de Vervins 51e, 53e et 69e DR 54 000 h. servir de réserve derrière la 5e armée
Armée des Alpes
(armée de Lyon)
Albert d'Amade dans les Alpes et à Lyon 44e DI, 64e, 65e, 74e et 75e DR, ainsi que la 91e DTC 105 000 h. surveiller la frontière italienne
Camp retranché de Paris Victor-Constant Michel autour de Paris 61e et 62e DR, 83e DTC, 84e, 85e, 86e et 89e DTP 111 000 h. défendre le camp retranché
Places fortes de l'Est - autour de Verdun, de Toul, d'Épinal et de Belfort 72e, 73e, 71e et 57e DR 72 000 h. servir à la défense mobile des places fortes
Divisions isolées Joseph Brugère en arrière du littoral (Hazebrouck, Rouen, Nantes, Valognes, Perpignan et Bordeaux) 81e, 82e, 88e, 87e, 90e et 92e DTC 90 000 h. surveiller le littoral et la frontière espagnole

Chacune des cinq armées reçoit une douzaine de batteries d'artillerie lourde (la 4e armée seulement trois batteries), composées d'obusiers de 120 mm courts et de 155 mm CTR (courts à tir rapide), ainsi que des escadrilles aéronautiques pour assurer la reconnaissance. Une « artillerie lourde mobile » est mise sous les ordres du groupe d'armées du Nord-Est, soit quinze batteries de canons de 120 mm longs et six batteries de mortiers de 220 mm[67].

Transport[modifier | modifier le code]

Carte montrant les lignes convergeant de toute la France vers l'Est.
Schéma représentant les différentes lignes ferroviaires chargées de transporter les corps d'armée.
Photo noir et blanc d'une colonne de fantassins marchant sur une route.
Grandes manœuvres de l'Est en 1901 ; une fois débarqué du train, le fantassin doit marcher de longues étapes, brodequins à clous aux pieds et havresac (l'« as de carreau ») sur le dos, avec du pain pour deux jours.

Le matériel ferroviaire est réquisitionnable sur simple avis du ministre de la Guerre[68], avec seulement un avis préalable (« garde à vous »)[69] : il faut un train pour emporter un bataillon ou un escadron, trois trains pour un régiment d'infanterie[70], quatre pour un régiment de cavalerie, sept pour une brigade d'infanterie, 26 pour une division d'infanterie et 117 pour un corps d'armée[71]. Ces trains sont composés de 34 (pour un escadron) à 47 (pour un bataillon) wagons, ce qui fait des convois longs de 400 mètres, avec selon les besoins des voitures pour voyageurs, des wagons de marchandises (à raison de huit chevaux ou de quarante hommes par wagon)[n 10] et des wagons plats (pour les fourgons et les canons)[n 11]. Toutes les compagnies ferroviaires françaises (de l'Ouest, du Nord, de l'Est, la PLM, d'Orléans et du Midi) sont concernées par la préparation de la concentration. Les voies ferrées ont par conséquent été largement développées pour des raisons militaires, chaque sous-préfecture a été raccordée (plan Freycinet de 1879 à 1914), des doubles voies mènent vers l'Est (notamment celles de Paris à Nancy et de Paris à Belfort), tandis que certaines gares sont agrandies (par exemple la gare de Paris-Est).

Dix lignes traversant le territoire métropolitain ont été préparées par l'Instruction générale sur l'exécution de la concentration du , rectifiée le [73], la majorité d'entre elles prévue pour assurer le transport des troupes de deux régions militaires (deux corps d'armée et les divisions de réserve) jusqu'à des gares de débarquement (« ateliers de débarquement ») en arrière de leur zone de concentration. Ces lignes sont intégralement affectées au transport militaire dès le début de la période de concentration, avec « toilette » (évacuation) des trains civils au début de la mobilisation[74]. Chaque ligne a des haltes-repas avec des boulangeries de campagne, des distributions de café, des feuillées improvisées, des infirmeries[75] ainsi qu'une « gare régulatrice » (GR de concentration). Ces gares régulatrices sont dirigées chacune par une commission régulatrice qui gère le trafic (les « marches ») et donne les ordres pour l'aval (les itinéraires jusqu'au point de débarquement)[76]. Chaque train reçoit une fiche itinéraire (du point de départ jusqu'à la gare régulatrice) envoyée lors de la mobilisation au chef de la gare de départ, ainsi qu'un ordre de transport (le double de celui reçu par le commandant de l'unité transportée)[77]. À partir de la gare régulatrice, la locomotive est conduite alternativement par deux équipes, avec un wagon-dortoir pour l'équipe au repos ; un autre wagon sert de réserve de combustible[77]. Chaque ligne doit avoir la capacité pour un trafic de 56 convois par jour (56 marches), dont 48 prévus pour le transport des troupes, quatre en surnombre (dites « marches blanches », pour les imprévus ou pour les parcs de siège) et quatre pour le service. Deux lignes de rocade, transitant par l'agglomération parisienne, sont « outillées », c'est-à-dire prêtes en cas de mobilisation[n 12], celle de Dole à Laon capable d'accueillir 56 marches et celle de Chagny à Busigny pour 30 marches. Pour accélérer la couverture et la concentration par rapport à celles des plans précédents, la fréquence, la vitesse (qui passe de 25-30 à 30-35 km/h selon les profils de voies) et la charge (qui passe de 480 tonnes à 550) des trains sont augmentées[78]. Les lignes doivent être protégées lors de la couverture par le dispositif restreint de sécurité (DRS, fournis par l'active et la police), puis par les gardes des voies et communications (GVC, fournis par la territoriale) ; en cas de destruction par des agents ennemis, huit compagnies de sapeurs de chemins de fer sont à disposition des commissions régulatrices[79].

Ces lignes doivent transporter du 2e au 4e jour de la mobilisation le second échelon des corps de couverture (les corps d'armée casernés à proximité de la frontière allemande) ; les 3e et 4e jours, la cavalerie ; du 4e au 10e jour, tous les corps d'armée en commençant par les divisions « hâtives » des 2e, 5e et 8e corps (du 4e au 6e jour) ; le 11e jour, un « blanc » (sans aucun train) de 12 heures est prévu pour rattraper les retards[80] ; au 13e jour, toutes les divisions de réserve doivent être débarquées ; le 16e jour, c'est l'arrivée d'une partie des unités de l'armée d'Afrique ; enfin le 17e jour, toutes les divisions territoriales, les parcs et la logistique doivent être en place[81]. Une onzième et douzième lignes sont prévues pour transporter un corps expéditionnaire britannique (l'« armée W », du nom du major-général Wilson) si jamais le Royaume-Uni participe au conflit. Le cas des troupes d'outre-mer est particulier : le 19e corps (essentiellement recruté et stationné en Algérie) doit fournir deux divisions (la 37e et la 38e) qui doivent traverser la Méditerranée sur des navires réquisitionnés et sous la protection des escadres françaises pour débarquer à Sète et à Marseille. Les troupes coloniales présentes dans les colonies ne sont pas prévues par le plan de mobilisation et de concentration. Il est prévu aussi d'assurer par les voies ferrées le ravitaillement des armées (nourriture, fourrage et essence), les évacuations (de matériel, de civils et de militaires malades ou blessés), ainsi que les approvisionnements des places fortes. Le redéploiement d'une partie des unités après la concentration est envisagé[82]. Cinq lignes doivent être conservées après la fin de la concentration, à raison d'une gare régulatrice par armée : Gray pour la 1re armée, Is-sur-Tille pour la 2e, Troyes pour la 3e, Châlons pour la 4e et Reims pour la 5e armée[83].

Lignes ferroviaires prévues pour la concentration des troupes[84]
Régions d'origine Troupes à concentrer Principales gares de départ Gares de transit Principales gares de débarquement
Ligne A 7e et 14e régions éléments du 7e corps et 8e DC (en couverture), puis 14e corps, 66e DR et AL Valence Grenoble, Chambéry et Lyon Bourg-en-Bresse, Lons-le-Saunier, Besançon (gare régulatrice), Vesoul, Lure et Luxeuil autour de Plombières, Épinal et Bruyères (14e corps)
Ligne B 8e, 13e et 21e régions éléments du 21e corps et 6e DC (en couverture), puis 8e et 13e corps, 58e, 63e, 64e et 74e DR Clermont-Ferrand, Saint-Étienne, Bourges et Dijon Auxonne, Gray (gare régulatrice), Vaivre, Port-sur-Saône, Port-d'Atelier et Jussey autour de Darney (8e corps), Châtel et Charmes (13e corps)
Ligne C 15e et 16e régions 15e et 16e corps Nice, Toulon, Marseille, Avignon, Montpellier et Perpignan remontant la rive droite du Rhône, passant par Mâcon, Dijon, Is-sur-Tille (gare régulatrice), Chalindrey, Langres et Merrey autour de Vittel (16e corps) et Mirecourt (15e corps)
Ligne D 9e, 18e et 20e régions éléments du 20e corps (en couverture), puis 9e et 18e corps, 59e et 68e DR, AL Rueil et Fontainebleau Bayonne, Bordeaux, Châteauroux, Angers et Tours Orléans, Montargis, Sens, Troyes, Bar-sur-Seine, Bricon (gare régulatrice) et Chaumont autour de Neufchâteau (18e corps), Toul et Pont-Saint-Vincent (9e corps)
Ligne E 12e et 17e régions 7e DC (en couverture), puis 10e DC, 12e et 17e corps, 67e DR Toulouse, Montauban, Périgueux et Angoulême Limoges, Bourges, Cosne-sur-Loire, Clamecy, Auxerre, Saint-Florentin, Troyes-Saint-Julien (gare régulatrice), Brienne-le-Château et Wassy autour de Joinville, Gondreville (17e corps), Vaucouleurs, Pagny-sur-Meuse et Commercy (12e corps)
Ligne F 5e région éléments du 6e corps (en couverture), puis 5e corps, CAC, 55e, 65e et 75e DR, AL Poitiers Brest, Cherbourg, Orléans, Étampes, Melun et Paris Noisy-le-Sec et Nangis ou Fontainebleau et Montereau, puis Flamboin, Nogent-sur-Seine, Troyes-Preize (gare régulatrice), Mailly-le-Camp et Vitry-le-François aux alentours de Revigny-sur-Ornain, de Bar-le-Duc, de Ligny-en-Barrois (corps colonial), de Saint-Mihiel et de Troyon (5e corps)
Ligne G 4e, 6e et 11e régions éléments du 6e corps (en couverture), puis 4e et 11e corps, 54e et 56e DR, 9e DC et AL Le Mans Vannes, Nantes, Mans et Paris via Dreux, Versailles, Choisy-le-Roi, Noisy-le-Sec, Meaux, La Ferté-Milon, Fismes, Reims (gare régulatrice) et Suippes autour de Sainte-Menehould (11e corps) et de Verdun (4e corps)
Ligne H 3e et 10e régions 3e et 10e corps, 53e et 60e DR Rennes, Saint-Servan, Évreux, Rouen et Paris via Mantes, Pontoise, Creil, Compiègne, Soissons, Laon (gare régulatrice) et Reims près de Rethel (3e corps) et de Vouziers (10e corps)
Ligne I 2e région éléments du 2e corps (en couverture), puis 52e DR et AL Douai Amiens via Ham, Laon (gare régulatrice), Montcornet, Mézières, Sedan autour de Stenay et de Dun (2e corps)
Ligne K 1re région 1er corps et 51e DR Lille et Arras via Douai, Valenciennes et Avesnes autour de Hirson (gare régulatrice) et de Rimogne (1er corps)
Lignes W (hypothétiques) - British Expeditionary Force ports du Havre et de Rouen (pour l'infanterie), de Calais et de Boulogne-sur-Mer (pour la cavalerie et la logistique) l'une par Amiens, Arras, Douai, Cambrai, Busigny, Nouvion et Wassigny, l'autre via Amiens, Chaulnes, Ham et Saint-Quentin entre Le Cateau et Maubeuge.
Ligne de rocade - - par Dole, Dijon, Nuits-sous-Ravières[n 13], Montereau, Moret, Melun, Brunoy, la Grande Ceinture est de Villeneuve-Saint-Georges au Bourget, puis par Villers-Cotterêts, Soissons et Laon
Ligne de rocade - - par Chagny, Montchanin, Nevers, Saincaize, Bourges, Vierzon, Les Aubrais, la Grande Ceinture ouest de Juvisy à Achères, puis par Pontoise, Creil, Compiègne, Tergnier et Busigny

Le transport des unités du corps de cavalerie au tout début de la concentration emprunte d'autres axes ferroviaires :

Couverture[modifier | modifier le code]

Pour assurer la protection de la mobilisation et de la concentration dès le premier jour, des mesures préventives ainsi qu'un dispositif de « couverture » sont prévus par le plan pendant les six premiers jours après l'ordre de mobilisation[86]. Une des craintes de l'État-Major est l'« attaque brusquée », définie comme « l'irruption sur le territoire national des troupes ennemies avant que les troupes de couverture aient pu rejoindre leurs emplacements prévus »[87]. En cas de tension diplomatique, l'Instruction sur la préparation de la mobilisation prévoit six groupes de mesures préventives à prendre successivement, avant la mobilisation :

  • groupe A (mesures de précaution), rappel des officiers, des permissionnaires et des troupes en déplacement ;
  • groupe B (mesures de surveillance), surveillance de la frontière et des bureaux télégraphiques et téléphoniques ;
  • groupe C (mesures de protection), garde des ouvrages fortifiés et des ouvrages d'art ;
  • groupe D, surveillance et protection du littoral ;
  • groupe E (mesures d'organisations préparatoires), convocation pour exercice des gendarmes, de certains réservistes et des territoriaux gardes des voies de communication frontaliers, location des chevaux nécessaires ;
  • groupe F (mesures préparatoires aux opérations), chargement des dispositifs de mines (pour détruire les ouvrages d'art frontaliers), feu sur les aéronefs suspects, exercice de mobilisation des garnisons frontalières, interruption des lignes électriques internationales[88].

Les unités chargées de la couverture ont dès le temps de paix des effectifs supérieurs (200 hommes par compagnie au lieu de 140, passant à 240 lors de la mobilisation par rappel des réservistes frontaliers)[n 14], un premier échelon est prépositionné dans des casernes à proximité des frontières, leur répartition est plus dense qu'ailleurs, leur mobilisation doit comporter plus d'éléments d'active que les autres unités et elles doivent être déployées en premier. Les fortifications du Nord-Est (notamment les places fortes de Belfort, d'Épinal, de Toul et de Verdun) doivent être mises rapidement sur le pied de guerre, avec des réservistes et des territoriaux levés essentiellement localement qui doivent creuser des tranchées, poser des réseaux de barbelés et mettre en place des batteries dans les intervalles entre les forts. La couverture est assurée par cinq corps d'armée, chacun renforcé d'une division de cavalerie, dont le général est désigné responsable d'un secteur, sous l'autorité directe du commandant en chef jusqu'à l'arrivée des différents états-majors d'armée (au matin du 5e jour) :

Photo noir et blanc de deux cavaliers observant à la jumelle.
Deux cavaliers d'un régiment de dragons en mission de reconnaissance. Une grande partie de la cavalerie est casernée dans le Nord-Est ; la couverture est notamment confiée à cinq divisions de cavalerie, chaque escadron accompagné par un bataillon d'infanterie.

soit au total 127 bataillons, 168 escadrons de cavalerie et 159 batteries d'artillerie[91]. Leur mission dans le cadre du plan XVII consiste « au début, à arrêter les reconnaissances ou détachements de l'ennemi qui chercheraient à pénétrer sur le territoire, ultérieurement, à retarder la marche des corps plus considérables qui pourraient troubler le débarquement et la concentration des armées »[92]. Ces corps sont théoriquement disponibles en deux échelons : le premier entre la 3e et la 8e heure de la mobilisation, le second du 2e au 4e jour ; la 12e division de Reims (la troisième du 6e corps) doit servir de réserve. La couverture doit être renforcée entre le 4e et le 6e jour par trois divisions « hâtives » (renforts de couverture) fournies temporairement par le 2e corps (la 3e division d'Amiens), par le 5e corps (la 9e division d'Orléans qui passe temporairement au 6e corps) et le 8e corps (la 15e division de Dijon qui est prêtée au 21e corps)[93]. Toutes ces unités doivent se retrancher (creuser des tranchées, batteries, abris et magasins, ainsi que déboiser les glacis) pendant la période de couverture, s'appuyant sur des terrassements exécutés dès le temps de paix, sur les hauteurs au nord et au sud de Montmédy, sur les Hauts de Meuse, sur le Grand Couronné de Nancy et aux débouchés de la forêt de Charmes[94] (plateaux d'Ortoncourt et d'Essey) ; vers le 11e jour, les divisions de réserve doivent relever les troupes de couverture[95]. Les unités affectées aux place-fortes du Nord-Est doivent terminer leur mobilisation au 7e jour ; celles du Sud-Est du 6e au 10e jour. Dans le Sud-Est, la couverture doit être assurée par huit groupes de chasseurs alpins (cinq dans la 14e région et trois dans la 15e). Le 10e jour de la mobilisation, ces groupes doivent être relevés par des bataillons alpins de réserve.

Opérations[modifier | modifier le code]

Le plan XVII prépare la mobilisation et la concentration de l'Armée française, deux actions qui sont interdépendantes des premières opérations militaires que souhaite mener l'État-Major. Les grandes lignes de ces premières opérations sont décrites dans les Directives pour la concentration[23] de , envoyées aux généraux désignés comme commandants des différentes armées françaises.

Il est prévu de passer à l'offensive dès que les corps d'active sont déployés, conformément aux règlements qui viennent d'être mis en vigueur, tel que le Règlement sur la conduite des grandes unités d'[96] et le Règlement sur le service des armées en campagne de [97], ainsi qu'aux engagements pris par la France envers la Russie, les deux nations devant lancer des offensives simultanées à partir du 15e jour de leur mobilisation[98]. Pour mener ces offensives, les états-majors sont largement dotées de cartes du Nord-Est de la France (dites cartes d'état-major, au 1/80 000), de l'Est de la Belgique (quatre feuilles imprimées à partir de l'automne 1913)[99] et d'une partie de l'Allemagne (jusqu'au méridien de Stuttgart, cartes aux 1/80 000 et 1/200 000 éditées en 1912[99], complétés par des cartes allemandes[n 15], bien plus précises, au 1/25 000)[100].

« L'intention du général commandant en chef est de se porter, toutes forces réunies, à l'attaque des armées allemandes. L'intervention des armées françaises se manifestera sous la forme de deux actions principales, se développant : L'une à droite, dans les terrains entre les massifs forestiers des Vosges et la Moselle en aval de Toul. L'autre à gauche, au nord de la ligne : Verdun, Metz. Ces deux actions seront étroitement soudées par des forces agissant sur les Hauts-de-Meuse et en Woëvre. »

— Directives pour la concentration, « Directive générale : intentions du général commandant en chef », février 1914[23].

Trois offensives prévues[modifier | modifier le code]

Carte surchargée avec des flèches, celles françaises envahissant l'Alsace et la Lorraine allemandes.
Schéma montrant les mouvements offensifs déterminés par le plan XVII : en bleu les armées et fortifications françaises, en rouge les fortifications allemandes.
Un officier français et une Alsacienne se prennent dans les bras au-dessus d'une borne frontière allemande.
« En Alsace ! », dessin de Georges Scott publié dans L'Illustration du . La reprise de l'Alsace-Moselle est un impératif aux yeux des nationalistes français.

Deux grandes offensives françaises sont prévues, l'une sur le plateau lorrain entre Vosges et Metz par les 1re et 2e armées, l'autre dans le Thionvillois entre Luxembourg et Diedenhofen (ou dans le Luxembourg belge en cas d'invasion de la Belgique) par les 4e et 5e armées.

Un groupement détaché de la 1re armée, comprenant le 7e corps et la 8e DC, doit attaquer en Haute-Alsace dès le 4e jour de la mobilisation, sur ordre du commandant en chef. « Sa mission particulière est de retenir en Alsace, en les attaquant, les forces adverses qui tenteraient de déboucher sur le versant occidental des Vosges, au nord de la Schlucht, et de favoriser le soulèvement des populations alsaciennes restées fidèles à la cause française. » De plus, ce groupement doit bloquer les ponts sur le Rhin de Bâle à Neuf-Brisach[101], avec comme objectif la prise de Colmar, puis dans un second temps l'investissement de Strasbourg[102].

À partir du 12e jour de la mobilisation, l'essentiel de la 1re armée (quatre corps) « doit se tenir prête à attaquer dans la direction générale Baccarat, Sarrebourg, Sarreguemines, la droite du gros de ses forces suivant la crête des Vosges, son extrême droite dans la plaine d'Alsace pour appuyer au Rhin le dispositif général », tandis que la 2e armée (cinq corps) attaquera de même « en direction générale Château-Salins, Sarrebruck »[103], les deux armées séparées par la zone des étangs.

L'encerclement de la place de Metz par l'ouest et le nord-ouest est confiée à la 3e armée (trois corps, commandée par le général Ruffey, qui est artilleur), complétée au sud-ouest sur les Hauts de Meuse par le 3e GDR et au sud-est sur le Grand Couronné par le 2e GDR[104], ces deux derniers s'appuyant sur des fortifications.

La 4e armée (trois corps) est maintenue temporairement en seconde ligne et « doit se tenir prête à partir du 12e jour de la mobilisation : soit à déboucher en Woëvre méridionale, pour coopérer ultérieurement à l'action de la IIe armée ; soit à se porter vers le nord par la région à l'ouest de la Meuse, pour s'engager à la gauche de la IIIe armée, en direction d'Arlon »[105]. La mission de la 5e armée (cinq corps) « est d'agir contre l'aile droite des forces ennemies » : si les opérations se limitent au territoire franco-allemand, cette armée doit déboucher de la tête de pont de Montmédy et attaquer « en direction générale de Thionville et de Luxembourg » ; si les opérations s'étendent aussi au territoire belge, la 5e armée doit attaquer en direction de Neufchâteau[106].

Cas belge et suisse[modifier | modifier le code]

La concentration française comme le déploiement allemand le long de la frontière franco-allemande peuvent être tournés par l'autre belligérant en passant par le Luxembourg et la Belgique (enveloppement de l'aile gauche française par l'aile droite allemande) ou par la Suisse (enveloppement de l'aile droite française par l'aile gauche allemande). La liberté pour l'Armée française de violer la neutralité belge a été demandée par l'État-Major pendant l'hiver 1911-1912, mais le conseil supérieur de la Défense nationale a refusé lors de sa séance du pour conserver le soutien britannique[107]. Le plan XVII prévoit donc une réaction française en cas d'attaque allemande par le territoire d'un État neutre, attaque estimée limitée soit au Luxembourg belge, soit au Moyen-Pays suisse, envisageant notamment une attaque brusquée allemande contre Bâle ou contre Liège.

Dans le cas d'une violation allemande du territoire suisse (qui peut se limiter à l'avancée de Porrentruy), le plan XVII prévoit d'engager le 1er GDR face à l'est, dans le massif du Jura[102], en s'appuyant sur les fortifications (bien qu'elles soient obsolètes). L'Armée suisse, capable d'une mobilisation très rapide sous la protection de brigades frontière statiques, est estimée capable de défendre ses fortifications, d'autant qu'elle a miné tous les ponts sur le Rhin en amont de Bâle[108]. La possibilité d'une attaque italienne à travers les cols suisses (par le Grand-Saint-Bernard, le Simplon et le Saint-Gothard) est envisagée, mais considérée comme peu probable[109].

Dans le cas d'une violation allemande des territoires luxembourgeois et belge[n 2], une contre-offensive est prévue avec la 4e armée en direction d'Arlon et la 5e vers Neufchâteau, l'aile gauche étant assurée par le corps de cavalerie (en place dès le 4e jour) et le 4e GDR. L'avancée française en Belgique, même pour faire de la reconnaissance, ne peut s'exécuter que sur ordre du commandant en chef, une fois que celui-ci obtient l'autorisation du gouvernement[110]. Pour garantir le contrôle des ponts sur la Meuse côté belge, le 148e régiment d'infanterie, caserné à Givet, reçoit pour mission de se transporter sur ordre à Dinant pour de là occuper rapidement tous les ponts jusqu'à Namur (un convoi automobile de 40 autobus de 35 places chacun est prévu pour assurer le transport en faisant des rotations)[111]. Comme les informations sur les actions adverses sont primordiales, un « plan de renseignements » est établi en , prévoyant l'emploi du « service spécial » (espionnage), de l'exploration aérienne et des reconnaissances de cavalerie[112].

Application en 1914[modifier | modifier le code]

Si la mobilisation, la couverture et la concentration d' se déroulent dans l'ensemble conformément au plan, les premières opérations offensives se terminent toutes par un échec.

Couverture et mobilisation[modifier | modifier le code]

En , le gouvernement français, privé du président de la République Raymond Poincaré et du président du Conseil René Viviani qui reviennent de leur visite à Saint-Pétersbourg par la mer, hésite à ordonner le lancement de la couverture pour ne pas provoquer des réactions chez ses voisins. Les échanges diplomatiques de la fin juillet et du début d'août confirment les prévisions antérieures : le Luxembourg et la Belgique sont envahis (cette dernière appelant à l'aide), l'Italie, la Suisse[n 16] et l'Espagne restent neutres, tandis que le Royaume-Uni s'engage aux côtés de la France.

Lancement de la couverture[modifier | modifier le code]

Photo noir et blanc montrant une colonne de cavaliers remontant un boulevard.
La majorité de la cavalerie (sept divisions sur les dix) est affectée à la couverture de la mobilisation, mais les 1er et 2e régiments de cuirassiers sont maintenus à Paris pour servir au maintien de l'ordre du jusqu'au .

Dès le , tous les officiers généraux et les chefs de corps (commandants d'unités) sont rappelés et leurs permissions supprimées[114]. Le 26, toutes les unités en déplacement ont ordre de retourner à leur caserne[n 17],[116] ; le 4e bureau de l'État-Major, responsable des chemins de fer, alerte les commissions militaires des différents réseaux : « Messieurs, la guerre est inévitable ; rien à faire pour les réseaux autres que l'Est si ce n'est revoir vos instructions et vos documents et préparer l'exécution du plan ; pour le réseau de l'Est il faut immédiatement faire rentrer par les moyens les plus rapides les troupes qui font partie de la couverture et qui sont dans les camps de Châlons et de Mailly ou qui, pour l'artillerie de Nancy en particulier, sont en route par voie de terre pour rejoindre leurs garnisons »[117]. Le 27 au soir, les permissionnaires de la troupe des cinq corps d'armée de la frontière sont rappelés et ces corps appliquent le « dispositif restreint de sécurité »[118] (mesures de protection des voies de communication, notamment des ouvrages d'art). Au milieu de la nuit du 27 au 28, le ministère de la Guerre ordonne le rappel des permissionnaires des corps de l'intérieur[119] ; le 29, le ministre ordonne de faire garder les ouvrages fortifiés, les établissements militaires et les postes de TSF dans les six corps de la frontière (1er à Maubeuge, 2e dans les Ardennes, 6e à Verdun, 20e à Toul, 21e à Épinal et 7e corps à Belfort)[120]. Le rapatriement des unités en manœuvres, le rassemblement du matériel et l'évacuation des wagons inutiles (par exemple les tombereaux) représentent 91 convois dont 56 chargés du 27 au , le tout au milieu du trafic civil (les trains de voyageurs sont pris d'assaut par les retours de vacances)[121].

Le au soir, le ministre de la Guerre ordonne un « exercice mobilisation garnisons extrême frontière » (comportant le déploiement d'une partie des unités d'active) ; « toutefois, pour des raisons diplomatiques, il est indispensable qu'aucun incident ne se produise de notre fait. En conséquence, aucun élément ni aucune patrouille ne devra sous aucun prétexte approcher de la frontière » à moins de dix kilomètres[122]. Les gouverneurs des quatre places de l'Est ont désormais ordre de lancer les travaux de défense (creusement des tranchées, pose des réseaux de barbelés et mise en place des batteries)[123]. Le au matin, les cinq corps d'armée de l'Est appliquent l'ordre d'exercice, tandis que Joffre réclame l'ordre de mobilisation : « il est absolument nécessaire que le gouvernement sache qu'à partir de ce soir tout retard de 24 heures, apporté à la convocation des réservistes et à l'envoi du télégramme de couverture, se traduira par un recul de notre dispositif de concentration, c'est-à-dire par l'abandon initial d'une partie de notre territoire, soit de 15 à 20 kilomètres par jour de retard. Le commandant en chef ne saurait accepter cette responsabilité »[124].

Le , le service ferroviaire entre l'Allemagne et la France est interrompu, on prépare l'évacuation des dépôts trop proches de la frontière (Pagny-sur-Moselle, Conflans-Jarny, Baroncourt et Audun-le-Roman), ainsi que la mise en service des trente raccordements militaires prévus[125]. Le à 17 h, le conseil des ministres autorise la couverture, puis fait diffuser l'arrêté de réquisition des chemins de fer[126]. Le 1er août à 18 h, les colonels des régiments concernés reçoivent le télégramme « Faites partir troupes de couverture », d'où le déploiement en train ou à pied des unités des cinq corps et le rappel des réservistes frontaliers[127], mais toujours à dix kilomètres en arrière de la frontière. Les transports de la couverture sont achevés le à midi, grâce à un total de 538 trains, dont 293 convois ont servi au transport de troupes (notamment la cavalerie), 196 trains rien que le 1er août[128], auxquels se rajoutent les 89 trains de ravitaillement de la couverture[129] et les mouvements à vide. Les trois divisions à mobilisation hâtive sont en place le [130].

Mobilisation générale